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PASIFILE.'

A votre tournure, je vois que vous passerez cent ans. Montrezmoi votre main.

Es-tu bon magicien ?

CLEANDRE.

PASIFILE.

J'ai autrefois un peu pratiqué cet art; mais laissez-moi votre

main.

CLEANDRE.

La voici.

que

PASIFILE.

cette ligne est droite, longue et belle! Jamais je n'en ai vu de plus heureuse.

La scène de Molière est plus développée et plus comique.' Le mouvement de franchise de maître Jacques, lorsqu'il raconte à l'Avare tous les bruits qui courent sur lui, est aussi une imitation DES SUPPOSITI. Cléandre demande à Dalippo ce qu'on pense de lui: « Imaginez-vous, répond Dalippo, tout «< ce qu'on peut dire de pis. On soutient qu'il n'y a pas d'homme << plus ladre et plus vilain que vous. » Il est aisé de voir quel parti Molière a tiré de cette idée comique.

2

Parmi les excellentes scènes de L'AVARE, on distingue celle où La Flèche montre à Léandre à quel prix on lui prêtera de

1 On a critiqué l'emphase de Frosine, lorsqu'elle dit qu'elle pourroit marier le grand Turc avec la république de Venise. Cette plaisanterie est de Rabelais. (Livre III, chap. XXXIX.) « Et te dis, Dandin, mon fils joly, << que, par cette méthode, je pourrois paix mettre et trèves entre le grand « roy et les Vénitiens. >>

2

Immaginate vi

Quel che si può di peggio: che il più misero

E più stretto uomo non è di voi.

MOLIÈRE. 4.

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l'argent, et celle où Cléante reconnoît son père dans l'usurier. L'idée de ces deux scènes se trouve dans LA BELLE PLAIDEUSE de Boisrobert, jouée en 1654, treize ans avant L'AVARE. Ces scènes sont dans un ordre différent : on sera probablement curieux de les connoître. Ergaste, jeune dissipateur, fils d'un père avare, nommé Armidor, veut secourir la mère de sa maîtresse qui a un procès ruineux : il s'adresse au notaire Barquet pour avoir de l'argent; et ce notaire, qui ne le connoît pas, le mène à son père.

Parlez-lui.

BARQUET.

ERGASTE.

Quoi! c'est là celui qui fait le prêt?

BARQUET.

Oui, monsieur.

ARMIDOR.

Quoi! c'est là ce payeur d'intérêt ?

Quoi! c'est donc toi, filou, méchant, traîne-potence !
C'est en vain que ton œil évite ma présence.

Je t'ai vu.

ERGASTE.

Qui doit être enfin le plus honteux,

Mon père? et qui paroît le plus sot de nous deux?

Ergaste, obligé de renoncer à ce moyen de se procurer de l'argent, trouve un autre usurier qui veut bien lui prêter quinze mille francs. Son valet lui en parle :

FILIPIN.

A votre père il feroit des leçons.

Têtebleu! qu'il en sait, et qu'il fait de façons!
C'est le fesse-Matthieu le plus franc que je sache :
J'ai pensé lui donner deux fois sur la moustache.
Il veut bien vous donner les quinze mille francs;
Mais, monsieur, les deniers ne sont pas tous comptants.

Admirez le caprice injuste de cet homme!

Encor qu'au denier douze il prête cette somme,
Sur bonne caution, il n'a que mille écus

Qu'il donne argent comptant.

ERGASTE.

Où donc est le surplus?

FILIPIN.

Je ne sais si je puis vous le conter sans rire.
Il dit que du cap Verd il lui vient un navire,
Et fournit le surplus de la somme en guenons,
En fort beaux perroquets, en douze gros canons,
Moitié fer, moitié fonte, et qu'on vend à la livre.
Si vous voulez ainsi la somme, il vous la livre.

Molière a donné beaucoup plus de force à ces détails vraiment comiques : il a perfectionné l'idée de Boisrobert, en faisant figurer son Avare dans les deux scènes.

Riccoboni prétend que plusieurs scènes de L'AVARE Sont puisées dans des canevas italiens. Nous croyons qu'il se trompe: il suffira de citer quelques-unes de ces prétendues imitations. Lelio, dans un canevas italien, s'introduit chez Pantalon, banquier, dont il aime la fille, et se vante d'être très-habile dans le commerce. Cela ressemble-t-il au stratagème de Valère, qui se fait intendant d'Harpagon? Scapin persuade à Pantalon que sa maîtresse est amoureuse de lui, qu'elle aime les vieillards; et Pantalon ouvre sa bourse à chaque louange. C'est tout le contraire chez Molière, car Harpagon ne donne rien. Cette idée a été plutôt employée dans LE BOURGEOIS GentilHOMME, où M. Jourdain récompense magnifiquement tous les titres dont on l'accable. Il n'y a dans L'AVARE que deux scènes véritablement imitées de ce canevas: celle où deux rivaux, étant prêts à en venir aux mains, Scapin les prend à part, et leur fait croire que chacun cède sa maîtresse; (on reconnoît

la situation de maître Jacques) et la scène du diamant que Scapin enlève du doigt de Pantalon pour le donner à Flaminia, ce que le vieillard n'ose empêcher. Dans cette scène, il y a encore une différence essentielle, c'est que Pantalon est géné

reux.

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On a peine à se figurer que Molière, ayant recueilli de tous côtés tant de matériaux différents, soit parvenu à en composer un ensemble parfait. C'est un effort aussi admirable que s'il eût entièrement imaginé le sujet. En effet, lorsque l'ouvrage d'un homme ordinaire se forme de diverses conceptions qui ne lui appartiennent pas; on reconnoît toujours des parties qui ne vont pas ensemble, qui ne peuvent s'accorder, et qui produisent des disparates choquantes; au lieu que l'homme de génie se rend maître de tout ce qu'il daigne emprunter, se l'approprie en quelque sorte; et les beautés différentes qu'il emploie semblent couler de la même source. Aucun auteur n'a porté plus loin que Molière cette force de conception qui soumet tout aux idées de celui qui la possède. Il est aussi grand lorsqu'il imite que lorsqu'il invente.

Le mérite de L'AVARE ne fut pas senti aux premières représentations; mais Boileau, qui se déclara ouvertement l'admirateur de cette pièce, ramena les esprits éclairés; et le public partagea bientôt leur opinion.

FIN DU TOME QUATRIÈME.

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