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de Visé, Subligny, Robinet (1), l'abbé d'Aubignac, Thomas Corneille, etc., doivent presque leur célébrité à la part qu'ils ont prise à toutes ces mêlées.

Quand elle sort du théâtre, où les querelles s'enveniment trop vite, la critique purement littéraire, moins agressive, n'en est pas moins piquante et instructive même dans les livres où elle ne paraît qu'à de rares échappées. On la trouve telle dans les lettres de Mme de Sévigné, dans les Maximes de La Rochefoucauld sur le goût, dans les Pensées de Pascal et particulièrement dans son Art de persuader, dans l'Histoire de l'Académie française de Pellisson, dans certains passages de la Recherche de la vérité de Malebranche, notamment au chapitre des Inclinations, dans les Maximes sur la comédie et dans quelques autres endroits des œuvres de Bossuet, dans les préfaces, les lettres et l'Épitre à Huet de La Fontaine, dans Bayle, dans Basnage son continuateur, dans Ch. Perrault, dans Fontenelle et dans La Motte; mais aucun de ceux-là n'a, dans le domaine de la critique, poussé si avant que les cinq auteurs qui font la matière de ce livre.

III

LIEN QUI RATTACHE LES UNS AUX AUTRES LES CINQ AUTEURS QUI SONT L'OBJET DE CE LIVRE

Chapelain, Saint-Evremond, Boileau, La Bruyère, Fénelon n'ont jamais été des critiques littéraires de pro

(1) Voir sur eux: M. Deltour, les Ennemis de Racine; sur eux et sur quelques autres critiques d'ordre inférieur que nous omettons ici: M. V. Fournel, la Littérature indépendante et les écrivains oubliés au XVIIe siècle, chez Didier.

fession, voilà d'abord ce qu'on doit reconnaître. Chapelain et Boileau sont, avant tout, des poètes. SaintEvremond, qui avait commencé par être un homme de guerre, resta toute sa vie un lettré, un dilettante littéraire, une façon d'humoriste. La Bruyère est un moraliste et Fénelon un homme d'église. Mais tous les cinq, nous le répétons, ont accordé dans leurs œuvres une part plus considérable à la critique littéraire que ceux que nous avons énumérés plus haut, ils l'ont fait progresser, ils l'ont élargie. Ils ont assisté à un développement littéraire prodigieux, ils s'y sont mêlés eux-mêmes, préoccupés soit de le diriger, soit tout au moins de le comprendre et de l'expliquer, ils ont abordé leur tâche avec une grande diversité d'humeurs, étant dans une grande inégalité de valeur intellectuelle et de position sociale, à des époques distinctes du grand siècle; ils ont donc vraiment éclairé, guidé l'opinion publique en matière littéraire, ils ont été les porte-voix écoutés du goût. La critique apparaît avec eux, sous des faces curieuses, à des dates importantes: 1640, 1661, 1688, 1713, qui séparent, à peu près, les principales périodes de ce siècle fameux. Il est cependant possible de rattacher nos cinq critiques les uns aux autres par un lien assez étroit.

Chapelain, placé trop haut de son temps, trop bas du nôtre, fut un poète fort médiocre et un critique supportable seulement en quelques parties; mais, malgré beaucoup de prétention et d'obscurité, malgré des tempéraments étudiés dans l'appréciation des mauvais et aussi des bons ouvrages, malgré une lourdeur pédantesque dans le fond et dans la forme, il a élevé, du premier coup, la critique assez haut en la faisant dogmatique. C'est au nom des règles qu'il a parlé. Si dans l'application qu'il en a faite ou cru faire, il s'est quelquefois trompé, il a toujours eu de l'érudition et, par occasion,

du sens et de l'esprit : il a eu le sentiment de l'impor

tance de la critique.

Saint-Evremond, qui semble avoir eu beaucoup plus d'indépendance que lui dans la pensée, et jugé tout, selon ses humeurs, avec une négligence voulue, appuie cependant sa critique sur des principes bien arrêtés. Il ne s'affuble pas du bonnet du docteur; mais son enjouement n'est que d'apparence. Son scepticisme s'arrête au seuil de la critique littéraire.

Boileau éclipse complètement Chapelain, jette sur lui le discrédit et le ridicule; mais il suit le même chemin que lui en s'érigeant non seulement en critique, mais en théoricien littéraire. Chapelain formulait des règles, en inventait même; Boileau soumet tous ses jugements à un criterium, la raison.

Pour La Bruyère et Fénelon, ils font moins appel à la raison qu'à leur sens propre, et, par là, ne sont vraiment plus du siècle de Descartes. Ils professent sans doute une grande admiration pour Boileau et respectent beaucoup de ses jugements; mais, au fond, ils s'éloignent de lui. La ligne de séparation est à peine perceptible entre Boileau et La Bruyère; mais elle se creuse brusquement, quand on arrive à Fénelon.

Tels sont les principes dont dépend la critique de nos cinq auteurs; voici maintenant l'usage qu'ils en ont fait. La critique est presque impersonnelle avec Chapelain, qui se retranche derrière les règles et croit, grâce à elles, rendre des oracles infaillibles. De l'oracle, il a le ton, mais non l'infaillibilité. Elle a revêtu la forme la plus délicate et la plus attrayante dans Saint-Evremond. Elle est presque impeccable avec Boileau, qui emploie au service de la vérité et de la raison un esprit quelquefois étroit, mais sûr, vif et vigoureux. Elle hésite avec La Bruyère et chancelle parfois avec Fénelon; mais elle leur

suggère à tous de fins aperçus, stimule leur talent, et leur inspire, en dépit de quelques erreurs, de beaux mouvements, des traits même d'éloquence sur les points où ils ont des lumières particulières.

Sans ses travaux de critique, Chapelain ne serait plus abordable aujourd'hui. Le meilleur de Saint-Evremond et de Boileau, c'est peut-être ce qu'ils ont donné à la critique littéraire. Il n'en va pas tout à fait de même pour La Bruyère et pour Fénelon; cependant le chapitre des Ouvrages de l'esprit, les Dialogues sur l'éloquence, la Lettre à l'Académie française ont été quelquefois regardés comme des codes de critique littéraire.

tout cela de plus près.

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