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1738.

JE

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E vous envoie, mon cher ami, une lettre pour le Prince royal, en réponse à celle que vous m'avez dépêchée par l'autre voie. Sa lettre contenait une trèsbelle émeraude accompagnée de diamans brillans, et je ne lui envoie que des paroles. Soyez sûr, mon cher Thiriot, que mes remercîmens pour lui feront bien plus tendres et bien plus énergiques, quand il aura fait pour vous ce que vous méritez et ce que j'attends. Ne foyez point du tout en peine de la façon dont je m'exprime fur votre compte, quand je lui parle de vous; je ne lui écris jamais rien qui vous regarde, qu'à l'occafion des lettres qu'il peut faire passer par vos mains, et que je le prie de vous confier. Je fuis bien loin de paraître foupçonner qu'il foit feulement poffible qu'il vous ait donné le moindre fujet d'être mécontent. Quand je ferais capable de faire cette balourdife, l'amitié m'en empêcherait bien. Elle est toujours éclairée quand elle est fi vraie et fi tendre. Continuez donc à le fervir dans le commerce aimable de littérature dont vous êtes chargé, et foyez sûr, encore une fois, qu'il vous dira un jour : Euge, ferve bone et fidelis, quia fuper pauca fuifli fidelis, &c.

Vous vous intéreffez à mes nièces; vous favez fans doute ce que c'eft que M. de la Rochemondière, qui

veut de notre aînée. Je le crois homme de mérite, puifqu'il cherche à vivre avec quelqu'un qui

Si je peux faciliter ce mariage, en affurant vingt-cinq mille livres, je fuis tout prêt; et s'il en veut trente, j'en affurerai trente; mais pour de l'argent comptant, il faut qu'il foit affez philofophe pour se contenter du fien, et de vingt mille écus que ma nièce lui apportera. Je me fuis cru, en dernier lieu, dans la néceffité de prêter tout ce dont je pouvais difpofer. Le prêt eft très-affuré; le temps du payement ne l'eft pas; ainsi je ne peux m'engager à rien donner actuellement par un contrat. Mais ma nièce doit regarder mes fentimens pour elle comme quelque chofe d'auffi sûr qu'un contrat par-devant notaire. J'aurais bien mauvaise opinion de celui qui la recherche, fi un présent de noce de plus ou de moins (qu'il doit laiffer à ma difcrétion) pouvait empêcher le mariage. C'eft une chofe que je ne peux foupçonner. Je ferai à peu-près pour la cadette ce que je fais pour l'aînée. Leur frère, correcteur des comptes, eft bien pourvu. Le petit frère fera, quand il voudra, officier dans le régiment de M. du Châtelet. Voilà toute la nichée établie d'un trait de plume. Votre cœur charmant, et qui s'intéresse fi tendrement à fes amis, yeut de ces détails. C'est un tribut que je lui paye.

Mandez-moi fi ce que l'on publie, touchant la cuiraffe de François I, est vrai. Je ne fais de qui eft Maximien (*). On la dit de l'abbé le Blanc. Mais quel qu'en foit l'auteur, je ferais très-fâché qu'on m'en donnât la gloire, fi elle eft bonne; et en cas qu'elle ne vaille rien, je rends les fifflets à qui ils appartiennent. (*) Tragédie de la Chauffée.

1738.

J'achèterai fur votre parole le livre de l'abbé 1738. Bannier; je compte n'y point trouver que Cham eft l'Ammon des Egyptiens, que Loth eft l'Ericthée, qu'Hercule eft copié de Samson, que Baucis et Philemon font imités d'Abraham et de Sara. Je ne fais quel académicien des belles-lettres avait découvert que les patriarches étaient les inventeurs du zodiaque, que Rebecca était la vierge, Efau et Jacob les gémeaux. Il eft bon d'avoir quelques differtations pareilles dans fon cabinet, pour mettre à côté du poëme de la Madeleine; mais il n'en faut pas trop.

