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geux scythe enfonce son épée dans le gosier du lion; mais la pointe rencontrant une de ces épaisses dents que rien ne peut percer, se brise en éclats,' et le monstre des forêts, furieux de sa blessure, imprimait déjà ses ongles dans les flancs du monarque.

Le jeune inconnu, touché du péril d'un si brave prince, se jette dans l'arène plus prompt qu'un éclair; il coupe la tête du lion avec la même dextérité qu'on a vu depuis dans nos carrousels de jeunes chevaliers adroits enlever des têtes de maures,2 ou des bagues.

Puis tirant une petite boîte, il la présente au roi scythe, en lui disant: Votre majesté trouvera dans cette petite boîte le véritable dictame qui croît dans mon pays. Vos glorieuses blessures seront guéries en un moment. Le hasard seul3 vous a empêché de triompher du lion; votre valeur n'en est pas1 moins admirable.

Le roi scythe, plus sensible à la reconnaissance qu'à la jalousie, remercia son libérateur; et après l'avoir tendrement embrassé, rentra dans son quartier pour appliquer le dictame sur ses blessures.

L'inconnu donna la tête du lion à son valet: celui-ci, après l'avoir lavée à la grande fontaine qui était au-dessous de l' amphithéâtre, et en avoir fait écouler tout le sang, tira un fer de son petit sac, arracha les quarante dents du lion, et mit à leur place quarante diamants d'une égale grosseur.

127. Son maître, avec sa modestie ordinaire, se mit à sa place; il donna la tête du lion à son oiseau: Bel oiseau, dit-il, allez porter aux pieds de Formosante ce faible hommage. L'oiseau part, tenant dans une de ses serres le terrible trophée. Il le présente à la princesse en baissant humblement le cou, et en s'aplatissant devant elle. Les quarante brillants éblouirent

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tous les yeux.

cence dans la

On ne connaissait pas encore1 cette magnifisuperbe Babylone; l'émeraude, la topaze, le

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saphir, et le pyrope étaient regardés encore comme les plus précieux ornements. Bélus et toute la cour étaient saisis d'admiration. L'oiseau qui offrait ce présent les surprit encore davantage. Il était de la taille d'un aigle, mais ses yeux étaient aussi doux et aussi tendres que ceux de l'aigle sont fiers et menaçants. Son bec était couleur de rose, et semblait tenir quelque chose de la belle bouche de Formosante. Son cou rassemblait toutes les couleurs de l'iris, mais plus vives et plus brillantes. L'or en mille nuances3. éclatait sur son plumage. Ses pieds paraissaient un mélange d'argent et de pourpre; et la queue des beaux oiseaux, qu'on attela depuis au char de Junon n'approchait pas de la sienne. L'attention, la curiosité, l'étonnement, l'extase de toute la cour se pastageaient entre les quarante diamants et l'oiseau. Il s'était perché sur la balustrade entre Bélus et sa fille Formosante; elle le flattait, le caressait, le baisait. Il semblait recevoir ses caresses avec un plaisir mêlé de respect. Quand la princesse lui donnait des baisers, il les rendait, et la regardait ensuite avec les yeux attendris. Il recevait d'elle des biscuits et des pistaches qu'il prenait de sa patte purpurine et argentée, et qu'il portait à son bec avec des grâces inexprimables.

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Bélus qui avait considéré les diamants avec attention, jugeait qu'une de ses provinces pouvait à peine payer un présent si riche. Il ordonna de préparer pour l'inconnu des dons encore plus magnifiques que ceux qui étaient destinés aux trois monarques. Ce jeune homme, disait-il, est sans doute le fils du roi de la Chine, ou de cette partie du monde que l'on nomme

1. On ne connaissait pas encore, they 4. Se partageaient, was divided. were not yet acquainted with. 5. S'était perché, he had alighted. 6. Pistaches, pistachios.

2. Aussi doux, etc., as mild and as ten

der as those of the eagle are proud 7. Payer, to pay for.

and threatening.

3. En mille nuances, in a thousand

shades.

l' Europe, dont j'ai entendu parler, ou de l'Afrique, qui est, dit-on, voisine du royaume d' Egypte.

Il envoya sur-le-champ son grand écuyer complimenter l' inconnu, et lui demander s'il était souverain d'un de ces empires, et pourquoi, possédant de si étonnants trésors, il était venu1 avec un valet et un petit sac.

Tandis que le grand écuyer s'avançait vers l'amphithéâtre pour s'acquitter de sa commission, arriva un valet sur une licorne. Ce valet, adressant la parole au jeune homme, lui dit: Ormar, votre père touche à2 l'extrémité de sa vie, et je suis venu vous en avertir. 3 3 L'inconnu leva les yeux au ciel,

versa des larmes, et ne répondit que par ce mot: "partons."

LE SOUHAIT.

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128. Ce n'est ni l'abondance que je désire, ni de régner sur mes semblables, ni que mon nom soit répété chez les nations éloignées. Oh! que ne puis-je inconnu, tranquille, vivre loin du fracas de la ville, où les cœurs droits marchent environnés de mille piéges inévitables, où les mœurs et les usages ennoblissent mille extravagances ! Que ne puis-je, au sein d'une campagne solitaire couler mes jours paisibles sous un toit rustique, auprès d'un jardin champêtre, également à l'abri de l'envie et de la célébrité!

