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BEAU TRAIT DE DESINTÉRESSEMENT.

81. DANS la dernière guerre d'Allemagne un capitaine de cavalerie est commandé pour aller au fourrage. Il part à la tête de sa compagnie, et se rend dans le quartier qui lui était assigné. C'était un vallon solitaire, où l'on ne voyait guère que des bois. Il y aperçoit une pauvre cabane; il y frappe; il en sort1 un vieux Hernouten à barbe blanche.2 Mon père, lui dit l'officier, montrez-moi un champ où je puisse faire fourragėr3 mes cavaliers. Tout-à-l'heure, reprit l' Hernouten.

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Ce bon homme se met à leur tête, et remonte avec eux le vallon. Après un quart d'heure de marche, ils trouvent un beau champ d'orge: Voilà ce qu'il nous faut, dit le capitaine. Attendez un moment, lui dit son conducteur, vous serez content. Ils continuent à marcher, et ils arrivent à un quart de lieue plus loin, à un autre champ d'orge. La troupe aussitôt met pied à terre, fauche le grain, le met en trousse, et remonte à cheval. L'officier de cavalerie dit alors à son guide: Mon père, vous nous avez fait aller trop loin sans nécessité; le premier champ valait mieux que celui-ci. Cela est vrai, monsieur, reprit le bon vieillard, mais il n'était pas à moi.7

LE FANTÔME.

UNE dame étant allée voir une de ses amies à la campagne, on lui dit qu'un fantôme avait coutume de se promener toutes les nuits dans l'un des appartements du château, et que depuis bien du temps, personne n' osait y habiter. Comme elle n'était

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ni superstitieuse, ni crédule, elle eut la curiosité de s'en convaincre par elle-même, et voulut absolument coucher dans cet appartment. Au milieu de la nuit, elle entendit ouvrir sa porte, elle parla, mais le spectre ne lui répondit rien. Il marchait pesamment et s'avançait en poussant1 des gémissements. Une table qui était au pied du lit fut renversée, et ses rideaux s'entr' ouvrirent avec bruit. Un instant après, le guéridon? qui était dans la ruelle, fut culbuté, et le fantôme s'approcha de la dame; elle de son côté, peu troublée, allongeait les deux mains pour sentir s'il avait une forme palpable. En tâtonnant ainsi, elle lui saisit les deux oreilles. Les oreilles étaient longues et velues; ce qui lui donnait beaucoup à penser. Elle n'osait retirer une de ses mains pour toucher le reste du. corps, de peur de le laisser s'échapper, et elle persista jusqu'à l'aurore dans cette pénible attitude. Enfin, au point du jour, elle reconnut l'auteur de tant d'alarmes pour un gros chien assez pacifique, qui n' aimant point à coucher à l'air, avait coutume de venir chercher de l'abri dans ce lieu, dont la serrure ne fer

mait pas.

LE BESOIN D'AIMER.

82. LE visir Azamet avait plu dans sa jeunesse au sultan Mahmoud qui l'éleva aux premières dignités de l'empire: dès qu' Azamet fut en place' il voulut réformer les abus; mais les grands et les imans le perdirent dans l'esprit du prince, et même du peuple. Au moment de sa disgrâce, il entendit s'élever contre lui le cri de la haine universelle.

Privé de ses biens, et sans amis, Azamet se retira dans les rochers du Khorazan: là il vivait seul dans une jolie cabane

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3. Ruelle, (the space between the bed 8. Imans, priests (of Mahomet.)

and the wall) bed-side.

4. Culbuté, upset.

9. Le perdirent, ruined him.

qu'il avait construite, et il cultivait un petit terrain au bord d'un ruisseau.

Il y avait deux ans qu'il vivait dans cette solitude, lorsque le sage Usbeck découvrit sa retraite. Les conseils vertueux d' Usbeck n'avaient pas peu contribué à la perte du visir. Le sage, qui n'avait point oublié son ami dans sa disgrâce, partit pour le Khorazan.

Usbeck n'était plus qu'à1 une parasange de la cabane du ministre, lorsqu'il le rencontra: ils se reconnurent, ils s'embrassèrent le sage versait des larmes; le visage d'Azamet était riant, son front était serein, et la joie était dans ses yeux: Béni soit le prophète qui donne de la force aux malheureux, dit Usbeck; celui qui possédait une belle maison dans les riches plaines de Ghilem est content d'habiter une cabane dans les rochers du Khorazan; ô Azamet! ta vertu t'a suivi dans ces déserts, mais a-t-elle pu te consoler de vivre seul? il faut des compagnons à ceux mêmes qui n'ont point d'amis; quelle solitude n'est pas un tombeau ?

Ils approchaient cependant de la cabane d'Azamet, où il n'était pas rentré depuis le matin : ils entendirent le hennissement d'un jeune cheval qui venait en bondissant à leur rencontre2; quand il fut auprès du visir, il le caressa et marcha devant lui en sautant et en hennissant.

