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NICOLAS BOILEAU-DESPRÉAUX

(1636-1711)

BOILEAU-DESPRÉAUX

I

LE RÔLE QUE BOILEAU AVAIT A JOUER, APRÈS CHAPELAIN

Avec Saint-Évremond, la critique littéraire faisait, avons-nous dit, un agréable détour; avec Boileau, elle rentre dans son courant classique. Boileau est, à ce titre, le successeur immédiat de Chapelain.

Quand l'un finit, l'autre commence. La liste des gens de lettres recommandés par Chapelain aux libéralités du roi, qui date de 1663, est le dernier effort du vieux critique, le dernier rayon qu'ait jeté sa gloire; la deuxième satire de Despréaux, qui est de 1664, est le premier pas de sa course dans la même carrière. Ce n'est cependant pas le lieu de rappeler, à leur propos, la célèbre expression de Lucrèce : ils ne se passèrent pas, comme des coureurs, le flambeau de la critique, de la main à la main. Jamais successeur ne fut plus hostile à son devancier que Boileau le fut à Chapelain; on ne peut pas rencontrer non plus deux caractères plus différents. On trouve là une première explication de l'animosité déployée par l'auteur des Satires contre le père de la Pucelle; on peut et on doit en chercher d'autres ailleurs. Il ne s'agissait pas pour le nouveau venu d'avoir pour un vieux jouteur une politesse

qui aurait pu paraître de la faiblesse, des ménagements qu'on eût pris pour des compromis; la cause à soutenir et à faire triompher était bien au-dessus d'une question de personnalité, puisque c'était celle même du goût. Il fallait frapper fort et juste, pour forcer le vaincu à confesser sa défaite, ou, tout au moins, pour désabuser le public et lui faire voir de quel côté était le bon droit.

Ah! le difficile, mais le beau rôle à jouer, en 1660, pour le critique littéraire, que de renverser des idoles indignes de l'encens que leur offraient encore, par habitude, d'aveugles adorateurs, et, d'autre part, de saluer et de désigner aux hommages de la cour et de la ville les hommes de génie naissants! Il fallait, pour mener à bien cette tâche, avoir l'humeur batailleuse, la haine des sots écrits et des mauvais auteurs, être assez intrépide pour tenir tête aux mécontents et, en dépit de tout et de tous, s'opiniâtrer dans son sens. Il fallait avoir aussi une âme désintéressée, généreuse, ardente, enthousiaste du bien non moins que du beau, de façon à goûter et à faire goûter Racine, à défendre Molière, non seulement après sa mort mais encore pendant sa vie, à aimer Corneille même vieilli. Guider, chérir de tels hommes, quel lot glorieux, disons-nous; mais leur faire la place nette, dégager les abords du Temple du Goût, qui est aussi, pour les littérateurs, le Temple de la Gloire, que cela était peu aisé! Les degrés et le sanctuaire même en étaient encombrés par tant de médiocrités triomphantes qu'elles y avaient presque étouffé un Corneille, dans des poussées tumultueuses et savamment hostiles, et qu'elles devaient, longtemps encore, essayer de barrer la route à ses émules. On les voit nommés, ces écrivains médiocres, dans la célèbre allégorie de Voltaire à laquelle il est fait ici allusion; ils se trouvent tous dans les satires de Boileau. Replaçons-les nousmême ici dans le cadre et à la date où ils ont vécu. Ce

tableau est une pièce nécessaire à toute étude sur Boileau. Il importe de bien déterminer à qui il avait affaire pour comprendre ce qu'il a fait.

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En 1661, l'Académie française était fondée, depuis vingt-cinq ans. L'hôtel de Rambouillet, qui avait fermé ses portes depuis treize ans, semblait avoir légué ses pouvoirs et transmis ses goûts à bon nombre de cercles, qui lui avaient succédé, entre autres au Samedi de M1le de Scudéry; la génération, composée toute d'académiciens ou d'anciens habitués de la Chambre bleue, qui fleurissait et brillait en littérature, depuis vingt-cinq ans, était parvenue à l'apogée de sa réputation. Elle avait vieilli, il est vrai, et allait commencer à décliner; mais elle avait formé autour d'elle de zélés admirateurs, dont la faiblesse s'accommodait très bien d'imiter et de continuer de pareils maîtres. Loin que la date de 1661 différât sensiblement de celle de 1640, elle semblait plutôt ne devoir rien changer à l'ancien état de choses; elle menaçait même de l'empirer. Pour remédier au mal, il s'agissait donc d'attaquer hardiment les coryphées de cette décadence, plutôt que les obscurs tritagonistes qui venaient à leur suite. Siffler Perrin, Bonnecorse, Titreville, et cent autres de même force, c'était bien; mais prendre corps à corps Chapelain, Scudéry, Saint-Amant, Cotin, l'auteur du Cyrus, était plus urgent. Il est vrai que, d'autre part, un esprit nouveau commençait à souffler: quelques lettres frondeurs

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