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d'où je cherchais à m'orienter sur le cours du soleil, qui descendait vers l'horizon; pressé par la soif, je cueillis, sans beaucoup d'attention, sur un arbre qui se trouvait à ma portée, un fruit vert, d'un goût légèrement acide; j'en avais à peine mangé quelques grains que je fus saisi de douleurs violentes, suivies d'un engourdissement auquel je succombai, sans perdre entièrement connaissance. J'étais depuis une heure dans cet état, lorsque j'aperçus Amioïa et Zaméo, qui me cherchaient dans la savane où ils supposaient que je pouvais m'être égaré. Dans l'impossibilité de me lever, je parvins à me faire entendre; Amioïa reconnaît ma voix, elle accourt la première, me voit, frémit, et m'interroge avec inquiétude: je n'ai que la force de lui montrer l'arbre fatal: elle pousse un cri d'épouvante, s'élance, et arrache une grappe entière du fruit empoisonné qu'elle dévore. Cette action terrible, à laquelle je ne pus opposer que de vains efforts, est aperçue de Zaméo; il entend mon geste, se rend maître d'Amioïa, et, d'une main hardie, va saisir jusque sous ses dents les débris vénéneux dont le suc a déja passé dans ses veines. Zaméo, qui connaissait la propriété de cet arbre funeste, savait aussi qu'il porte avec lui son antidote. Il en détacha quelque portion d'écorce, qu'il broya entre deux pierres ; il la délaya ensuite dans la liqueur du cocotier dont il avait rempli sa gourde, et qu'il nous fit boire. L'efficacité de ce re

méde fut telle, qu'au bout de quelques heures de repos nous pûmes retourner à la case.

Je guéris en peu de jours; mais Amioïa lutta plusieurs mois contre l'activité d'un poison qu'elle avait pris à plus forte dose. Je ne dirai pas que cet acte de dévouement augmenta mon attachement pour elle: il ne pouvait croître; dès long-temps il remplissait tout mon cœur. La faiblesse de sa santé, altérée par cette longue maladie, retarda de plusicurs années un événement qui promettait de mettre le comble à notre bonheur, et dont il fut le terme; Amioïa perdit le jour en le donnant à une fille que nous avions nommée Amazilie. J'ai pu dire, comme le poëte Young:

My child, thy cradle was purchas'd with thy mother's bier'.

Je ne puis, après vingt ans, arrêter ma pensée sur ce moment funeste où je commençai moi-même à mourir. La tendre compagne de mon exil expira en embrassant son époux et sa fille, et sourit en tombant dans les bras de la mort.

J'avais promis de vivre pour Amazilie; ses traits charmants me rappelaient sa mère, et son enfance avait enchanté les premières années de ma vieillesse.

mère.

Mon enfant, ton berceau fut le prix du cercueil de ta

Je ne retracerai point ici un dernier malheur contre lequel il n'est qu'un seul recours, et que je n'ai supporté que parceque j'étais arrivé à un âge où ce n'est plus la peine de se donner la mort.

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Il y a, de compte fait, trois espèces de sots: les sots qui ne savent point, les sots qui savent mal, les sots qui savent tout, excepté ce qu'ils devraient savoir. Cette dernière classe est aujourd'hui la plus commune; nous ne sommes cependant pas encore menacés de perdre les deux autres.

J'ai besoin d'un avocat: on m'adresse à Mérippe; une heure de conversation que nous avons ensemble me prouve qu'il a fait de grandes recherches sur la langue celtique, et que personne n'est plus propre que lui à enseigner le bas-breton; à la manière dont il disserte sur les antiquités des Gaules, on croirait

qu'il a étudié au collège des Druides. Tout en lui faisant compliment sur son érudition, j'en viens à le consulter sur mon affaire; il s'agit d'un point de droit à établir sur les lois du Digeste: Mérippe est tout-à-fait étranger à ce genre d'études, il ne s'est occupé des Pandectes de Justinien que pour s'assurer qu'elles ont été publiées le 17 des calendes de janvier 533, et qu'elles ont été retrouvées dans la ville d'Almalfie par l'empereur Lothaire. Mérippe, avec toute son érudition, est un sot avocat.

J'achève un ouvrage sur les puissances barbaresques, où je prouve que cette confédération des forbans ne sera pas détruite avant un demi-siècle, parcequ'il ne faut pas moins que cela pour que les Anglais puissent se passer de pareils auxiliaires; mais comme je manque de notions exactes sur les mœurs et la politique de ces nations dont j'écris l'histoire, je crois pouvoir me les procurer auprès d'Hermas, qui a passé trente ans de sa vie dans les régences, en qualité de consul: j'ai pris note des questions que j'ai à lui faire, et dont il me dispense en m'apprenant << qu'il ne s'est point amusé à de pareilles bagatelles pendant son séjour sur la côte d'Afrique, où il a su employer son temps d'une manière plus utile, en spéculant sur le maroquin et sur les cafetières du Levant. »

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L'humeur que m'avaient donnée ces deux hommes me suivit dans l'île Saint-Louis, où j'étais allé faire

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