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privilège de la sottise inévitable; c'est une polyglotte vivante d'impertinences et de niaiseries. Il a un nom dont il pourrait tirer un avantage qui n'est point à dédaigner, principalement pour celui qui n'en a pas d'autre, et vous l'avez entendu déclamer contre la noblesse, et soutenir (avec un désintéressement dont il est bien loin de connaître toute l'étendue) que le mérite personnel est la seule distinction sociale qu'on doive reconnaître. En soutenant une pareille doctrine, il ne sait ni à quoi il s'expose, ni le ridicule qu'il se donne. Avant de connaître M. de Laubé, vous ne saviez certainement pas au juste tout ce qu'il était possible de débiter de sottises en un quart d'heure.

«La sottise est contagieuse. Ce M. Desmangin que vous venez de voir en est la preuve. Je l'ai connu homme de sens; il a passé près de deux ans tête à tête avec le baron de Foncenay, dans sa terre de Grizolles; il en est revenu presque aussi sot que le baron, dont il s'est approprié toute la présomption, toute la fatuité gothique et tous les ridicules. Cet homme est possédé du démon de l'importance: pour s'être bourré la cervelle de termes techniques, il se croit savant; pour avoir aligné quelques lignes de prose, il se croit poëte. M. Desmangin vient de vous faire connaître la part qu'il a eue aux nouvelles nominations académiques, d'où, s'il faut l'en croire, il s'est modestement exclu lui-même. S'il fût resté

plus long-temps, vous sauriez les changements qu'il veut opérer dans le ministère, le crédit dont il jouit à la cour, l'influence qu'il exerce dans les cabinets étrangers, et le rôle qu'il doit jouer dans les négociations qui se préparent; mais ce qu'il ne vous aurait pas dit, c'est que toutes ces prétentions-là n'ont le moindre prétexte, et qu'elles se trouvent logées dans la cervelle à l'envers d'un honnête bourgeois de Paris, jadis syndic des marguilliers de sa paroisse, et maintenant homme d'état, homme de lettres, homme du monde, de la façon du baron de Foncenay.

pas

« Cet autre, si pincé, si gourmé, si précieux, qui a voulu disputer avec vous sur les productions de la Guiane, est ce que l'abbé Trublet appelle si bien un sot tout d'une pièce. La nature et l'art ont travaillé de concert à la confection de ce petit modèle d'impertinence: ignorant et bavard, insolent et poltron, il n'a pas une idée à lui, il n'invente pas même les mensonges qu'il débite; mais l'effronterie, qui lui tient lieu de tout, même des vices qui lui manquent, l'a élevé au commandement de la redoutable phalange des sots. Cet homme est doué du singulier instinct de pressentir le mérite; il ne le voit pas encore, il aboie déja sur sa piste, et la meute qui le suit est sûre de ne jamais prendre le change. L'aversion qu'il témoigne pour les gens d'esprit est la me

sure exacte de leur mérite. Un homme comme celui-là, bien employé, ne serait pas sans utilité: ne se sert-on pas d'une pierre pour connaître la valeur de l'or?»

N° XXXIII. [21 FÉVRIER 1816.]

LES ACTEURS.

Meum qui pectus inaniter angit,

Irritat, mulcet, falsis terroribus implet,

Ut

magus; et modò me Thebis, modò ponit Athenis.
HOR., ep. 1, lib. II.

Par un mensonge heureux il attendrit mon cœur,
L'irrite ou le remplit d'une fausse terreur,
Enchanteur étonnant dont la voix souveraine
Me transporte au milieu de Thèbes ou d'Athènes.

Traduction de DARU.

Je ne pense pas que chez aucune nation civilisée, pas même chez les Grecs et les Français, l'art théâtral et ceux qui l'exercent aient jamais reçu de tẻmoignages d'admiration aussi flatteurs que ceux que je me souviens de leur avoir procurés au fond des forêts de la Guiane.

La tribu féroce des Otomacas, chassée par les Espagnols du petit pays qu'elle habitait, ou plutôt qu'elle infestait, aux confins de la Nouvelle Andalousie, était venue se réfugier sur les bords du lac Parima, dans le voisinage de la terre des Zangaïs. Du milieu des savanes où ils s'étaient retranchés,

les Otomacas faisaient de fréquentes incursions chez leurs voisins, dont ils cherchaient sur-tout à enlever les femmes, distinguées entre toutes celles des nations caraïbes par leur beauté, leur taille, et leur adresse. L'espèce de terreur que cette horde de sauvages avait inspirée, la difficulté de les poursuivre et de les atteindre dans des marais dont eux seuls connaissaient les passages, accroissaient chaque jour leur audace, et jetaient les Zangaïs dans un découragement dont leurs ennemis profitaient pour multiplier leurs rapines.

Une circonstance dont j'étais loin d'attendre un pareil résultat, changea tout-à-coup la disposition des esprits: on se préparait à célébrer la fête annuelle du Grand-Fleuve, et j'avais choisi cette solennité pour donner à mes compagnons sauvages une idée de nos jeux scéniques.

J'avais fait élever, en face de la cabane de l'ancien de la tribu, une espèce de théâtre où j'étais parvenu à figurer, en profitant des accidents du terrain, l'image du carbet des Otomacas. La pièce qu'on devait y représenter, sous le titre des Bons et des Méchants, n'était rien autre chose que la querelle qui divisait les deux peuplades.

Les méchants, sous la conduite de leur chef Amucak, sortaient de leur repaire pendant la nuit, en fondant à l'improviste sur les bons, dévastaient leurs plantations et enlevaient plusieurs jeunes filles, au

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