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même, comme lorsque nous voulons aimer Dieu, ou généralement appliquer notre pensée à quelque objet qui n'est point matériel; les autres sont des actions qui se terminent en notre corps, comme lorsque, de cela seul que nous avons la volonté de nous promener, il suit que nos jambes 5 se remuent et que nous marchons.

Art. 40.... Il n'y a point d'âme si faible qu'elle ne puisse, étant bien conduite, acquérir un pouvoir absolu sur ses passions.

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Art. 41.

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La volonté est tellement libre dans sa IO

nature, qu'elle ne peut jamais être contrainte...

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Art. 45. Nos passions ne peuvent pas directement être excitées ni ôtées par l'action de notre volonté; mais elles peuvent l'être indirectement par la représentation des choses qui ont coutume d'être jointes avec les pas- 15 sions que nous voulons avoir et qui sont contraires à celles que nous voulons rejeter. Ainsi, pour exciter en soi la hardiesse et ôter la peur, il ne suffit pas d'en avoir la volonté, mais il faut s'appliquer à considérer les raisons, les objets ou les exemples qui persuadent que le péril n'est 20 pas grand, qu'il y a toujours plus de sûreté en la défense qu'en la fuite, qu'on aura de la gloire et de la joie d'avoir vaincu, au lieu qu'on ne peut attendre que du regret et de la honte d'avoir fui, et choses semblables.

Art. 46. Il y a une raison particulière qui empêche 25 l'âme de pouvoir promptement changer ou arrêter ses passions... Cette raison est qu'elles sont presque toutes accompagnées de quelque émotion qui se fait dans le cœur, et par conséquent aussi en tout le sang et les es

prits: en sorte que, jusqu'à ce que cette émotion ait cessé, elles demeurent présentes à notre pensée en même façon que les objets sensibles y sont présents pendant qu'ils agissent contre les organes de nos sens. Et comme l'âme, 5 en se rendant fort attentive à quelque autre chose, peut s'empêcher d'ouïr un petit bruit ou de sentir une petite douleur, mais ne peut s'empêcher en même façon d'ouïr le tonnerre ou de sentir le feu qui brûle la main, ainsi elle peut aisément surmonter les moindres passions, mais non 10 pas les plus violentes et les plus fortes, sinon après que l'émotion du sang et des esprits est apaisée. Le plus que la volonté puisse faire pendant que cette émotion est en sa vigueur, c'est de ne pas consentir à ses effets, et de retenir plusieurs des mouvements auxquels elle dispose le 15 corps. Par exemple, si la colère fait lever la main pour

frapper, la volonté peut ordinairement la retenir; si la peur incite les gens à fuir, la volonté peut les arrêter, et ainsi des autres.

Art. 48. Or, c'est par le succès de ces combats que 20 chacun peut connaître la force ou la faiblesse de son âme; car ceux en qui naturellement la volonté peut le plus aisément vaincre les passions et arrêter les mouvements du corps qui les accompagnent, ont sans doute les âmes les plus fortes. Mais il y en a qui ne peuvent éprouver 25 leur force, pour ce qu'ils ne font jamais combattre leur volonté avec ses propres armes, mais seulement avec celles que lui fournissent quelques passions pour résister à quelques autres. Ce que je nomme ses propres armes sont des jugements fermes et déterminés touchant la con30 naissance du bien et du mal, suivant lesquels elle a résolu

de conduire les actions de sa vie; et les âmes les plus

faibles de toutes sont celles dont la volonté ne se détermine point ainsi à suivre certains jugements, mais se laisse continuellement emporter aux passions présentes, lesquelles, étant souvent contraires les unes aux autres, la tirent tour à tour à leur parti, et, l'employant à combattre 5 contre elle-même, mettent l'âme au plus déplorable état qu'elle puisse être. Ainsi, lorsque la peur représente la mort comme un mal extrême et qui ne peut être évité que par la fuite, l'ambition, d'autre côté, représente l'infamie de cette fuite comme un mal pire que la mort; ces deux 10 passions agitent diversement la volonté, laquelle, obéissant tantôt à l'une, tantôt à l'autre, s'oppose continuellement à soi-même, et ainsi rend l'âme esclave et malheureuse.

