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sion du genou de mademoiselle Amélie contre le mien. Je tournai les yeux sur elle; les siens se baissèrent avec une modestie si comique, que peu s'en fallut que je ne trahisse l'amoureux mystère par un grand éclat de rire. Je reconnus dès-lors le rôle que je jouais dans la petite comédie que se donnait M. de Gréville aux dépens de ces dames et aux

miens.

Je pris le parti d'en rire avec lui en sortant de table; mais, quoi qu'il pût faire, je ne jugeai pas à propos de pousser la plaisanterie plus loin; et sans égard aux sollicitations de madame Dubourg, qui me flattait de l'espoir d'entendre son Amélie jouer, à livre ouvert, un concerto de Steibelt (qu'elle étudiait depuis dix ans); de la voir danser un bollero avec accompagnement de castagnettes; sans faire at tention au regard dédaigneusement courroucé que mademoiselle Amélie laissa tomber sur moi, je sortis de cette maison, moins fier de ma conquête que satisfait des observations que j'avais faites. Il y a des gens et des choses qu'il faut voir; l'imagination ne les devinerait pas.

ERMITE DE LA GUIANE, T. I.

15

m

no xxi. [13 déceMBRE 1815.]

LES JONGLEURS INDIENS

A PARIS.

Quod adest præsto (nisi quid cognovimus ante
Suavius) imprimis placet.

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LUCR., liv. V.

Tout ce qui s'offre à nous (à moins qu'il n'ait été

précédé de quelque chose de plus extraordinaire) est

en droit de nous plaire par sa nouveauté.

Si je m'étais contenté d'intituler ce discours les jongleurs, on aurait pu exiger de moi que je traitasse un pareil sujet dans toute son étendue. Je me verrais dans la nécessité de parler de ces jongleurs politiques qui ont le secret de faire passer un royaume à travers un traité d'alliance sans le déchirer (c'està-dire sans déchirer le traité); qui placent une guinée sous chacun de leurs gobelets, et y font trouver une province; qui se tiennent en équilibre sur un seul pied au sommet d'une pyramide dont ils déplacent à volonté la base.

Je serais forcé de faire mention de ces jongleurs

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de tribune qui ont toujours un préjugé à mettre à la place d'une raison, et qui passent leur vie à souffler en l'air des bulles de savon qu'ils veulent nous faire prendre pour des étoiles.

Je ne pourrais me dispenser de vouer au ridicule et à l'opprobre ces jongleurs d'antichambre qui escamotent une place avec tant d'adresse; qui font passer d'une bourse dans l'autre l'argent des spectateurs, et qui dansent sans balancier sur la corde à laquelle ils finissent quelquefois par rester suspendus.

Je serais nécessairement conduit à dire deux mots de ces jongleurs littéraires qui vendent au poids de l'or le papier qu'ils salissent; qui taillent une plume comme on aiguise un poignard, et qui parviennent quelquefois à achalander les drogues ou les poisons qu'ils débitent, à l'aide des compères qu'ils ont soin de distribuer dans la salle.

Mais je me suis expliqué: c'est uniquement des jongleurs de profession qu'il s'agit, et particulièrement des jongleurs indiens, près desquels nos Comus, nos Pinetti, nos Olivier, ne sont que des écoliers maladroits.

Pendant un séjour de plusieurs années sur les bords du Gange, j'ai eu souvent occasion de voir et d'admirer la prodigieuse adresse d'une classe d'hommes que l'on serait tenté de croire organisés, à certains égards, d'une manière beaucoup plus parfaite que les autres, tant il est difficile d'expliquer

comment, avec les mêmes organes, ils peuvent exécuter des mouvements et des actions qui semblent appartenir à une autre nature. L'habileté des jongleurs de l'Inde ne consiste pas, comme celle de leurs confrères d'Europe, à fasciner les yeux par des apparences, mais à produire, sans aucun prestige, des effets dont il est impossible de se rendre compte par les lois ordinaires de la physique. Avant d'en venir aux jongleurs indiens que l'on voit en ce moment à Paris, et du talent desquels je me suis assuré par mes yeux, je veux faire connaître l'espéce entière à mes lecteurs. Il me suffira pour cela de citer quelques fragments d'un chapitre du journal de mes voyages.

Les jongleurs se divisent en quatre classes: les caradivis (joueurs de gobelets); les tombairs (faiseurs de tours de force); les chottis (lutteurs), et les pambatis (enchanteurs de serpents). Ces différentes troupes (composées pour l'ordinaire de cinq acteurs, en comptant le musicien qui en fait partie) se réunissent dans les grandes villes, à certaines fêtes solennelles. Plus de cent mille étrangers sont accourus cette année (1790) à Bénarès, de toutes les parties de l'Indoustan, pour y voir la bande de jongleurs la plus nombreuse et la plus étonnante que la fête de la Dourga1 ait encore attirée. J'assistai

Dourga ou Drugha, divinité indienne, femme de Sieble le des

hier à leurs jeux, qui tiennent véritablement du prodige.

« Les caradivis parurent les premiers sur une estrade carrée que l'on avait élevée au milieu de la place qui sert de parvis à la grande pagode. Leurs tours de gobelets sont à-peu-près les mêmes qu'exécutent les escamoteurs européens; mais ils exigent plus d'adresse, parceque les caradivis sont presque nus, n'ont point de gibecière, point de table, et se servent de gobelets de cuivre d'une dimension très petite, qui ne laisse pas la possibilité d'y pratiquer un double fond. Le tour qui m'a le plus étonné est celui-ci : le caradivis avait placé bien ostensiblement une muscade sous chacun de ses gobelets; j'étais auprès de lui, et il m'avait vu sourire une ou deux fois de l'air d'un homme qui n'était pas sa dupe. Il m'invita malignement à désigner le gobelet sous lequel je voulais que s'opérât la métamorphose de la muscade; j'indiquai le gobelet dont j'étais le plus éloigné, et dont je croyais être sûr qu'il n'avait pas approché la main. A sa prière, je levai moi-même le gobelet, et je ne pus retenir un cri d'effroi à la vue d'un serpent qui se déroula précipitamment, et parut vouloir s'élancer sur moi en se dressant sur sa queue.

tructeur, et déesse de la volupté : sa fête se célèbre le septième jour de la lune de septembre, et dure une semaine entière.

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