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SPARTACUS.

Tu te laisses emporter par une aveugle fureur. Descends en toi-même. Citoyen, ne hais-tu pas les tyrans ?

VINDEX.

Esclave, je hais les hommes.

VOIX AU LOIN.

Sentinelles, prenez garde à vous!

VINDEX.

Oui, PRENEZ GARDE A VOUS ! Mais vous veillez en vain. L'ange du ciel ne garde plus la ville. Il ne pose plus sa main sur le cœur du peuple, pour en comprimer les battements formidables; il n'y verse plus les paroles qui éteignent la haine et l'envie. L'ange s'est enfui du milieu de vos cités et m'en a laissé maître. Veillez, prêtez l'oreille : tout est calme, je suis vaincu, je travaille... Je répare la brèche que j'ai faite sur les barricades à ce fer, mon gagne-pain et mon vengeur!...

En ce moment une vive fusillade éclata, mille cris déchirants et terribles s'élevèrent. C'était ce lamentable épisode des prisonniers échappés, qui coùta la vie à cent personnes. Je courus à nos faisceaux. Quel désordre! le loustic, sans se rendre bien compte de ce qu'il faisait, mettait en joue son capitaine. Au milieu du trouble, je jetai un regard du côté des statues. Spartacus ne paraissait pas solide sur ses jambes; Vindex, silencieux et courbé, aiguisait sa serpe.

M. DE LAMARTINE ROMANCIER,

Les Confidences.-Raphaël.

mars 1848.

Ne séparons pas ces deux ouvrages. Sous des titres divers, ils forment le premier et le second volume de la même histoire ou du même roman. L'auteur de cette histoire, le héros de ce roman ne veut pas que le public se méprenne. La dernière ligne des 'Confidences renvoie le lecteur à Raphaël, la première ligne de Raphaël avertit que Raphaël est un nom supposé. Il n'y a là nul mystère. Raphaël est une suite des Confidences; le vrai nom de Raphaël est Alphonse de Lamartine.

S'il y a des lecteurs à l'oreille de qui rien ne soit encore venu du bruit que ces publications ont fait, ils vont imaginer quelque chose de sérieux. Depuis un an, M. de Lamartine a joué un grand rôle; et, de poëme en poëme, de discours en discours, de printemps en printemps, il est arrivé tout près de la soixantaine. Bientôt les journalistes, grands consommateurs de périphrases, l'appelleront un illustre vieillard. Sur ce faîte d'années remplies de tant d'œuvres et chargées d'actes si graves, lorsqu'on a jeté dans les aventures révolutionnaires une société de trente-cinq millions d'âmes, lorsqu'on a vu cette société étaler tous

ses maux, crier toutes ses misères, hurler tous ses délires; lorsque l'on a été son espérance et presque son idole; lorsque l'on est tombé dans son dédain, si on lui parle, c'est pour la consoler, probablement, ou tout au moins pour l'instruire. Voyons quels conseils M. de Lamartine nous donne, quels aveux il nous fait, quel pardon il nous demande.

M. de Lamartine ne nous fait d'autres aveux que celui de ses amoureux martyres, ne nous conseille que de bien aimer les dames, ne nous demande que d'acheter ses livres. L'ancien membre du Gouvernement provisoire, voyant qu'on ne veut plus de lui aux affaires de l'Etat, reprend simplement son métier d'homme de lettres. Il écrit, il bâcle des volumes, comme s'il n'y avait eu ni 24 février,ni 10 avril, ni 15 mai, ni 25 juin, ni 10 décembre. Vous songez à M. Sobrier, à M. Louis Blanc, à M. Proudhon, au général Bréa, aux quarante-cinq centimes, à la faillite, à la banqueroute, à la faim, aux torrents de sang dans les rues, aux torrents d'angoisses dans les cœurs, aux torrents de larmes dans les familles ; il songe à la belle Mâconnaise, à la belle Procitane, à la belle Savoyarde, à la belle Parisienne, à toutes les belles qu'il a charmées. Il décrit leurs cheveux, leurs lèvres, leurs dents, leurs yeux tendres, l'herbe qu'elles ont foulée aux pieds, le vent qui dessinait ces jolies tailles; il dit surtout comme il fut noble

amant.

Ces deux volumes ne renferment pas autre chose.

