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Vasquez, Molina, Valentia,1 en présence de vingt-quatre jésuites qui représentent les vingt-quatre vieillards?>>

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Me voilà.

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Il lut toute cette allégorie, qu'il trouvait bien juste, et par où il me donnait une grande idée de l'excellence de 5 cet ouvrage. Ayant ensuite cherché son passage du jeûne: «Le voici, me dit-il, au tr. 1, ex. 13, n. 67. «Celui qui ne peut dormir s'il n'a soupé, est-il obligé de jeûner? Nullement.» N'êtes-vous pas content? Non, pas tout à fait, lui dis-je; car je puis bien supporter le jeûne en 10 faisant collation le matin et soupant le soir. - Voyez donc la suite, me dit-il, ils ont pensé à tout. «Et que dira-t-on si on peut bien se passer d'une collation le matin en soupant le soir? On n'est point encore obligé de jeûner. Car personne n'est obligé de changer 15 l'ordre de ses repas.» O la bonne raison! lui dis-je. Mais, dites-moi, continua-t-il, usez-vous de beaucoup de vin? Non, mon père, lui dis-je; je ne le puis souffrir. — Je vous disais cela, me répondit-il, pour vous avertir que vous en pourriez boire le matin, et quand il vous plairait, 20 sans rompre le jeûne; et cela soutient toujours. En voici la décision au même lieu, no 57. «Peut-on, sans rompre le jeûne, boire du vin à telle heure qu'on voudra, et même en grande quantité? On le peut, et même de l'hypocras.>> Je ne me souvenais pas de cet hypocras, dit-il; il faut que 25 je le mette sur mon recueil. — Voilà un honnête homme, lui dis-je, qu'Escobar. - Tout le monde l'aime, répondit le père. Il fait de si jolies questions! Voyez celle-ci qui est au même endroit, no 38. «Si un homme doute qu'il ait vingt et un ans,2 est-il obligé de jeûner? — Non.

1 Les quatre grandes autorités théologiques des jésuites.

2 On jeûne seulement depuis 21 ans, mais on fait maigre dès l'âge de la communion (10 à 12 ans).

Mais si j'ai vingt et un ans cette nuit à une heure après. minuit, et qu'il soit demain jeûne, serai-je obligé de jeûner demain? - Non; car vous pourriez manger autant qu'il vous plairait depuis minuit jusqu'à une heure, puisque vous n'auriez pas encore vingt et un ans: et ainsi, 5 ayant droit de rompre le jeûne, vous n'y êtes point obligé.>> On ne s'en peut tirer, me répondit-il; je passe les jours et les nuits à le lire; je ne fais autre chose.

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Oh! que cela est divertissant! lui dis-je.

Le bon père, voyant que j'y prenais plaisir, en fut 10 ravi. . . — En vérité, mon père, lui dis-je, je ne le crois pas bien encore. Eh quoi? n'est-ce pas un péché de ne pas jeûner quand on le peut? Est-il permis de rechercher les occasions de pécher? ou plutôt n'est-on pas obligé de les fuir? Cela serait assez commode. - Non pas toujours, 15 me dit-il; c'est selon. - Selon quoi? lui dis-je. — Ho! ho! repartit le père. - Et si on recevait quelque incommodité en fuyant les occasions, y serait-on obligé, à votre avis? -Ce n'est pas au moins celui du père Bauny, que voici, p. 1084. «On ne doit pas refuser l'absolution à ceux qui 20 demeurent dans les occasions prochaines du péché, s'ils sont en tel état qu'ils ne puissent les quitter sans donner sujet au monde de parler, ou sans qu'ils en reçussent eux-mêmes de l'incommodité.» — Je m'en réjouis, mon père, il ne reste plus qu'à dire qu'on peut rechercher les 25 occasions de propos délibéré, puisqu'il est permis de ne les pas fuir. Cela même est aussi quelquefois permis, ajouta-t-il. Le célèbre casuiste Basile Ponce l'a dit, et le père Bauny le cite et approuve son sentiment, que voici dans le Traité de la pénitence, q. 4, p. 94. 30 «On peut rechercher une occasion directement et pour elle-même, primo et per se, quand le bien spirituel

et temporel de nous ou de notre prochain nous y

porte.»>

Vraiment, lui dis-je, il me semble que je rêve quand j'entends des religieux parler de cette sorte! Eh quoi! 5 mon père, dites-moi, en conscience, êtes-vous dans ce sentiment-là?—Non vraiment, me dit le père. — Vous parlez donc, continuai-je, contre votre conscience? Point du tout, dit-il. Je ne parlais pas en cela selon ma conscience, mais selon celle de Ponce et du père Bauny: 10 et vous pourriez les suivre en sûreté; car ce sont d'habiles gens. Quoi! mon père, parce qu'ils ont mis ces trois lignes dans leurs livres, sera-t-il devenu permis de rechercher les occasions de pécher? Je croyais ne devoir prendre pour règle que l'Écriture et la tradition de l'Église, mais 15 non pas vos casuistes. O bon Dieu, s'écria le père, vous me faites souvenir de ces jansénistes! Est-ce que le père Bauny et Basile Ponce ne peuvent pas rendre leur opinion probable? - Je ne me contente pas du probable, lui dis-je, je cherche le sûr. Je vois bien, me 20 dit le bon père, que vous ne savez pas ce que c'est que la

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doctrine des opinions probables. Vous parleriez autrement si vous le saviez. Ah! vraiment, il faut que je vous en instruise. Vous n'aurez pas perdu votre temps d'être venu ici; sans cela vous ne pouviez rien entendre. 25 C'est le fondement et l'a b c de toute notre morale.

