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Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup l'eût fait volontiers;
Mais il fallait livrer bataille;

Et le mâtin était de taille

A se défendre hardiment.

Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu'il admire.

«Il ne tiendra qu'à vous, beau sire, D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien. Quittez les bois, vous ferez bien:

Vos pareils y sont misérables,

Cancres, hères, et pauvres diables,

15 Dont la condition est de mourir de faim.

Car, quoi! rien d'assuré! point de franche lippée;
Tout à la pointe de l'épée!

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin.>>
Le loup reprit: «Que me faudra-t-il faire?

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Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens
Portant bâtons, et mendiants;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire,

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons;

Sans parler de mainte caresse.»

Le loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le col du chien pelé.

30 «Qu'est-ce là? lui dit-il. — Rien. - Quoi! rien! -Peu de

chose.

— Mais encor? — Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.

- Attaché! dit le loup: vous ne courez donc pas

Où vous voulez? - Pas toujours; mais qu'importe? Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.»
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.

4. Le rat de ville et le rat des champs

I. 9

Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête:
Rien ne manquait au festin;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.

A la porte de la salle

Ils entendirent du bruit;

Le rat de ville détale;

Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire:
Rats en campagne aussitôt;

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Et le citadin de dire:
«Achevons tout notre rôt.

— C'est assez, dit le rustique;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'est pas que je me pique

De tous vos festins de roi;

Mais rien ne vient m'interrompre;
Je mange tout à loisir.

Adieu donc: fi du plaisir

Que la crainte peut corrompre!>>

5. Le loup et l'agneau

I. 10

La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.

«Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?»>
Dit cet animal plein de rage:

«Tu seras châtié de ta témérité.

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Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté

Ne se mette pas en colère;

Mais plutôt qu'elle considère

Que je me vais désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'elle;

Et que par conséquent, en aucune façon,

Je ne puis troubler sa boisson. -Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l'an passé.

- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né? Reprit l'agneau; je tette encor ma mère.

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- Je n'en ai point. — C'est donc quelqu'un des tiens; Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos chiens.

On me l'a dit: il faut que je me venge.»
Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

6. La mort et le bûcheron

I. 16

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos:
Sa femme, ses enfants, les soldats,1 les impôts,
Le créancier, et la corvée,2

1 Les soldats étaient logés chez les particuliers à cette époque, les casernes n'existant pas.

2 Travail gratuit qui était dû par le paysan à son seigneur.

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Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.

«C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas1 guère.»>

Le trépas vient tout guérir;
Mais ne bougeons d'où nous sommes:
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.

7. Le renard et la cigogne

I. 18

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.

Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:

La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
«Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.»

A l'heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse;
Loua très fort sa politesse;
Trouva le dîner cuit à point.

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.
1 Tu ne seras pas mis en retard.

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