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POLEMIQUES CONTRE L'ORDRE.

I

LE PAPE ET LE MIRACLE DE RIMINI.

5 juin 1830

Extrême ignorance et faible raisonnement de M. Chambolle.

I. L'Ordre, journal consacré à la défense des principes conservateurs de la société et des libertés publiques, est fort mécontent de la dernière allocution du Souverain Pontife. Il lui reproche de taire ce qu'il faudrait dire, et de dire ce qu'il faudrait taire. Si l'honorable M. Chambolle, rédacteur en chef de l'Ordre, veut bien nous prêter un moment ses oreilles, nous profiterons de l'occasion pour y faire entrer certaines vérités qui l'aideront à défendre « les principes conservateurs de la société et des libertés publiques. »

M. Chambolle a toujours été l'un des plus brillants émules de Mathieu Garo, lequel voulait que les glands fussent gourdes. Raisonnant à part soi de l'ordonnance du monde,

maître Garo n'y trouvait guère que de mauvais arrange

ments :

A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela?

Il a bien mal placé cette citrouille-là.

Et il en tirait la conclusion invariable de tout les articles de fonds:

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré

Au conseil de celui que prêche ton curé.

Tout en eût été mieux.....

Un gland tombé sur le nez de Garo le fit changer de langage. S'estimant heureux que le gland n'eût pas été citrouille, il reconnut que Dieu fait bien ce qu'il fait. M. Chambolle croit plus fermement à sa propre sagesse. A lui aussi, pourtant, il est tombé quelque chose sur le nez, le 24 février 1848; quelque chose de plus lourd qu'un gland, de plus dur qu'une citrouille. Journaliste, député de l'Opposition, ami des libres penseurs, propagateur des Michelet, des Quinet, des Cousin, des Libri, voltairien, universitaire, sulâtre, et enfin l'un des ordonnateurs du mémorable banquet, il secoua pendant quinze ou vingt ans l'arbre d'où tant de judicieux efforts ont fait choir le fruit de gloire et de prospérité que nous appelons la République. Sans manquer de respect à M. Chambolle, s'il a su ce qu'il faisait, il n'a pas fait ce qu'il voulait. Mais il n'est pas homme à se rendre pour si peu. Il a retrouvé des électeurs, un journal, il ne se souvient plus d'avoir été désarçonné. Tout au contraire. Jadis il se contentait à peu près d'enseigner l'art de gouverner la France et le monde; présentement il se reconnaît des lumières pour le gouvernement de l'Eglise. A son avis, le Pape n'y entend rien. Il le dit en homme qui n'a plus le devoir d'être modeste. Une discus

Nous appelions sula'rie la vogue imbécile de M. Sue.

sion, un doute, des formes polies, cela est bon aux petits esprits qui se sont quelquefois trompés ou qui appréhendent de faillir! M. Chambolle est infaillible, il prononce. L'allocution, dit-il, est impolitique, déplorable, inouïe; elle est attentatoire à la liberté des nations; où le Pape a-t-il pris les idées qu'il exprime là? « Ce n'est pas dans l'Evangile, sans doute! >>

Ah! si l'honorable M. Chambolle avait été appelé au Consistoire, il y aurait défendu « les principes conservateurs de la société et des libertés publiques; » il aurait inspiré au Souverain Pontife un langage habile, prudent, évangélique; tout en eût été mieux ! Mais ces prêtres ne s'avisent de rien; ils fuient les hommes de mérite, et l'Eglise a horreur des lumières.

Dans certains moments, M. Chambolle doit bien s'étonner de n'être pas du parti de M. Hugo!

Quant à nous, ce qui nous étonne, c'est qu'en France, où il y a tant d'esprit, on ne sente pas le ridicule violent de ces sentences rendues à tout propos par les visirs de très-haute et très-ignare sultane la presse. Est-il donc si difficile de se dire qu'il y a mille raisons pour que Pie IX sache comment il peut parler et comment il peut agir, et mille autres raisons pour que M. Chambolle ne le sache pas ? Nous n'alléguerons point l'assistance divine promise au Vicaire de Jésus-Christ, M. Chambolle en rirait trop; mais à ne regarder les choses que des yeux du gros bon sens, c'est Pie IX qui est le Pape, et M. Chambolle n'est qu'un estafier de nos Burgraves les plus ruinés. C'est Pie IX qui vit à Rome, au centre de l'Italie, au sommet de l'Eglise; c'est Pie IX qui a étudié toute sa vie le caractère et les besoins du peuple romain, les conditions d'existence et les périls de la civilisation chrétienne; c'est Pie IX qui a examiné les idées, pratiqué les hommes, qui tient dans sa main le fil des affaires, qui connaît le dogme, la loi, l'histoire, la tradition :