J'en éprouve plus d'étonnement et un étonnement plus pénible que je ne l'aurais pensé. Sans méconnaître le grand talent de M. de Lamartine, je n'ai pu faire jamais grand cas ni de lui ni d'aucun individu de l'espèce poétique. L'Apollon du Belvedère me paraît beau, c'est un dieu ; mais ce n'est que le dieu des chansons, je n'en attends que des chansons. Il porte un arc pour lancer des traits de sa

tire. C'est naïveté de lui demander des choses viriles, de lui mettre la cuirasse sur le dos et le sceptre aux mains. Néanmoins, la France s'étant oubliée à cette folie de prendre un jour pour colonel le principal musicien du régiment, ce n'était pas au musicien de lui en faire honte. Puisqu'il se voulait remettre à chanter, ne pouvait-il au moins sonner la trompette, amplifier dans le patriotique, dans le philosophique, dans l'historique? Mais prendre le galoubet à cet âge, et faire danser devant nous le fantôme fardé de la vieille Elvire! La France a subi depuis un an des humiliations notables. Elle s'est vue condamnée à connaître des hommes qui ne pouvaient pas même prétendre à l'illustration des sifflets; elle a dù prononcer leurs noms souvent, s'inquiéter de ce qu'ils pensent, discuter leurs idées, les combattre, les craindre; cependant la pire, la sanglante avanie est celle que lui fait M. de Lamartine, l'homme du 10 avril, s'avançant, guitare en main, pour lui conter ses amours et la distraire ainsi de l'auteur du Chiffonnier et du créateur de la banque d'échange, qui lui font peur.

Et c'est juste! La France s'est donnée au sophisme : il est juste que les sophistes la gouvernent, la tondent, la méprisent, et qu'entre deux catastrophes, profitant des renversements qui les ont mis en évidence, ils fasssent argent des moissons de leur esprit. Pauvre France! Trop heureuse encore d'en trouver qui sachent parler français ! De ceux-là, elle n'en aura pas toujours. Il en vient d'autres, hideux et ineptes, qui lui feront des discours sans grammaire, qui lui donneront des lois sans orthographe, qui lui vendront des livres barbouillés de la même fange dont ils écriront leurs décrets.

Ecoutons les histoires amoureuses de M. de Lamartine. Nous l'avons bien mérité! Fermons les volets afin de n'en

Félix Pyat,- Proudhon.

tendre pas nos frères qui, là-bas, dans la rue, chantent la Carmagnole, demandant des autels pour le divin Robes pierre, réhabilité par M. de Lamartine avant de l'être par eux. Nous aurons fini, peut-être, avant qu'ils ne viennent enfoncer la porte. Si Théroigne les accompagne, nous trouverons du moins quelques paroles sentimentales à lui dire; Théroigne qui fait aussi des décrets et des histoires d'amour 1 !

I. Il y a une préface aux Confidences, et c'est encore une confidence. M. de Lamartine répond à un ami qui a voulu savoir, comme tout le monde, quelle fâcheuse occurrence le peut pousser à livrer au public les secrets de son cœur. Hélas! l'illustre auteur n'y met aucune fierté. Il avait des soucis d'argent, res angusta domi; il a vendu à la Presse les secrets de son cœur pour racheter la maison paternelle, que les huissiers assiégeaient. Le papier timbré a provoqué les Confidences. Et si l'on veut savoir pourquoi les huissiers cernaient le poëte, c'est un effet de son amour pour la vérité. Il aurait pu servir la France « dans la carrière de ses «< négociations largement rétribuées. » Mais il a préféré,

depuis 1830, servir à ses dépens dans l'armée de Dieu, << soldat sans solde des idées qui n'ont pas de budget sur « la terre. » Plus loin, M. de Lamartine prévient son ami que les Confidences seront d'ailleurs arrangées pour le lecteur et ne ressembleront pas trop à des confessions. Nous le croyons sans peine! Telles qu'elles sont, néanmoins, les Confidences lui pèsent encore. Il a besoin de s'en consoler. Il se console en regardant « l'ombre des tilleuls, qui le soir

grandit, s'allonger lentement jusqu'à lui comme des fan« tômes qui viennent lui lécher les pieds pour le bénir. » Il espère que, lorsqu'il retrouvera son père, sa mère, ses

Il y avait un affreux trio de grâces littéraires dans les rangs les plus avancés de la démagogie.

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