Je fus ravi de le voir tombé dans ce que je souhaitais: et, le lui ayant témoigné, je le priai de m'expliquer ce que c'était qu'une opinion probable. «Nos auteurs vous y répondront mieux que moi, dit-il. Voici comme ils en 30 parlent tous généralement, et entre autres, nos vingtquatre, in princ. ex. 3, n. 8. «Une opinion est appelée probable, lorsqu'elle est fondée sur des raisons de quelque

considération. D'où il arrive quelquefois qu'un seul docteur fort grave peut rendre une opinion probable.» Et en voici la raison: «car un homme adonné particulièrement à l'étude ne s'attacherait pas à une opinion, s'il n'y était attiré par une raison bonne et suffisante.» - Et 5 ainsi, lui dis-je, un seul docteur peut tourner les consciences et les bouleverser à son gré, et toujours en sûreté. -Il n'en faut pas rire, me dit-il, ni penser combattre cette doctrine. Quand les jansénistes l'ont voulu faire, ils y ont perdu leur temps. Elle est trop bien établie. 10 Écoutez Sanchez, qui est un des plus célèbres de nos pères (Som. 1. 1, c. 9, n. 7). — «Vous douterez peut-être si l'autorité d'un seul docteur bon et savant rend une opinion probable. A quoi je réponds que oui. Et c'est ce qu'assurent Angelus, Sylv. Navarr. Emmanuel Sa, etc. 15 Et voici comme on le prouve. Une opinion probable est celle qui a un fondement considérable. Or l'autorité d'un homme savant et pieux n'est pas de petite considération, mais plutôt de grande considération. Car, écoutez bien cette raison: Si le témoignage d'un tel homme est 20 de grand poids pour nous assurer qu'une chose se soit passée, par exemple, à Rome, pourquoi ne le sera-t-il pas de même dans un doute de morale?>>

- La plaisante comparaison, lui dis-je, des choses du monde à celles de la conscience. - Ayez patience: San- 25 chez répond à cela dans les lignes qui suivent immédiatement: «Et la restriction qu'y apportent certains auteurs ne me plaît pas, que l'autorité d'un tel docteur est suffisante dans les choses de droit humain, mais non pas dans celles de droit divin. Car elle est de grand poids dans les 30 unes et dans les autres.>>

Mon père, lui dis-je franchement, je ne puis faire cas

de cette règle. Qui m'a assuré que, dans la liberté que vos docteurs se donnent d'examiner les choses par la raison, ce qui paraîtra sûr à l'un le paraisse à tous les autres? La diversité des jugements est si grande... Vous ne 5 l'entendez pas, dit le père en m'interrompant, aussi sontils fort souvent de différents avis, mais cela n'y fait rien. Chacun rend le sien probable et sûr. Vraiment l'on sait bien qu'ils ne sont pas tous de même sentiment, et cela n'en est que mieux. Ils ne s'accordent au contraire presIo que jamais. Il y a peu de questions où vous ne trouviez que l'un dit oui, l'autre dit non. Et en tous ces cas-là, l'une et l'autre des opinions contraires est probable. Et c'est pourquoi Diana dit sur un certain sujet, part, 3, t. 4, r. 244: «Ponce et Sanchez sont de contraires avis; mais, parce qu'ils étaient 15 tous deux savants, chacun rend son opinion probable.»>

Mais, mon père, lui dis-je, on doit être bien embarrassé à choisir alors!- Point du tout, dit-il, il n'y a qu'à suivre l'avis qui agrée le plus. — Eh quoi! si l'autre est plus probable? - Il n'importe, me dit-il. Et si l'autre 20 est plus sûr? - Il n'importe, me dit encore le père, le voici bien expliqué. C'est Emmanuel Sa, de notre société, dans son aphorisme de Dubio, p. 183: «On peut faire ce qu'on pense être permis selon une opinion probable, quoique le contraire soit plus sûr. Or, l'opinion d'un seul 25 docteur grave y suffit.»> Et si une opinion est tout en

semble et moins probable et moins sûre, sera-t-il permis de la suivre en quittant ce que l'on croit être plus probable et plus sûr? Oui, encore une fois, me dit-il; écoutez Filiutius, ce grand jésuite de Rome, Mor. Quæst. tr. 21, 30 c. 4, n. 128: «Il est permis de suivre l'opinion la moins probable, quoiqu'elle soit la moins sûre. C'est l'opinion commune des nouveaux auteurs.» Cela n'est-il pas clair?

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