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du quatrième vers, on en fit encore un au septième; aussi que les élégies eussent un sens parfait de quatre vers en quatre vers, même de deux en deux s'il se pouvait,» etc.

Les vers dans lesquels Boileau approuve les réformes de Malherbe sont reproduits p. 84 de ce livre.

Voici deux exemples de versification de Malherbe.]

1. Consolation à M. du Périer1 sur la mort de sa fille (écrite après 1599 et imprimée 1607)

Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas?

Je sais de quels appas son enfance était pleine,

Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine

Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses

Ont le pire destin;

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,

L'espace d'un matin.

Puis quand ainsi serait, que selon ta prière
Elle aurait obtenu

D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il advenu?

1 Avocat au Parlement d'Aix, en Savoie.

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Penses-tu que plus vieille en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil?

Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil?

Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
Ote l'âme du corps,

L'âge s'évanouit au deçà de la barque,

Et ne suit point les morts

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C'est bien, je le confesse, une juste coutume,
Que le cœur affligé,

Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d'être allégé.

Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,

Celui qui ne s'émeut a l'âme d'un barbare,
Ou n'en a du tout point.

Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,

N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui?

Priam, qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support

Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.

François,' quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son Dauphin,

1 Son fils aîné mourut prisonnier en Espagne en 1536. On accusa Charles-Quint de l'avoir fait empoisonner.

Sembla d'un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n'eussent point de fin.

Il les sécha pourtant, et comme un autre Alcide1
Contre fortune instruit,

Fit qu'à ses ennemis d'un acte si perfide
La honte fut le fruit.2

De moi, déjà deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus,3

Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre,
Qu'il ne m'en souvient plus...

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles;`›
On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,

Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.

De murmurer contre elle et perdre patience,
Il est mal à propos;

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science

Qui nous met en repos.

1 Hercule, petit-fils d'Alcée.

2 François I° se vengea sur Sébastien de Montecuculli, échanson de Charles-Quint. L'innocence de Montecuculli est aujourd'hui reconnue. Selon la fable, Lycos, tyran de Thèbes, voulut faire mourir la femme et les enfants d'Hercule pendant que celui-ci était descendu aux enfers; mais Hercule revient à temps, entre dans une furieuse colère, et tue Lycos.

'Malherbe perdit ses deux enfants; Henri à deux ans en 1587, Jourdaine à huit ans en 1599.

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2. Paraphrase du psaume cent quarante-cinquième1

(Lauda, anima mea,

Dominum)

N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde;
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre;
C'est Dieu qui nous fait vivre,

C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,

Nous passons près des rois tout le temps de nos vies

A souffrir des mépris et ployer les genoux.

10 Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont comme nous sommes Véritablement hommes,

Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière

15 Dont l'éclat orgueilleux étonnait l'univers;

Et dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,

Ils sont mangés des vers.

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,

20 D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre; Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs, Et tombent avec eux d'une chute commune

Tous ceux que leur fortune

Faisait leurs serviteurs.

1 Psaume CXLVI de la Bible anglaise.

II. DEUX RÉVOLTÉS CONTRE MALHERBE

1. MATHURIN RÉGNIER

1573-1613

Extraits de la Satire IX, au poète Rapin1

Pensent-ils des plus vieux2 offensant la mémoire,
Par le mépris d'autrui s'acquérir de la gloire?
Et pour quelque vieux mot étrange ou de travers,
Prouver qu'ils ont raison de censurer leurs vers?
Alors qu'une œuvre brille et d'art et de science,
La verve quelquefois s'égaye en la licence...
Cependant leur savoir ne s'étend seulement
Qu'à regratter un mot douteux au jugement,
Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphtongue
Épier si des vers la rime est brève ou longue,
Ou bien si la voyelle à l'autre s'unissant

Ne rend point à l'oreille un vers trop languissant;
Et laissent sur le vert le noble de l'ouvrage.
Nul aiguillon divin n'élève leur courage;
Ils rampent bassement, faibles d'inventions,
Et n'osent, peu hardis, tenter les fictions,
Froids à l'imaginer: car s'ils font quelque chose
C'est proser de la rime et rimer de la prose,
Que l'art lime et relime, et polit de façon
Qu'elle rend à l'oreille un agréable son;

Et voyant qu'un beau feu leur cervelle n'embrase,

1 L'un des auteurs de la Satire Ménippée. La Satire IX est dirigée contre Malherbe et son École. Voir note d'introduction à Malherbe, pp. 3-5.

2 Les poètes de la génération précédente, La Pléiade.

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