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que par des applaudiffemens. Vos richeffes, en me 1738. comblant de joie, me font fentir ma pauvreté. Ne croyez pas, mon cher ami, qu'en vous envoyant une épître, je prétende éluder la promeffe de la Mérope. A qui donc donnerai-je les prémices de mes ouvrages, fi ce n'est à mon cher Cideville? à celui qui joint le don de bien juger au talent d'écrire avec tant de facilité et de grâce? Quel cœur dois-je fonger à émouvoir, fi ce n'est le vôtre? Je compte que mes ouvrages feront au moins reçus comme les tributs de l'amitié. Ils vous parleront de moi; ils vous peindront mon ame.

Ma retraite heureuse ne m'offre point de nouvelles à vous apprendre. Elle laiffe un peu languir le commerce; mais l'amitié ne languit point. Je ne m'occupe à aucune forte de travail que je ne me dife à moimême: Mon ami fera-t-il content? cette pensée fera-t-elle de fon goût? Enfin, fans vous écrire, je paffe mes jours dans l'envie de vous plaire et dans le plaifir d'écrire pour vous.

Madame du Châtelet, qui vous aime comme fi elle vous avait vu, vous fait les plus fincères complimens. Nous avons entendu parler ici confufément d'une épître de Formont, contre les philofophes qui ont le malheur de n'être que philofophes. Dicu merci, l'épître n'eft pas

contre nous.

Rouffeau, après avoir long-temps offenfé DIEU, s'eft mis à l'ennuyer. Il fera damné pour fes fermons et pour fes couplets.

Je vous embraffe tendrement, mon aimableCideville.

A

LETTRE XLI.

M. THI RIOT.

1738.

Le 13 novembre.

Vous me voyez, mon cher ami, dans un

un point de vue, et moi je me vois dans un autre. Vous vous imaginez, à table avec madame de la Poplinière et M. Defalleurs, que les calomnies de Rouffeau ne me font point de tort, parce qu'elles ne gâtent point votre vin de Champagne; mais moi qui fais qu'il a employé pendant dix ans la plume de Rouffet et de Varenne à Amfterdam, pour me noircir dans toute l'Europe; moi qui, par l'indignation du Prince royal même contre tant de traits, reconnais très-bien que ces traits portent coup, j'en penfe tout différemment. Je ne fais pourquoi vous me citez l'exemple des grands auteurs du fiècle de Louis XIV, qui ont eu des ennemis. En premier lieu, ils ont confondu ces ennemis, autant qu'ils l'ont pu; en second lieu, ils ont eu des protections qui me manquent ; et enfin, ils avaient un mérite fupérieur qui pouvait les confoler. Ce qui m'eft arrivé à la fin de 1736 doit me faire tenir fur mes gardes. Je fais très-bien que les journaux peuvent faire de très-mauvaises impreffions; je fais qu'un homme qu'on outrage impunément eft avili; et je ne veux accoutumer perfonne à parler de moi d'une manière qui ne me convienne pas. Ma fenfibilité doit vous plaire. Un ami s'intéreffe à la réputation de fon ami, comme à la fienne propre.

1738.

Je vois que vous vous y intéressez efficacement, puifque vous m'envoyez des critiques fur les épîtres. Je vous en remercie de tout mon cœur. Soyez sûr que j'en profiterai. Continuez; mais fongez que ce frappant et ce vif que vous cherchez, ceffe d'être tel quand il revient trop souvent. Non fumum ex fulgore, fed ex fumo dare lucem cogitat. Je ne fuis pas de votre avis en tout. La cenfure de la boîte de Pandore me paraît très-injufte (*). Je prétends prouver que fi tous les hommes étaient également heureux dans l'âge d'or, ils ont actuellement une égale portion de biens et de maux, et qu'ainfi l'égalité fubfifte toujours. Au refte, qu'un hémiftiche ou deux déplaifent, cela rend-il une pièce entière infupportable? Vous me reprochiez d'imiter Defpréaux, à présent vous voulez que je lui ressemble. Trouvez-vous donc dans fes épîtres tant de vivacité et tant de traits? Il me femble que leur grand mérite eft d'être naturelles, correctes et raisonnables; mais de la fublimité, des grâces, du fentiment, eft-ce là qu'il les faut chercher?

Vous profcrivez la barque des rois; cependant il ne s'agit ici que de la barque légère, de la barque du bonheur, de la petite barque que chaque individu gouverne, roi ou garçon de café. Mais, comme le vulgaire ne veut voir un roi que dans un vaisseau de cent pièces de canon, et qu'il faut s'accommoder aux

reçues, je facrifie la barque.

idées reçues,

J'ôte le Bernard, et le bien qu'il fait, et le bien qu'il a. Ce mot de bien pris en deux fens différens, eft peut-être un jeu de mots : qu'en pensez-vous?

(*) Voyez le premier Difcours fur l'homme, de l'égalité des conditions,

volume de Poëmes.

Fertilifent la terre en déchirant son sein.

eft, ne vous déplaife, un très-beau vers.

J'aime Perrette. C'eft dans fon ennui précisément, et feulement dans fon ennui qu'on fouhaite le deftin d'autrui; car, quand on fe fent bien, ce n'eft pas là le moment où l'on fouhaite autre chose.

Je donne des coups de pinceau à mesure que je vois des taches; mais aidez-moi à les remarquer, car la multiplicité de mes occupations et le maudit amour propre font voir bien trouble. Vale, te amo.

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1738.

Le 24 novembre.

Ami, dont la vertu toujours égale et pure, &c. (*)

CELA

ELA vous plaît-il mieux que le cœur tout neuf d'Hermolime? Au moins, cette épître aura un mérite, c'eft d'être adreffée à mon ami et non à un écolier fuppofé. Je vous en envoie une que je deftine à l'héritier d'un trône; mais la première fera pour vous. Je les corrige toutes, et avec opiniâtreté. Je veux qu'elles foient bonnes et dignes du lieu où elles ont été faites, et du deffein que j'ai eu en les fefant.

Mais comment raboter à la fois la Henriade, mes tragédies et toutes mes pièces? Col tempo e col arte tutto fi fara. Tâchez qu'on imprime l'Epître fur la

(*) Voyez les variantes du Discours fur l'égalité des conditions.

nature du plaifir, afin que je puiffe donner le recueil 1738. de mes fix fermons bien réformé : ce fera mon carême, prêché par le père Voltaire..

La lettre de M. Defalleurs eft d'un homme trèsfupérieur. S'il y avait à Paris bien des gens de cette trempe, il faudrait acheter vîte le palais Lambert. Auffi achèterons-nous, je crois, et nous pardonnerons à la multitude des fots, en faveur de quelques juftes, c'eft-à-dire, de quelques gens d'efprit.

Dès que j'aurai un entr'acte (car je fuis entouré de mes tragédies que je relime), j'écris à l'ame de Bayle, laquelle demeure à Paris dans le corps de M. le comte Defalleurs, et qui eft très-bien logée.

Vous ferez comme il vous plaira à l'égard de ce monftre d'abbé Desfontaines; mais vous pouvez affurer que je n'ai d'autre part au livre très - fort qui vient de paraître contre lui, que d'avoir écrit, il y a deux

à M. Maffei, la lettre qu'on vient d'imprimer. Affurez-le d'ailleurs que j'ai en main de quoi le confondre et le faire mourir de honte, et que je fuis un ennemi plus redoutable qu'il ne pense.

Je vous embraffe. Envoyez-moi des plumes d'or, fi vous avez de la monnaie. Je suis las de ne vous écrire qu'avec une plume d'oifon.

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