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LUNDIS

PAR

C.-A. SAINTE-BEUVE

DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

TOME TROISIÈME ✓

3

00

PARIS

MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS

RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15

A LA LIBRAIRIE NOUVELLE

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Tous droits réservés

NOUVEAUX LUNDIS

Lundi 21 juillet 1862.

CHATEAUBRIAND

JUGÉ PAR UN AMI INTIME EN 1803.

I.

L'Académie française a mis au concours l'Éloge de Chateaubriand, et elle a bien fait : c'est le plus grand sujet littéraire du xixe siècle, et la mort l'a fixé et refroidi depuis un temps suffisant. Il n'y a pas de danger qu'on se méprenne sur ce mot Éloge : il ne saurait s'appliquer qu'au grand écrivain toujours debout et subsistant; l'homme et le caractère sont dorénavant trop connus, trop percés et mis à jour pour que l'éloge puisse y prendre pied décidément, et quoique les appréciations de ce genre soient sujettes à de per

pétuelles vicissitudes, quoiqu'il semble qu'en littérature et en morale les choses ne se passent point comme dans la science proprement dite et que ce soit toujours à recommencer, je pense toutefois qu'il y a, dans cet ordre d'observations aussi, de certaines conclusions acquises et démontrées sur lesquelles il n'y a pas lieu pour les bons esprits à revenir. La science morale, bien comprise, bien appliquée aux individus, a, comme toutes les sciences, ses jugements définitifs et ses résultats.

Comment en douter, lorsqu'on a étudié à fond le sujet si complexe, si brillant, si coloré, qui s'appelle Chateaubriand? On possède, à son égard, tous les moyens d'investigation et de connaissance. Je reviendrai tout à l'heure, avec plus de détail, sur l'ensemble des conditions qui me semblent à réunir pour aborder avec avantage de tels problèmes biographiques; mais, en ce qui est de Chateaubriand, l'auteur d'abord s'est peint lui-même, s'est analysé en tous sens dans des portraits de jeunesse; il s'est réfléchi et projeté à tout moment dans ceux même de ses écrits subséquents qui, par le sujet, auraient dû être le moins personnels; il s'est, dans sa vieillesse, raconté de nouveau et avec toutes sortes de variations dans des Mémoires dits d'Outre-Tombe. Sa vie publique, tout en dehors et pleine d'excitation, a, durant de longues années, fait sortir aux yeux de la France et du monde entier certains défauts et certaines dispositions intérieures, dont ses amis seuls avaient jusqu'alors le secret : toutes ses humeurs, ses splendeurs de bile et ses âcretés de sang,

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