c'est Pie IX qui est intéressé devant son peuple, devant le genre humain, devant la postérité, devant Dieu même, à tout faire pour la justice, pour le bien, pour le mieux ; c'est Pie IX enfin qui consulte, qui médite, qui prie. Et M. Chambolle? Il est très-respectable; mais que voit-il par l'étroite lucarne de ses bureaux? Où a-t-il étudié Rome, l'Italie et l'Eglise? Comment se nomment ses conseillers et quelles garanties offrent-ils? Quelles sont ses prières? Quelle est sa responsabilité? Cependant M. Chambolle parcourt d'un œil distrait l'allocution que le Saint-Père a prononcée devant les Cardinaux pour qu'elle soit entendue de tout l'univers. It comprend quelque chose ou il ne comprend rien ; mais il décide que c'est une pièce tout à fait mal inspirée !

En vérité, si l'on y songeait un peu, le type du journaliste politique détrônerait immédiatement tous les personnages bouffons du théâtre de la foire.

Supposons qu'un aspirant bachelier, sortant du collége de Pézenas, se présente au bureau de l'Ordre et dise à M. Chambolle : « Ni vous ni vos Burgraves ne voyez clair dans la situation. Vous ignorez ce qu'il faut dire à la tribune, ce qu'il faut dire dans les journaux; vous ne connaissez ni les coteries, ni les partis; vous n'avez pas la première idée des mesures à prendre pour sauver la société ; tout cela n'est connu qu'à Pézenas, d'où j'arrive. » M. Chambolle ne manquerait pas de dire à ce jeune Pézenate qu'il le trouve fort présomptueux. Le Pézenate serait tout juste un peu moins présomptueux que M. Chambolle entreprenant de régir l'Eglise.

M. Chambolle exige qu'on s'occupe au plus vite de la reconstitution politique et civile des Etats romains. Il est fàché que le Pape, dans son allocution, ne parle pas de cette affaire essentielle; il demande, avec la superbe d'un rédacteur en chef, quelle est la raison d'un tel silence. La raison en est simple, et M. Chambolle n'avait qu'à réfléchir

un peu pour la deviner. C'est que le Pape, depuis son retour, a quelque sujet de croire que les Etats romains sont reconstitués politiquement et civilement, et que, si c'est une chose à perfectionner, ce n'est plus une chose à faire. Mais M. Chambolle a d'autres pensées. Par reconstitution politique et civile il entend le programme de Mamiani, la monarchie constitutionnelle et la sécularisation du gouvernement. C'est la fameuse lettre à M. Edgar Ney qui reparaît sous cette forme. Tout simplement M. Chambolle dit au Pape: A présent que la France vous a restauré, détrônezvous! Le Saint-Père pourrait répondre à M. Chambolle : << Mon cher fils, ce ne sont point là les conditions que la France m'a faites, et on a su que je ne les aurais point acceptées. Il est généralement admis que je ne puis être un roi constitutionnel; tous les hommes d'Etat, excepté vous et les révolutionnaires, tombent d'accord avec moi que je ne saurais le devenir sans compromettre mon autorité, le repos de mon peuple et la paix du monde. La monarchie constitutionnelle n'a pu durer en France, même appuyée par vous ; quelle solidité lui donnerait-on à Rome? Voulez-vous que j'aie des chambres, des journaux comme votre ancien Siècle, des professeurs comme vos anciens amis, des fonctionnaires, qui détesteront mon pouvoir et ma religion? des clubs? enfin, tous les avantages politiques et civils dont la France a délivré Rome et dont elle cherche à se délivrer elle-même? Vous n'y songez pas, mon cher fils! Je suis prêtre et je suis roi, souffrez que je gouverne en prêtre et en roi. Et tâchez de procurer à la France autant de liberté que je saurai en donner aux Romains lorsque vous aurez enfin consenti à ne plus raviver dans mes Etats les espérances des factieux. >>

Passant du gouvernement de Rome au gouvernement de l'Eglise et de ce que le Saint-Père ne dit pas à ce qu'il aurait dù, selon lui, ne point dire, l'Ordre prend contre l'allocution la défense du Ministère piémontais et du Ministère

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