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espérances? «Vanité des vanités, et tout est vanité.»> C'est la seule parole qui me reste; c'est la seule réflexion que me permet, dans un accident si étrange, une si juste et si sensible douleur. Aussi n'ai-je point parcouru les livres sacrés pour y trouver un texte que je pusse appliquer à cette princesse. J'ai pris sans étude et sans choix les premières paroles que me présente l'Ecclésiaste, où, quoique la vanité ait été si souvent nommée, elle ne l'est pas encore assez à mon gré pour le dessein que je me Io propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines. Ce texte, qui convient à tous les états et à . tous les évènements de notre vie, par une raison particu15 lière devient propre à mon lamentable sujet, puisque jamais les vanités de la terre n'ont été si clairement découvertes, ni si hautement confondues. Non, après ce que nous venons de voir, la santé n'est qu'un nom, la vie n'est qu'un songe, la gloire n'est qu'une apparence, 20 les grâces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux amusement: tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes.

Mais dis-je la vérité? L'homme, que Dieu a fait à son 25 image, n'est-il qu'une ombre? Ce que Jésus-Christ est venu chercher du ciel en la terre, ce qu'il a cru pouvoir, sans se ravilir, acheter de tout son sang, n'est-ce qu'un rien? Reconnaissons notre erreur. Sans doute ce triste spectacle des vanités humaines nous imposait; et l'espé30 rance publique, frustrée tout à coup par la mort de cette princesse, nous poussait trop loin. Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant

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avec les impies que notre vie n'est qu'un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs. C'est pour cela que l'Ecclésiaste, après avoir commencé son divin ouvrage par les paroles que j'ai récitées, après en avoir rempli toutes les pages du mépris des choses humaines, veut enfin montrer à l'homme quelque chose de plus solide, et conclut tout son discours en disant: «Crains Dieu, et garde ses commandements; car c'est là tout l'homme, et sache que le Seigneur examinera dans son jugement tout ce que nous au- 10 rons fait de bien ou de mal.» Ainsi tout est vain en

qu'il donne au monde;

l'homme, si nous regardons ce mais au contraire, tout est important, si nous considérons ce qu'il doit à Dieu. Encore une fois, tout est vain en l'homme, si nous regardons le cours de sa vie 15 mortelle; mais tout est précieux, tout est important, si nous contemplons le terme où elle aboutit et le compte qu'il en faut rendre. Méditons donc aujourd'hui, à la vue de cet autel et de ce tombeau, la première et la dernière parole de l'Ecclésiaste; l'une qui montre le néant 20 de l'homme, l'autre qui établit sa grandeur. Que ce tombeau nous convainque de notre néant, pourvu que cet autel, où l'on offre tous les jours pour nous une victime d'un si grand prix, nous apprenne en même temps notre dignité. La princesse que nous pleurons sera un 25 témoin fidèle de l'un et de l'autre. Voyons ce qu'une mort soudaine lui a ravi; voyons ce `qu'une sainte mort lui a donné. Ainsi nous apprendrons à mépriser ce qu'elle a quitté sans peine, afin d'attacher toute notre estime à ce qu'elle a embrassé avec tant d'ardeur, lorsque son 30 âme, épurée de tous les sentiments de la terre et pleine du ciel où elle touchait, a vu la lumière toute manifeste.

Voilà les vérités que j'ai à traiter, et que j'ai cru dignes d'être proposées à un si grand prince et à la plus illustre assemblée de l'univers.

I

«Nous mourons tous,» disait cette femme dont l'Écri5 ture a loué la prudence au second Livre des Rois, «et nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour.» En effet nous ressemblons tous à des eaux courantes. De quelque superbe distinction que se flattent les hommes, ils ont tous une même origine; Io et cette origine est petite ...

Et certainement, Messieurs, si quelque chose pouvait élever les hommes au-dessus de leur infirmité naturelle; si l'origine qui nous est commune souffrait quelque distinction solide et durable entre ceux que Dieu a formés de 15 la même terre, qu'y aurait-il dans l'univers de plus distingué que la princesse dont je parle? Tout ce que peuvent faire, non seulement la naissance et la fortune, mais encore les grandes qualités de l'esprit pour l'élévation d'une princesse, se trouve rassemblé, et puis anéanti dans 20 la nôtre. De quelque côté que je suive les traces de sa glorieuse origine, je ne découvre que des rois, et partout je suis ébloui de l'éclat des plus augustes couronnes. Je vois la maison de France, la plus grande sans comparaison de tout l'univers; et à qui les plus grandes maisons peu25 vent bien céder sans envie, puisqu'elles tâchent1 de tirer leur gloire de cette source. Je vois les rois d'Écosse,2 les rois d'Angleterre, qui ont régné depuis tant de siècles

