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des prétentions et des droits, de la cour et de la ville, des évêques et des curés, de la majorité et. de la minorité de la noblesse, de M. le chancelier et de M. Necker, amenèrent, non plus des chants, mais des cris; non plus des refrains, mais des hurlements; les ponts-neufs ne provoquaient plus le rire, mais la terreur; et les complaintes sur les crimes du peuple remplacèrent les épigrammes sur les sottises des grands.

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Depuis cette époque, pendant plus de quatre lustres, on a chanté tour-à-tour et les traités scandaleux et les déclarations de guerre sous-entendues, et des victoires sans exemple et des revers inouïs, et les indulgences et les anathèmes, et la chute et l'érection des trônes, et le triomphe et le schisme de l'Église française; au milieu de ce terrible charivari, l'air vive Henri IV s'est fait entendre; et ce chant national, répété en chœur, a fini par couvrir tous les autres.

« Deux poëtes se disputent aujourd'hui l'empire de la chanson, qui restera nécessairement à M. de Béranger, le plus varié, le plus original, le plus poëte de tous nos chansonniers. Doué d'une philosophie plaisante et maligne, souvent plus instructive que la philosophie la plus sérieuse, personne ne possede au même degré le talent de railler avec esprit, de persifler avec grace, d'affubler d'un ridicule ineffaçable la sottise et la vanité. Dans ses chansons les

plus folles, on voit percer, comme dans celles des Grecs, cet amour de la patrie, et, si j'ose parler ainsi, ce sourire mélancolique qui prête un charme nouveau à la gaieté même. Dans la chanson politique, il est sans rivaux; dans la chanson gaillarde, où il n'a d'émule que Collé pour la verve comique, pour l'originalité de l'expression, il lui est généralement supérieur par le choix du sujet et par le coloris poétique.

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M. de Béranger a envahi le domaine entier de la chanson: il lutte avec avantage contre M. Désaugiers dans le genre grivois, et il excelle à tourner ce qu'on appelle un couplet de facture, dont le mérite est presque tout entier dans le choix du rhythme et dans l'opulence de la rime : sous ce rapport, je ne crois cependant pas qu'il ait été aussi loin que Panard et Collé, lesquels ont été vaincus eux-mêmes par l'auteur d'un vaudeville intitulé le Poëte satirique, où se trouve un couplet de ce genre d'une désespérante perfection. »>

Le vieux ménestrel, qu'un verre de vin de Champagne avait mis en voix, termina sa joyeuse leçon en nous chantant le Petit roi d'Ivetot, le Sénateur, Plus de politique, et quelques autres chansons de M. de Béranger, qui lui firent décerner tout d'une voix le sceptre de myrte et la couronne de lierre, attributs de l'ancienne et joyeuse royauté des fes

tins.

N° XXX. [31 JANVIER 1816.]

UNE MAISON

DE L'ILE SAINT-LOUIS.

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Semita ccrtè

Tranquillæ per virtutem patet unica vitæ.

Juv., sat. X.

On ne parvient, n'en doutez pas, au calme du bonheur que par la vertu.

En cherchant bien, on trouve tout à Paris, même la vertu, le repos et le bonheur. On va crier à l'incroyable, et, sans daigner même entrer dans la discussion du fait, on me demandera si je n'ai pas vu des baleines se jouer dans la Seine ou des colibris nicher sur les arbres du Palais-Royal. Comme à mon ordinaire, je n'ai que deux mots à répondre : « J'ai vu, vous pourrez voir. »

« Voulez-vous venir passer avec moi la journée à la campagne? (me disait jeudi dernier madame de Lorys). - Je suis bien frileux ; il a encore gelé cette nuit, et je ne vois pas bien ce qu'avant un mois on peut aller faire dans la forêt de Senart: je n'en suis

pas moins prêt à vous suivre. — Qui vous parle de la forêt de Senart? nous ne sortirons pas de Paris.— Mais il était question de campagne? - Sans doute, de la campagne à Paris. J'entends: d'un bal champêtre dans la Cité?- Non pas: d'une véritable maison des champs, sise dans l'île Saint-Louis, où vous trouverez, sous les formes les plus aimables de la ville, toute la simplicité des mœurs patriarcales, toutes les vertus unies à toutes les graces; où vous admirerez pour la première fois peut-être l'alliance de l'opulence et de l'économie, de l'ordre et de la liberté, de la décence et du plaisir. — Eh vite! partons, madame; on n'arrive jamais trop tôt pour voir un miracle.

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Nous montons en voiture; nous prenons notre chemin le long des quais de la rive droite de la Seine, et nous entrons dans l'ile Saint-Louis par le pont la Tournelle. Nous passons devant ce fameux hôtel Bretonvilliers où les fermiers-généraux tenaient autrefois leurs assises; et à l'extrémité de la rue dite des Deux-Ponts, vers la pointe orientale de l'île, nous arrivons par une longue allée plantée d'arbres à la maison de M. de Mérange, remarquable à l'extérieur par la plus élégante simplicité.

<< Il n'est encore que dix heures, me dit madame de Lorys; je sais où nous trouverons le maître du logis. " Nous tournons autour de la maison, et au bout d'un jardin très vaste nous entrons, par une galerie vi

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trée qui sert d'orangerie, dans la serre chaude, où M. de Mérange était occupé à donner une leçon de botanique à son fils, tandis que sa fille dessinait des fleurs.

Madame de Lorys fut reçue avec les témoignages de la plus respectueuse affection, et M. de Mérange, que j'avais déja vu plusieurs fois chez elle, m'accueillit avec une extrême bienveillance. La leçon, dont le maître et les élèves se faisaient un plaisir, continua en notre présence, et j'eus l'occasion de reconnaître la vérité de ce précepte de l'auteur d'Émile: « Les enfants ne peuvent jamais avoir de meilleur précepteur que leur père. »

M. de Mérange est un homme de cinquante ans environ, d'une taille et d'une figure distinguées. La politesse de ses manières, qui n'est pas exempte d'une sorte de brusquerie, est une suite de sa bonté naturelle; il aime les hommes, sans avoir pour eux un grand fonds d'estime, et au bien qu'il en dit on peut deviner le mal qu'il en pense.

A peine sortis de l'enfance, Charles et Caroline ont toute la grace, toute l'espièglerie de leur âge, sans aucun de ses inconvénients: ils sont curieux sans être indiscrets, et familiers sans être importuns; à dix ou onze ans, ils savent plus et mieux qu'on n'en sait communément à quinze. En témoignant ma surprise à M. de Mérange sur une éducation si précoce, je m'informai de la méthode qu'il avait suivie.

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