Art. 49. - Il est vrai qu'il y a fort peu d'hommes si 15 faibles et irrésolus qu'ils ne veulent rien que ce que leur passion leur dicte. La plupart ont des jugements déterminés suivant lesquels ils règlent une partie de leurs actions; et, bien que souvent ces jugements soient faux, et même fondés sur quelques passions par lesquelles la vo- 20 lonté s'est auparavant laissé vaincre ou séduire, toutefois à cause qu'elle continue de les suivre lorsque la passion qui les a causés est absente, on les peut considérer comme ses propres armes, et penser que les âmes sont plus fortes ou plus faibles à raison de ce qu'elles peuvent 25 . plus ou moins suivre ces jugements et résister aux passions présentes qui leur sont contraires. Mais il y a pourtant grande différence entre les résolutions qui procèdent de quelque fausse opinion et celles qui ne sont appuyées que sur la connaissance de la vérité; d'autant que, si 30 on suit ces dernières, on est assuré de n'en avoir jamais

de regret ni de repentir, tandis qu'on en a toujours d'avoir suivi les précédentes lorsqu'on en découvre l'erreur.

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Art. 50. Et on peut remarquer la même chose 5 dans les bêtes; car encore qu'elles n'aient point de raison, ni peut-être aussi aucune pensée, tous les mouvements ... qui excitent en nous les passions ne laissent pas d'être en elles, et d'y servir à entretenir et fortifier, et non pas comme en nous, les passions, mais les mouvements des Io nerfs et des muscles qui ont coutume de les accompagner. Ainsi lorsqu'un chien voit une perdrix, il est naturellement porté à courir vers elle; et lorsqu'il voit un fusil, ce bruit l'incite naturellement à s'enfuir; mais, néanmoins on dresse le chien en telle sorte que la vue d'une perdrix 15 fait qu'il s'arrête, et que le bruit qu'ils entendent après lorsqu'on tire sur elle fait qu'ils y accourent. Or, ces choses sont utiles à savoir pour donner le courage à un chacun d'étudier à regarder ses passions: car puisqu'on peut avec un peu d'industrie, changer les mouvements du 20 cerveau dans les animaux dépourvus de raison, il est évident qu'on le peut encore mieux dans les hommes, et que ceux même qui ont les plus faibles âmes pourraient acquérir un empire très absolu sur toutes leurs passions, si on employait assez d'industrie à les dresser et à les con25 duire.

[La deuxième et la troisième partie du Traité sont des analyses physiologiques et psychologiques des passions.

Les six passions primitives sont: «l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse» . . . «et toutes les autres sont composées de quelques unes de ces six, ou bien en sont des espèces.» Quelques chapitres caractéristiques sont: les «Articles» 76, 79, 81, 83, 93 à 98, I20. Voici la conclusion.]

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Art. 211. Un remède général contre les passions. — Et maintenant que nous les connaissons toutes, nous avons beaucoup moins de sujet de les craindre que nous n'avions auparavant; car nous voyons qu'elles sont toutes bonnes de leur nature, et que nous n'avons rien à éviter que leurs mauvais usages ou leur excès, contre lesquels les remèdes que j'ai expliqués pourraient suffire, si chacun avait assez de soin de les pratiquer. Mais... j'avoue qu'il y a peu de personnes qui se soient assez préparées en cette façon contre toutes sortes de rencontres, et qu'il n'y a 10

point de sagesse humaine qui soit capable de leur résister lorsqu'on n'y est pas assez préparé. Ainsi plusieurs ne sauraient s'abstenir de rire étant chatouillés, encore qu'ils n'y prennent point de plaisir; car l'impression de la joie et de la surprise, qui les a fait rire autrefois pour le même 15 sujet étant réveillée en leur fantaisie, fait que leur poumon est subitement enflé malgré eux par le sang que le cœur lui envoie. Ainsi ceux qui sont fort portés de leur naturel aux émotions de la joie et de la pitié, ou de la peur, ou de la colère, ne peuvent s'empêcher de pâmer, 20 ou de pleurer, ou de trembler, ou d'avoir le sang tout ému, en même façon que s'ils avaient la fièvre, lorsque leur fantaisie est fortement touchée par l'objet de quelqu'une de ces passions. Mais ce qu'on peut toujours faire en telle occasion, et que je pense pouvoir mettre ici comme 25 le remède le plus général et le plus aisé à pratiquer contre tous les excès des passions, c'est que, lorsqu'on se sent le sang ainsi ému, on doit être averti et se souvenir que tout ce qui se présente à l'imagination tend à tromper l'âme et à lui faire paraître les raisons qui servent à persuader 30 l'objet de sa passion beaucoup plus fortes qu'elles ne sont, et celles qui servent à la dissuader beaucoup plus faibles.

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