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ΙΟ

deviendrez-vous donc, ô homme! qui cherchez quelle est votre véritable condition par votre raison naturelle? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes, ni subsister dans

aucune.

Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même. Humiliez-vous, raison impuissante; taisezvous, nature imbécile: apprenez que l'homme passe infiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable, que vous ignorez. Écoutez Dieu...

2. Tous les hommes recherchent d'être heureux; cela est sans exception. Quelques différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n'y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de 15 différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui vont se pendre.

Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous 20 visent continuellement. Tous se plaignent: princes, sujets; nobles, roturiers; vieux, jeunes; forts, faibles; savants, ignorants; sains, malades; de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme, de25 vrait bien nous convaincre de notre impuissance d'arriver au bien par nos efforts; mais l'exemple nous instruit peu. Il n'est jamais si parfaitement semblable, qu'il n'y ait quelque délicate différence; et c'est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette oc30 casion comme en l'autre. Et ainsi, le présent ne nous

satisfaisant jamais, l'espérance nous pipe, et de malheur

en malheur, nous mène jusqu'à la mort, qui en est un comble éternel...

6. Nous connaissons la vérité, non-seulement par la raison, mais encore par le cœur; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est 5 en vain que le raisonnement, qui n'y a point de part, essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n'ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison; cette impuissance ne 10 conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements 15 nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace, et que les nombres sont infinis; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux 20 nombres carrés dont l'un soit double de l'autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir 25 y consentir, qu'il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre, pour vouloir les recevoir . . .

I.

Art. IX. 1. . . . Qu'ils apprennent au moins quelle est la religion qu'ils combattent, avant que de la combattre. 30 Și cette religion se vantait d'avoir une vue claire de Dieu,

et de le posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisqu'elle dit au contraire que les hommes sont dans les ténèbres et 5 dans l'éloignement de Dieu, qu'il s'est caché à leur connaissance, que c'est même le nom qu'il se donne dans les Écritures, Deus absconditus; et enfin, si elle travaille également à établir ces deux choses: que Dieu a établi des marques sensibles dans l'Église pour se faire reconnaître IO à ceux qui le chercheraient sincèrement, et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque, dans la négligence où ils font profession d'être, de chercher la vérité, ils crient 15 que rien ne la leur montre? puisque cette obscurité où ils sont, et qu'ils objectent à l'Église, ne fait qu'établir une des choses qu'elle soutient, sans toucher à l'autre, et établit sa doctrine, bien loin de la ruiner . . .

... Mais, en vérité, je leur dirais ce que j'ai dit souvent, 20 que cette négligence n'est pas supportable. Il ne s'agit pas ici de l'intérêt léger de quelque personne étrangère, pour en user de cette façon; il s'agit de nous-mêmes, et de

notre tout.

L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe 25 si fort, qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer ou non, qu'il est impossi30 ble de faire une démarche avec sens et jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.

Ainsi, notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite. Et c'est pourquoi, entre ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence de ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s'en instruire, à ceux 5 qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser ..

...

Art. X. 1. Nous connaissons qu'il y a un infini, et ignorons sa nature. Comme nous savons qu'il est faux que les nombres soient finis; donc il est vrai qu'il y a un infini en nombre: mais nous ne savons ce qu'il est. Il est 10 faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair; car en ajoutant l'unité il ne change point de nature; cependant c'est un nombre, et tout nombre est pair ou impair: il est vrai que cela s'entend de tout nombre fini.

Ainsi on peut bien connaître qu'il y a un Dieu sans sa- 15 voir ce qu'il est . . .

Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison? Ils déclarent, en l'exposant au monde, que c'est une sottise, stultitiam, et puis vous 20 vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole: c'est en manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens. Oui; mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les ôte de blâme de la produire sans raison, cela 25 n'excuse pas ceux qui la reçoivent. Examinons donc ce point, et disons: Dieu est, ou il n'est pas. Mais de quel côté pencherons-nous? La raison n'y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où 30 il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous? Par raison,

vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux . . .

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Art. XI. 10 bis . . . Elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités: et qu'il y a un Dieu dont les 5 hommes sont capables, et qu'il y a une corruption dans la nature qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l'un et l'autre de ces points, et il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans IO connaître le Rédempteur qui l'en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait ou l'orgueil des philosophes, qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées, qui connaissent leur misère sans Rédempteur. Et ainsi, comme il est également de la nécessité de l'homme 15 de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait; c'est en cela qu'elle consiste. Qu'on examine l'ordre du monde sur cela, et qu'on voie si toutes choses ne tendent pas à l'établissement des deux 20 chefs de cette religion.

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Art. XII. 1. Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne, et qu'il y a quelque grand principe de grandeur en l'homme, et qu'il y a un grand 25 principe de misère. Il faut donc qu'elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés.

Il faut que, pour rendre l'homme heureux, elle lui montre qu'il y a un Dieu; qu'on est obligé de l'aimer; que notre vraie félicité est d'être en lui, et notre unique mal 30 d'être séparé de lui; qu'elle reconnaisse que nous sommes

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