1 Par des mariages.

2 Jacques VI d'Écosse, grand-père d'Henriette, était devenu Jacques I° d'Angleterre.

sur une des plus belliqueuses nations de l'univers plus encore par leur courage que par l'autorité de leur sceptre. Mais cette princesse, née sur le trône, avait l'esprit et le cœur plus hauts que sa naissance. Les malheurs de sa maison n'ont pu l'accabler dans sa première jeunesse, 5 et dès lors on voyait en elle une grandeur qui ne devait rien à la fortune. Nous disions avec joie que le ciel l'avait arrachée, comme par miracle, des mains des ennemis du roi son père, pour la donner à la France: don précieux, inestimable présent, si seulement la possession en avait 10 été plus durable! Mais pourquoi ce souvenir vient-il m'interrompre? Hélas! nous ne pouvons un moment arrêter les yeux sur la gloire de la princesse sans que la mort s'y mêle aussitôt pour tout offusquer de son ombre. O mort, éloigne-toi de notre pensée; et laisse-nous tromper 15 pour un peu de temps la violence de notre douleur par le souvenir de notre joie. Souvenez-vous donc, Messieurs, de l'admiration que la princesse d'Angleterre donnait à toute la cour. Votre mémoire vous la peindra mieux avec tous ses traits et son incomparable douceur que ne pour- 20 ront jamais faire toutes mes paroles. Elle croissait au milieu des bénédictions de tous les peuples; et les années ne cessaient de lui apporter de nouvelles grâces. Aussi la reine sa mère, dont elle a toujours été la consolation, ne l'aimait pas plus tendrement que faisait Anne d'Es- 25 pagne.1 Anne, vous le savez, Messieurs, ne trouvait rien au-dessus de cette princesse. Après nous avoir donné une reine,2 seule capable par sa piété et par ses autres

1 Anne d'Espagne, plus généralement connue sous le nom d'Anne d'Autriche (1601-1666), fille de Philippe III d'Espagne, épousa Louis XIII en 1615, et fut la mère de Louis XIV.

2 Marie-Thérèse (1638-1683) fille de Philippe IV d'Espagne, donc nièce d'Anne d'Autriche. Elle avait épousé Louis XIV en 1660.

vertus royales de soutenir la réputation d'une tante si illustre, elle voulut, pour mettre dans sa famille ce que l'univers avait de plus grand, que Philippe de France1 son second fils épousât la princesse Henriette; et quoique 5 le roi d'Angleterre, dont le cœur égale la sagesse, sût que la princesse sa sœur, recherchée de tant de rois,2 pouvait honorer un trône, il lui vit remplir avec joie la seconde place de France, que la dignité d'un si grand royaume peut mettre en comparaison avec les premières du reste IO du monde.

Que si son rang la distinguait, j'ai eu raison de vous dire qu'elle était encore plus distinguée par son mérite. Je pourrais vous faire remarquer qu'elle connaissait si bien la beauté des ouvrages de l'esprit, que l'on croyait 15 avoir atteint la perfection, quand on avait su plaire à Madame. Je pourrais encore ajouter que les plus sages et les plus expérimentés admiraient cet esprit vif et perçant, qui embrassait sans peine les plus grandes affaires, et pénétrait avec tant de facilité dans les plus secrets in20 térêts. Mais pourquoi m'étendre sur une matière où je puis tout dire en un mot? Le roi, dont le jugement est une règle toujours sûre, a estimé la capacité de cette princesse, et l'a mise par son estime au-dessus de tous nos éloges.

Cependant, ni cette estime, ni tous ces grands avan25 tages n'ont pu donner atteinte à sa modestie. Tout éclairée qu'elle était, elle n'a point présumé de ses connaissances, et jamais ses lumières ne l'ont éblouie . . . On les sait bien connaître, quand on fait sérieusement l'étude 1 Le duc d'Orléans, frère de Louis XIV.

2 Avant son mariage avec le duc d'Orléans, l'empereur d'Autriche, Léopold Io, le roi de Portugal, Alphonse VI et le duc de Savoie, Charles-Emmanuel II, avaient été des prétendants à la main d'Hen

riette.

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