Empêchez donc M. d'Argental d'aller à SaintDomingue. Un homme de probité, un homme aimable comme lui, doit refter dans ce monde.

LETTRE I V.

A M. PRAULT, libraire à Paris.

A Cirey, 24 février.

J'A1 reçu votre lettre du 20. Je ne me plains done

plus du correfpondant. Je vous prie, mon cher paresseux, qui ne le ferez plus, de prier, par un petit mot de lettre, M. Berger de paffer chez vous pour affaire on a de fes nouvelles à l'hôtel de Soiffons. Cette affaire fera que vous lui compterez dix pistoles; vous lui demanderez de vous-même un billet, par lequel il reconnaîtra avoir reçu cent livres de mes deniers par vos mains. Je remets à votre prudence et à votre efprit le foin de lui faire fentir doucement,

que quoique les plaifirs que je lui fais foient peu confidérables, cependant vous ne laiffez pas d'être furpris 1738. de la manière peu mesurée dont il parle de moi en votre présence, et qu'un cœur comme le mien méritait des amis plus attachés. Je vous prie de m'envoyer inceffamment une demi-douzaine d'exemplaires de la nouvelle édition d'Oedipe. Vous n'aurez Mérope que dans un mois ; je ne crois pas que les approbateurs puiffent vous inquiéter, quoiqu'elle foit fous mon nom. Je vous prie de bien déclarer qu'il eft trèsfaux que Maximien foit de moi. Je n'aime point à me charger des ouvrages des autres.

VOUS

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ous avez grande raison affurément, Monfieur, de vouloir me développer l'hiftoire de Conftantin; car c'eft une énigme que je n'ai jamais pu comprendre, non plus qu'une infinité d'autres traits d'hiftoire. Je n'ai jamais bien concilié les louanges exceffives que tous nos auteurs eccléfiaftiques, toujours trèsjuftes et très-modérés, ont prodiguées à ce prince, avec

les vices et les crimes dont toute fa vie a été fouillée. Meurtrier de fa femme, de fon beau-père, plongé dans la molleffe, entêté à l'excès du fafte, foupçonneux, superstitieux; voilà les traits fous lesquels je le connais. L'hiftoire de fa femme Faula et de fon

fils Crifpus, était un très-beau sujet de tragédie; mais 1738. c'était Phedre fous d'autres noms : fes démêlés avec

Maximien-Hercule, et fon extrême ingratitude envers lui, ont déjà fourni une tragédie à Thomas Corneille, qui a traité à sa manière la prétendue conspiration de Maximien-Hercule. Faufta fe trouve dans cette pièce entre fon mari et fon père, ce qui produit des fituations fort touchantes. Le complot eft très-intrigué, et c'est une de ces pièces dans le goût de Camma et de Timocrate. Elle eut beaucoup de fuccès dans fon temps; mais elle eft tombée dans l'oubli avec prefque toutes les pièces de Thomas Corneille, parce que l'intrigue, trop compliquée, ne laiffe pas aux paffions le temps de paraître; parce que les vers en font fort faibles; en un mot, parce qu'elle manque de cette éloquence qui feule fait passer à la postérité les ouvrages de profe et les vers. Je ne doute pas que M. de la Chauffée n'ait mis dans fa pièce tout ce qui manque à celle de Thomas Corneille. Perfonne n'entend mieux que lui l'art des vers; il a l'efprit cultivé par de longues études, et plein de goût et de reffources. Je crois qu'il fe pliera aifément à tout ce qu'il voudra entreprendre. Je l'ai toujours regardé comme un homme fort eftimable, et je fuis bien aife qu'il continue à confondre le miférable auteur des Aïeux chimériques et des trois épîtres tudesques, où ce cynique hypocrite prétendait donner des règles de théâtre, qu'il n'a jamais mieux entendues que celles de la probité. Je m'aperçois que je vous ai appelé monsieur, mais dominus entre nous veut dire amicus.

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