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83. Usbeck vit3 accourir d'une prairie voisine deux belles génisses, qui passèrent et repassèrent devant Azamet, et semblaient lui offrir leur lait, et présenter leurs têtes à son joug. Elles se mirent à sa suite. A quelques pas de là, deux chèvres suivies de deux chevreaux descendirent d'un rocher: elles témoignèrent par leurs cabrioles3, la joie de revoir leur maître, qu'elles accompagnèrent en badinant autour de lui.

Bientôt, du fond d'un petit verger couvert de jeunes arbres, sortirent quatre ou cinq moutons; ils bêlaient, ils bondissaient

1. N'était plus qu'à, etc., was only 3. Vit, saw, simp. perf. of voir. See within a parasang. Less. 136.

2. A leur rencontre, (to their meeting) to 4. Génisses, heifers.

meet them.

5. Cabrioles, capers.

et léchaient les mains d'Azamet qui les leur tendait en souriant en même temps, quelques pigeons vinrent1 se poser sur sa tête et sur ses épaules: il entrait dans le petit jardin qui environnait sa cabane, lorsqu' un coq, en chantant, et plusieurs poules en caquetant accoururent augmenter son cortége.3

Mais les démonstrations de joie et d'amour dans tous ces animaux n' égalaient point celles de deux jeunes chiens blancs qui attendaient Azamet à sa porte; ils ne venaient point au devant de lui, et semblaient vouloir lui montrer qu'ils gardaient fidèlement sa demeure qu'il leur avait confiée; mais au moment qu'il entrait, ils l'accablèrent des plus vives caresses; ils rampaient autour de lui, il se jetaient à ses pieds, ils les léchaient leur regards étaient passionnés, le langage de leur passion était un murmure doux et tendre: à la moindre caresse que leur rendait leur maître, ils s'élançaient, ils faisaient de longs circuits autour de la cabane, en courant et en aboyant de toute leur force; l'excès du plaisir leur donnait de la folie, ils revenaient bien vite en haletant et en suffoquant, s'étendre encore aux pieds d'Azamet. Usbeck souriait à ce spectacle : eh bien ! lui dit le visir, tu me vois tel que j'ai été dès mon enfance, l'ami des êtres sensibles : j'ai voulu faire le bonheur des hommes, ils se sont opposés à mes desseins, je rends ces animaux heureux, et je jouis de leur reconnaissance; tu vois qu'enfermé dans les rochers du Khorazan, j'ai des compagnons, et que ma solitude n'est pas un tombeau : je vis encore, j'aime, et je suis aimé.

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1. Vinrent, perf. of venir. See Less. 136. 5. Ils se sont opposés, etc., they opposed 2. Accoururent, perf. of accourir.

3. Cortége, train.

4. Ils s'élançuient, they darted forward.

my designs. See Less. 85.

6. Je jouis de, etc., I enjoy their grati

tude.

*7*

UN HOMME HEUREUX.

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84. AUGUSTE, de retour1 de ses voyages, est rentré2 dans sa vallée natale. Il a borné ses désirs : il a pris une compagne simple et modeste parmi les filles de cette vallée; ses vœux ne s'étendent pas au-delà de l' Ilfis et de l' Emma, qui baignent la contrée. Les premiers rayons du soleil naissant viennent embellir sa demeure; les soins de l'agriculture et ceux de l'éducation des enfants pauvres du village, occupent ses instants et sont le but de sa vie. Toute sa philosophie est dans sa modération et dans sa simplicité. Il fait le bien, il vit obscur, il est heureux. L'agitation inquiète des hommes qui ont vécu dans la sphère des cours, dans le tourbillon politique, dans la licence des camps, lui est étrangère. Il n'égare point son esprit dans de vastes projets; il n'entretient pas des relations lointaines. Il ne rattaches point ses craintes ou ses espérances aux récits souvent infidèles, tracés par des plumes vénales dans les lieux où dominent l'intrigue, l'ambition et tous les vices. Peu lui importent les crimes des ministres des rois et des puissants de la terre; il ne daigne pas s'informer où ils existent; leurs noms mêmes, lui sont inconnus; jamais il n' a dû courber¤ en leur présence un front humilié. Il embrasse d'un seul coup-d'œil son petit domaine, qui suffit à ses besoins. La colline sur laquelle est bâtie son humble cabane, produit le blé qui nourrit sa famille. Au bas de la colline est le temple où il remercie le Père commun de tous les biens qu'il en a reçus. Dans la maison du pasteur du lieu, il goûte les plaisirs d'une société douce et innocente. Auprès du temple et du presbytère est le gazon touffu sous lequel reposent les cendres de ses pères, qui attendent les siennes. Aucune impression douloureuse ne vient troubler la paix profonde dont il jouit. Son

1. De retour, on his return.
2. Est rentré, entered again.
takes être for its auxiliary.
Less. 110, page 223.

3. Fait le bien, he does good.

Rentrer

4. Il n'égare point, he does not lead his spirit astray.

See 5. Rattache, attach.

6. N'a dû, has not been obliged.

7. Presbytère, parsonage,

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