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les moyens. Ils détestent ce que vous avez fait, ils le disent, et cependant ils aiment mieux le conserver que de risquer la vie des citoyens pour s'en délivrer. Ils réforment le suffrage universel sans violer la Constitution, mais sans cacher qu'ils profitent de son silence plutôt que de son aveu. Ils conviennent que si on ne peut, par cette porte heureusement entr'ouverte, expulser de la Constitution une partie de vos garnisaires, l'existence de la société n'est plus possible, et qu'alors il faut débattre le problème, d'avance tout résolu pour eux comme pour vous, de savoir qui, de la Constitution ou de la société, doit périr. Ils vous signifient qu'ayant commencé cette entreprise de salut public ils ne l'abandonneront point. Et vous, vous ergotez, vous déclamez, vous poussez à la tribune des avocats, des sonneurs de métaphores, des rêveurs; vous vous déguisez, vous vous reniez ; les révolutionnaires et les conspirateurs ne sont plus que des hommes de légalité, les socialistes ne sont plus que d'innocents philanthropes.

Vous demandez qui l'on trompe. On ne trompe personne, grâce à Dieu; mais tout le monde est en état de dire qui veut tromper.

Ah! il y a un reproche à faire au suffrage universel, et plus amer que tous ceux qui lui ont été faits! C'est de n'avoir pas trouvé un homme, pas un seul, pour porter à la tribune, avec la voix, avec la franchise, avec le bon sens du peuple, les véritables souffrances, les véritables misères, les véritables besoins du peuple. Si cet homme avait paru, s'il avait, dans sa droiture et dans sa simplicité, présenté à l'Assemblée, non une ignorante interprétation des dogmes socialistes, mais le tableau réel de l'abandon où le peuple est laissé; s'il avait dit que les corps souffrent, mais que les âmes souffrent davantage; s'il avait réclamé contre l'aveuglement moral où l'on fait tomber tant d'intelligences créées pour la lumière; s'il avait montré les ravages,

les ravages matériels qu'exerce dans la masse des citoyens une éducation corruptrice; s'il avait revendiqué, comme membre de la famille chrétienne, les droits qu'il tient de la charité du Seigneur Jésus, que d'entraves seraient tombées aussitôt que de plaies saignantes, inguérissables, auraient été fermées en peu d'instants! Car quelle n'eût pas été la force de ce véritable homme du peuple, et qu'eùt-il demandé de juste sans l'obtenir?

Mais le suffrage universel n'a envoyé que des politiques, des hommes de parti, des avocats, des rhéteurs. Ces envoyés ont représenté tous les drapeaux, toutes les ambitions, toutes les classes, tous les systèmes, toutes les folies, tout, excepté le peuple! Nul n'a vu parmi eux l'homme qui aurait pu pleinement et avec une autorité entière parler pour le peuple, parler comme lui, prendre en main et porter toute sa cause.

Cet homme n'existe pas dans l'Assemblée; cherchez, et prononcez le nom dont il se nomme. Est-ce M. de Flotte? est-ce M. Sue? est-ce M. de Lamennais? est-ce M. Esquiros? est-ce M. Pierre Leroux? est-ce M. Agricol Perdiguier, le menuisier publiciste, ou M. Nadaud, le maçon penseur? Nous ne voyons là que des bourgeois, et de la pire espèce, plus ignorants, plus sceptiques que les autres, ou plus envieux.

Le suffrage universel n'a pas trouvé un homme du peuple; ou s'il l'a trouvé, il l'a écarté au profit des journalistes, des avocats et des intrigants. Qui pèsera cette raison la trouvera forte; qu'on la pèse ou non, le suffrage universel devra compter avec elle quelque jour. Dieu aura pitié du peuple, il lui donnera un mandataire, et celui-là sera souverain.

LA FUSION.

LA MAISON DE BOURBON ET M. THIERS.