Des noyers cintrés en berceaux6 couvriraient de leur ombrage ma maison solitaire. Sous leurs feuillages verts habiteraient devant ma fenêtre, le doux zéphyr, l' aimable fraîcheur, et le repos tranquille. Devant l'entrée, dans une petite enceinte fermée par une haie vive, une source limpide murmurerait, sous un treillage de pampre. Dans le courant de cette onde pure,

1. Il était venu, he had come. 2. Touche d, has reached.

3. Vous en avertir, to inform you of it.

4. Que ne puis-je, why can I not.

5. Couler, pass smoothly away.

6. Cintrés en berceaux, arched into vaults.

7. Treillage de pampre, a treillage of

vines.

la cane1 se jouerait avec ses petits. Les douces colombes descendraient de leur toit ombragé, pour s'y désaltérer;2 elles se promèneraient sur le gazon en redressant leur cou nuancé de mille couleurs: tandis que le coq majestueux assemblerait autour de lui dans la cour, ses poules glapissantes. Tous ensemble accourraient au son de ma voix et viendraient en foule demander d'un air caressant la pâture à leur maître.

Les oiseaux, dont la liberté ne serait jamais troublée habiteraient le feuillage touffu des arbres voisins et s'appelleraient familièrement d'un arbre à l'autre par leurs chants. Dans un coin de la petite cour seraient rangées les ruches3 de mes abeilles. Leur république forme un spectacle aussi agréable qu' utile. Elles aimeraient le séjour de mon verger, s'il est vrai, comme le disent les habitants de la campagne, qu' elles ne se fixent que dans les lieux ou règnent la paix et le repos. Derrière la maison, serait placé mon jardin spacieux où l'art simple se prêterait avec docilité à seconder les agréables caprices de la nature. On ne le verrait point se révolter contre elle, regarder ses productions comme une matière servile, et les plier à des formes bizarres et grotesques. Un mur de noisetiers1 fermerait ce jardin; à chacun des coins il y aurait une tonnelle de vigne sauvage. Là, souvent je me déroberais aux rayons brûlants du soleil; et je verrais le jardinier hâlé retourner la terre des planches pour semer des légumes savoureux. Souvent excité par son ardeur au travail, je prendrais de ses mains la bêche pour travailler moi-même, tandis que debout à mes côtés, il rirait de mon peu de force. Quelquefois je l' aiderais, tantôt à lier contre des banquettes les tiges penchées des plantes, tantôt à prendre soin des rosiers, des œillets, et des lys dispersés.

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129. Hors du jardin un clair ruisseau arroserait mes prés couverts d' une herbe épaisse; de là, il serpenterait9 à l'ombre

1. La cane, the duck.

5. Une tonnelle, an arbor.

2. S'y désaltérer, to quench there their 6. Des planches, from the boards

thirst.

3. Les ruches, the hives.

4. Noisetiers, nut-trees.

7. La bêche, the spade.

8. Contre des banquettes, against the rods.

9. Serpenterait, would wind.

d'un bocage d'arbres fruitiers, entremêlés de tendres rejetons que je cultiverais moi-même avec soin. Vers le milieu, je rassemblerais ses eaux pour former un petit étang dans lequel je ménagerais une petite île; et sur cette île j'élèverais un berceau de verdure. Oh! si je pouvais voir encore un petit coteau de vigne s'étendre le long de la plaine; si je possédais encore un petit champ couvert d'épis ondoyants, le plus riche des rois pourrait-il me paraître digue d'envie ?

J'aurais pour voisin le bon villageois dans sa chaumière enfumée; les secours d'une bienveillance réciproque, les conseils sincères de l'amitié nous feraient sourire tendrement en bons voisins1 à la rencontre l'un de l'autre. Qu'y a-t-il en effet de plus doux que d'être aimé ? Qu' y a-t-il de plus agréable que d'être abordé d'un air content par un homme auquel on a fait du bien ?

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Lorsque le fracas tumultueux arrache au sommeil l' habitant des villes; lorsque le mur voisin le dérobe2 aux regards bienfaisants du soleil levant; lorsque le spectacle admirable de l'aurore est interdit3 à sa vue emprisonnée; alors, réveillé par le vent frais du matin et par le doux concert des oiseaux, je sortirais des bras du repos pour voler au-devant de l'aurore, ou dans les prairies émaillées, ou sur le penchant du coteau voisin. Du haut des collines, j'exprimerais mon ravissement par des chants de joie. Quoi de plus ravissant en effet que la belle nature, lorsque ses beautés diversifiées à l'infini3 se confondent dans un mélange plein d' harmonie?

Souvent, aux douces clartés de la lune je me promènerais, plongé dans des méditations profondes sur l' harmonie du système de l'univers, tandis que des mondes et des soleils sans nombre brilleraient au-dessus de ma tête.

Quelquefois aussi, je suivrais le laboureur, lorsqu'il chante derrière sa charrue en traçant un sillon pénible;

; ou j'irais

1. En bons voisins, as good neighbors. 4. Des bras, etc., from the arms of re2 Le dérobe. deprives him.

pose.

ity.

3. Est interdit, is forbidden to his im- 5. Diversifiées, etc., diversified to infinprisoned view.

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