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pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l'aimer; et qu'ainsi nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et nos concupiscences nous en détournant, nous sommes pleins d'injustice. Il faut qu'elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien; il faut qu'elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances, et les moyens d'obtenir ces remèdes. Qu'on examine sur cela toutes les religions du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse ...

Art. XX. 19. On n'entend rien aux ouvrages de Dieu, si on ne prend pour principe qu'il a voulu aveugler les uns et éclairer les autres.

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ΙΟ

Art. XXIV.-5. Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point; on le sait en mille choses. Je dis que 15 le cœur aime l'être universel naturellement, et soi-même naturellement, selon qu'il s'y adonne; et il se durcit contre l'un ou l'autre, à son choix. Vous avez rejeté l'un et conservé l'autre: est-ce par raison que vous aimez? C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce 20 que c'est que la foi: Dieu sensible au cœur, non à la raison.

64. Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne; mais, entre tous ceux que le monde a inventés, il n'y en a point qui soit plus à craindre que la comédie. C'est une représentation si naturelle et si 25 délicate des passions, qu'elle les émeut et les fait naître dans notre cœur, et surtout celle de l'amour: principalement lorsqu'on le représente fort chaste et fort honnête. Car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, plus elles sont capables d'en être touchées. Sa violence plaît 30

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à notre amour-propre, qui forme aussitôt un désir de causer les mêmes effets que l'on voit si bien représentés; et l'on se fait en même temps une conscience fondée sur l'honnêteté des sentiments qu'on y voit, qui ôtent la crainte des âmes pures, qui s'imaginent que ce n'est pas blesser la pureté, d'aimer d'un amour qui leur semble si sage. Ainsi, l'on s'en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l'amour, et l'âme et l'esprit si persuadés de son innocence, qu'on 10 est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l'occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu'un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l'on a vus si bien dépeints dans la comédie.

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Art. XXV. II. Si un animal faisait par esprit ce qu'il fait par instinct, et s'il parlait par esprit ce qu'il parle par instinct pour la chasse et pour avertir ses camarades que la proie est trouvée ou perdue, il parlerait bien aussi pour des choses où il a plus d'affection, comme pour 20 dire: Rongez cette corde qui me blesse et où je ne puis atteindre.

LE MYSTÈRE DE JÉSUS

.. Console toi: tu ne chercherais pas, si tu ne m'avais trouvé.

Je pense à toi dans mon agonie; j'ai versé telles gouttes 25 de sang pour toi . . .

Laisse-toi conduire à mes règles; vois comme j'ai bien conduit la Vierge et les Saints, qui m'ont laissé agir en

eux.

Le Père aime tout ce que JE fais.

Veux-tu qu'il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu donnes des larmes?

C'est mon affaire que ta confession; ne crains point, et prie avec confiance, comme pour moi . . .

Les médecins ne te guériront pas; car tu mourras à la fin. Mais c'est moi qui guéris et rends le corps immortel. Souffre les chaînes et la servitude corporelles; je ne te délivre que de la spirituelle à présent.

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Je te suis plus ami que tel et tel; car j'ai fait pour toi 10 plus qu'eux, et ils ne souffriraient pas ce que j'ai souffert de toi, et ne mourraient pas pour toi dans le temps de tes infidélités et cruautés, comme j'ai fait, et comme je suis prêt à faire et fais, dans mes élus et au Saint Sacrement ...

Je t'aime plus ardemment que tu n'as aimé tes souillures. Ut immundus pro luto.1

Qu'à moi en soit la gloire, et non à toi, ver et terre . . .

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Je te parle et te conseille souvent . . . car je ne veux pas que tu manques de conducteur . . . Tu ne me chercherais 20 pas si tu ne me possédais; ne t'inquiète donc pas ..

1 Comme l'homme immonde pour sa fange.

CHAPITRE HUIT

BOSSUET

1627-1704

1. Oraison funèbre de Henriette-Anne d'Angleterre, duchesse d'Orléans

Prononcée à Saint-Denis,1 le 21 jour d'août 1670,
en présence du prince de Condé

[Henriette d'Angleterre (1644-1670), fille cadette de Charles Io d'Angleterre (1600-1649), condamné à mort par Cromwell, et de Henriette de France (1609-1660), fille de Henri IV et de Marie de Médicis. Henriette naquit à Exeter, où sa mère s'était réfugiée pour échapper aux révolutionnaires. Sa mère se sauva ensuite en France, et l'enfant, d'abord prisonnière en Angleterre, fut ramenée deux ans plus tard auprès de sa mère par le courage de sa gouvernante qui réussit à s'enfuir d'Angleterre avec la princesse. Celle-ci fut élevée en France, et la jeune Henriette, extrêmement belle, spirituelle et gracieuse, était devenue bientôt la favorite de la cour de France. En 1661, elle épousa Monsieur, duc d'Orléans, frère de Louis XIV. A côté de la vie frivole de la cour, elle s'intéressa aux choses intellectuelles. Elle protégea les gens de lettres, surtout Corneille, Racine et Molière. (Voir les Dédicaces à l'École des femmes, 1662, et à Andromaque, 1667.) Et c'est elle qui avait suggéré le sujet de Bérénice (1669) au vieux Corneille et au jeune Racine. Elle avait su gagner la confiance du roi; et en 1670, elle fut chargée par lui d'une très importante mission diplomatique auprès de son frère, qui était entre-temps (1660) remonté sur le trône d'Angleterre sous le nom de Charles II. Elle obtint de lui un traité d'alliance avec la France (Traité de Douvres). Quelques semaines plus tard, elle mourut très soudainement à Saint-Cloud. Elle n'avait que 26 ans. On avait cru d'abord à un empoisonnement, mais l'autopsie prouva

1 Près de Paris; dans la cathédrale se trouvent les tombeaux des rois de France.

qu'il n'en était rien. Bossuet avait été appelé auprès de Madame quelques instants avant sa mort, et il l'avait vue courageuse et douce dans son agonie. L'émotion causée à Paris par cette mort foudroyante est décrite dans le discours de Bossuet.]

Vanitas vanitatum, dixit Ecclesiastes: vanitas vanitatum, et omnia vanitas.

Vanité des vanités, a dit l'Ecclésiaste: vanité des vanités, et tout est vanité.

Monseigneur, j'étais donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à très haute et très puissante princesse Henriette-Anne d'Angleterre, duchesse d'Orléans. Elle, que j'avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à la reine sa mère,2 devait être sitôt après le 5 sujet d'un discours semblable; et ma triste voix était réservée à ce déplorable ministère. O vanité! ô néant! ô mortels ignorants de leurs destinées! L'eût-elle cru il y a dix mois? Et vous, Messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versait tant de larmes en ce lieu,3 qu'elle dût sitôt 10 vous y rassembler pour la pleurer elle-même? Princesse, le digne objet de l'admiration de deux grands royaumes, n'était-ce pas assez que l'Angleterre pleurât votre absence, sans être encore réduite à pleurer votre mort? Et la France, qui vous revit avec tant de joie environnée d'un 15 nouvel éclat, n'avait-elle plus d'autres pompes et d'autres triomphes pour vous, au retour de ce voyage fameux, d'où vous aviez remporté tant de gloire et de si belles

1 Le grand Condé, premier prince du sang; il représenta la famille royale. Marie-Thérèse, la reine, assista aussi à la cérémonie funèbre, mais incognito.

2 Sa mère, Henriette de France, était morte en novembre, 1669, et Henriette d'Angleterre était présente quand Bossuet avait prononcé son oraison funèbre.

3 Cette même cathédrale de Saint-Denis.

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