A travers les expédients plus ou moins chimériques qui s'offraient aux esprits comme solution du problème républicain, le principal, le plus raisonnable, et en apparence le plus praticable, était une restauration monarchique par l'accord des partisans de la maison de Bourbon, branche aînée et branche cadette. L'idée se présentait comme d'ellemême à tout ce qui n'était pas républicain ou bonapartiste; et c'était la grande majorité dans cette petite minorité qui avait été jusqu'en 1848 et qui croyait être encore la classe dominante. Faute d'habitude, on faisait abstraction du suffrage universel et de l'état révolutionnaire. On se déclarait donc tout d'abord pour la fusion. Mais, lorsque l'on y regardait d'un peu près, on s'apercevait qu'il y avait bien des manières de l'entendre. Les uns la voulaient au profit de la maison d'Orléans et du régime de 1830; les autres pensaient que la fusion devait être une reconnaissance pure et simple du droit de M. le Comte de Chambord par les princes d Orléans, et par suite une restauration véritablement monarchique, qui mit le vrai pouvoir royal dans les mains du vrai roi. Le régime à donner à la France eût été tel à peu près que celui qui a été institué en 1852. C'est là le sens où l'Univers, pendant quelques mois, entendit et soutint la fusion. Premièrement, que la branche cadette de la maison de Bourbon rentrât dans l'ordre; secondement, la reconstitution sérieuse et sincère du pouvoir en dehors des voies révolutionnaires.

On a voulu méconnaître cette attitude, et, comme sur beaucoup d'autres points, l'Univers a été diffamé sur celui-ci. Je crois cependant que nous n'avons rien fait et rien dit dont nous puissions rougir.

Nous respections le pouvoir du Président jusqu'au terme qui lui était assigné, la Constitution jusqu'à ce qu'elle fût modiñée légalement. En dehors de cela, nous avions parfaitement le droit de prévoir l'avenir et de chercher à le préparer; nous pouvions être monarchistes d'une certaine nuance plutôt que de certaine autre, et rien ne nous obligeait à préférer plutôt le maintien de la République ou l'établissement du régime impérial. En 1850, on ne connaissait pas Louis-Napoléon. Malgré les services qui le recommandaient à tous les hommes d'ordre et que nous reconnaissions plus hautement que personne, on était en doute sur le fond de sa pensée, et l'on ne savait point s'il ne s'appuierait pas sur la révolution. De plus, la lettre du 18 août, quoique sagement abandonnée, inquiétait toujours les catholiques.

Ce fut dans le courant du mois de juin 1850 que je formulai nos idées sur la fusion. Je le fis en forme de lettres écrites de Londres, avec les renseignements que me donna un homme plein de cœur et d'idées généreuses, ancien serviteur de la branche cadette, très-chaleureusement rattaché à la branche aînée. Les faits sont de la plus scrupuleuse exactitude, et ils n'ont pas été invalidés par les démentis que l'on a essayé d'opposer. Si les dispositions que les princes d'Orléans montraient alors n'étaient point sincères ou ne sont plus les mêmes, ce n'est ni la faute de mon ami, ni la mienne. A mon avis, l'influence de M. Thiers a été funeste en cette rencontre. Il a empêché sinon un grand et heureux succès, du moins un noble effort.-1857. —

13 juin 1850.

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Louis-Philippe et sa famille à Claremont. Régularité chrétienne. Marie-Amélie. Apologie de Louis-Philippe. Son règne et le Portrait de la Duchesse d'Orléans. Fausses

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temps présent.
vues de cette princesse.

Certitude du devoir, incertitude de

l'avenir.

Nous recevons de Londres la lettre suivante:

Voici, selon votre désir, des nouvelles de Claremont. Vous ne craindrez pas plus de les publier que je n'ai craint de les écrire, quoiqu'elles montrent Louis-Philippe sous un jour où vos lecteurs n'ont pas l'habitude de le contempler. Nous ne sommes sans doute tenus envers l'ex-roi à aucune réparation; nous n'avons été ni ses calomniateurs, ni ses ennemis; mais nous avons été souvent ses adversaires et jamais ses apologistes. Or, la stricte équité ordonne de payer à un adversaire le tribut d'estime qu'il peut mériter, et d'effacer par là l'idée trop défavorable qu'on aurait donnée de lui. Si nous soupçonnons maintenant des circonstances atténuantes là où jadis notre conscience n'en admettait pas, pourquoi ne point l'avouer ? Si seulement nous trouvons qu'un homme, fùt-il ennemi, est devenu meilleur dans l'adversité, pourquoi hésiterions-nous à le dire? Cette justice est en même temps un hommage au Dieu clément qui envoie l'adversité.

Toute la famille déchue est réunie en ce moment. Madame la Duchesse d'Orléans a amené ses enfants à Claremont, pour que le Comte de Paris, qui va faire sa première communion, y fùt préparé sous les yeux de sa grand'mère. En même temps que les leçons nécessaires, le jeune prince

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