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350 AMPHITRYON. ACTE III, SCÈNE XI. Et d'une et d'autre part, pour un tel compliment, Les phrases sont embarrassantes.

Le grand dieu Jupiter nous fait beaucoup d'honneur, Et sa bonté, sans doute, est pour nous sans seconde; Il nous promet l'infaillible bonheur

D'une fortune en mille biens féconde,

Et chez nous il doit naître un fils d'un très-grand cœur : Tout cela va le mieux du monde.

Mais enfin coupons aux discours,

Et que chacun chez soi doucement se retire:

Sur telles affaires toujours

Le meilleur est de ne rien dire.

FIN D'AMPHITRYON.

SUR

AMPHITRYON.

Au premier coup d'œil, on peut croire que cette pièce n'est qu'une imitation de Plaute: mais quand on veut établir la comparaison entre l'AMPHITRYON françois et l'AMPHITRYON latin, on est bientôt convaincu de toute la supériorité du premier. La pièce de Plaute n'a guères servi que de canevas à Molière; il a embelli et développé ce qu'il a puisé dans cet auteur; l'indécence ét la grossièreté ont été bannies des rôles de Jupiter et d'Alcmène; et le rôle de Cléanthis, qu'il s'est permis d'ajouter, donne à cette comédię un mouvement et une force comique qu'elle n'avoit pas. Ce contraste si bien entendu est entièrement de l'invention de Molière : Rotrou, qui avoit traité ce sujet plusieurs années auparavant, n'y avoit pas pensé.

Pour bien faire sentir tout le mérite de l'AMPHITRYON françois, il est nécessaire de donner une idée de la pièce latine, en indiquant en général les morceaux que Molière a plutôt imités que traduits. On joindra à cette analyse les traits dont Rotrou s'étoit emparé dans LES DEUX SOSIES, et dont notre auteur a pu profiter: enfin, sans s'arrêter aux mouvements du dialogue, qui lui appartiennent presque tous, on montrera les principales conceptions dont il a orné ce sujet.

Le prologue de Plaute n'a aucun rapport avec celui de P'AMPHITRYON françois : Mercure cherche à se concilier les

spectateurs, et leur expose le sujet de la pièce. Dans Molière, au contraire, la scène de Mercure et de la Nuit est pleine de traits comiques : elle prépare adroitement le spectateur à ce qui va se passer, sans trop le lui laisser entrevoir. Bayle a prétendu que cette idée appartenoit à Lucien; mais ceux qui partagent son opinion, observe très-bien M. de Voltaire, n'ont pas senti la différence qui est entre une imitation et la ressemblance très-éloignée de l'excellent dialogue de la Nuit et de Mercure, avec le petit dialogue de Mercure et d'Apollon dans Lucien. Il n'y a pas une plaisanterie, pas un seul mot que Molière doive à cet auteur grec.

Sosie, comme dans l'AMPHITRYON françois, ouvre la scène, et annonce sa poltronnerie : il s'étend sur le malheur de ceux qui servent les grands.

<< Hier, dit-il, mon maître m'a forcé, bien malgré moi, de «« partir de nuit du port où il est arrêté : n'auroit-il pas pu «< choisir le jour pour me charger de cette commission? La << servitude chez les riches est une rude chose; et l'esclave «< d'un grand est plus malheureux que celui d'un homme du « commun. Le jour, la nuit, ne suffisent pas. A peine a-t-on « fait et dit ce qui étoit prescrit, qu'il arrive de nouveaux << ordres pour vous ôter le repos. Un riche, n'ayant aucune

1 Hæc heri immodestia coegit, me qui hoc
Noctis à portu ingratis excitavit.

Nonne idem hoc luci me mittere potuit?
Opulento homini hoc magis servitus dura est,
Hoc magis miser est divitis servos :

Noctesque diesque assiduo satis superque est,
Quo facto, aut dicto adest opus, quietus ne sis.
Ipse dominus dives operis, et laboris expers,
Quodcumque homini accidìt, libere posse retur.

« idée du travail, s'imagine qu'on doit faire avec plaisir tout * ce qu'il ordonne, etc. >>

Ces idées sont communes : nous allons voir le parti que Molière en a tiré : il peint des plus vives couleurs tous les désagréments attachés au service des grands, et semble s'étendre avec complaisance sur ce sujet fécond. Ce n'est plus d'un pauvre esclave qu'il s'agit, c'est en général de tous ceux que l'orgueil ou l'ambition éloigne de l'état où leur naissance les avoit destinés. Ce morceau est un des plus profondément pensés, et des plus piquants qui se trouvent dans Molière. Que mon maître, couvert de gloire,

Me joue ici d'un vilain tour!

Quoi! si pour son prochain il avoit quelque amour,
M'auroit-il fait partir par une nuit si noire ?,
Et pour me renvoyer annoncer son retour,
Et le détail de sa victoire,

Ne pouvoit-il pas bien attendre qu'il fût jour ?
Sosie, à quelle servitude

Tes jours sont-ils assujettis?

Notre sort est beaucoup plus rude

Chez les grands que chez les petits.

Ils veulent que pour eux tout soit, dans la nature,
Obligé de s'immoler.

Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure,
Dès qu'ils parlent, il faut voler.

Vingt ans d'assidu service

N'en obtiennent rien pour nous;

Le moindre petit caprice

Nous attire leur courroux.

Cependant notre âme insensée

S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux,

Et s'y veut contenter de la fausse pensée

Qu'ont tous les autres gens, que nous sommes heureux.
Vers la retraite en vain la raison nous appelle,

MOLIÈRE. 4.

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En vain notre dépit quelquefois y consent;

Leur vue a sur notre zèle

Un ascendant trop puissant;

Et la moindre faveur d'un coup d'œil caressant

Vous rengage de plus belle.

On ne trouve, dans cette tirade, ni une traduction, ni même une imitation. Plaute en a tout au plus fourni' le texte.

Dans la pièce latine, Sosie fait à loisir le plan du récit qu'il débitera devant Alcmène : mais il y a bien moins de comique et de mouvement que dans Molière. Il n'est pas question de dialogue avec la lanterne, et tout est pris au sérieux. L'idée de ce dialogue se trouve dans LES HARANGUEUSES d'Aristophane: Proxagara répète devant sa lampe le discours qu'elle doit prononcer à l'assemblée des femmes mais la situation n'étant point la même, Molière peut toujours être considéré comme l'inventeur de cette excellente plaisanterie.

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Sosie, dans Plaute, se borne à dire que pendant qu'on se battoit avec acharnement, il fuyoit à toutes jambes. Molière étend cette idée, et la rend plus piquante:

Je dois aux yeux d'Alcmène un portrait militaire
De ce combat qui met nos ennemis à bas;

Mais comment diantre le faire,

Si je ne m'y trouvai pas?

N'importe, parlons-en et d'estoc et de taille,

Gomme oculaire témoin.

Combien de gens font-ils des récits de bataille
Dont ils se sont tenus loin!

La nuit paroît longue à Sosie: il pense que le soleil s'est en

Nam quùm illi pugnabant maxumè, ego tùm fugiebam maxumé.

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