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LE ROI DE PRUSSE ET LA RÉVOLUTION.

ront restées dignes, veulent stipuler pour elle, comprenezvous bien l'impuissance ridicule où elles se trouveront d'obtenir les moindres garanties, et le mépris sans bornes avec lequel d'insolents vainqueurs et de lâches vaincus repousseront leurs prières? Tout sera abandonné, détesté, foulé aux pieds. On se prosternera devant le maître, on lui demandera l'esclavage: on l'aura tel qu'il n'a pas encore existé sur la terre.

<«< Qui empêchera l'humanité de se replonger et de rentrer pour jamais dans la barbarie? Ce ne seront ni les écrivains, ni les artistes, ni les orateurs, ni les soldats, ni les magistrats, et bien moins encore les démagogues. La tyrannie trouvera parmi eux plus d'agents empressés que d'adversaires; mais la conscience chrétienne, encore une fois sommée d'abjurer Dieu, se révoltera encore une fois, et l'ère des martyrs recommencera l'ère de la liberté. »

LA LOI SUR L'ENSEIGNEMENT.

Le projet de loi sur l'enseignement secondaire présenté par M. de Falloux fut le thème de la plus longue et de la plus douloureuse polémique que l'Univers ait dû soutenir. Elle dura près d'un an.

Après l'avoir relue, deux choses me consolent.

La première, c'est que cette discussion ne pouvait être évitée; la seconde, c'est que l'Univers n'a rien fait pour changer la discussion en dispute et le dissentiment en division.

Il y avait toujours eu parmi nous un parti pour la transaction, et il s'était manifesté à l'occasion du projet Salvandy (voy. t. II, un écrit de M. l'abbé Dupanloup). Ce parti se montra plus puissant et bientôt tout-puissant au milieu des troubles que suscitaient les affaires politiques. Je ne condamne personne. Je crois à la sincérité des raisons auxquelles je n'ai pu me rendre. Ceux qui trouvaient la transaction nécessaire, et qui croyaient la faire bonne pour l'Eglise devaient la proposer et la soutenir; ne la trouvant ni opportune ni profitable, nous devions la repousser.

Nous la repoussâmes sans nous donner le tort d'accuser les intentions, sans employer ces armes qui font d'injustes et malignes blessures. On pourra deviner par quelques-unes de nos réponses que les mêmes égards n'étaient point gardés envers nous.

L'Ami de la religion était le principal apologiste du projet, et seul l'approuvait absolument. Les hommes qui l'inspiraient, connaissant leur importance, à laquelle je me flatte d'avoir toujours rendu hommage, s'indignaient un peu plus que de raison d'être contredits par des écrivains comme nous, qui n'étaient rien en dehors de leur journal. Ils nous accusaient d'indiscipline et nous contestaient jusqu'au droit de les combattre. Ce sentiment naturel, se communiquant à leurs moindres.

secrétaires, explique et fait excuser l'emploi d'un certain ordre d'arguments qui ne pouvaient avoir aucune influence sur nous. Nous ne doutions pas de notre droit d'examen, et d'ailleurs il s'en fallait que nous fussions seuls contre le projet. C'est de quoi nos adversaires, qui le savaient très-bien cependant, ne tenaient pas assez compte. Plusieurs évêques, entre autres le vénérable évêque de Chartres, feu Mgr Clausel de Montals, s'étaient prononcés publiquement dans le même sens que nous. Mgr Parisis s'abstenait. Les démarches les plus habiles et les plus empressées pour obtenir des adhésions n'en rallièrent qu'une trentaine, qui encore restèrent confidentielles. Révélées seulement vers la fin de la lutte par une sorte d'indiscrétion, elles parurent incertaines et douteuses, se bornant à dire que le projet valait mieux que le statu quo. En tout, cette loi inspirait de graves inquiétudes à l'épiscopat, et les auteurs le savaient si bien, qu'ils n'eussent pas consulté les évêques, qu'ils avaient formé le dessein de faire voter d'urgence, en quinze jours, presque sans discussion. L'épiscopat laissa faire. Rome consultée, non par nous, mais par nos adversaires, garda le silence et ne parla qu'après le vote pour rassurer les.consciences et rétablir la paix.

On trouvera plus loin, dans la réponse que j'ai dù faire à M. de Falloux (Histoire du parti catholique), une relation de cette discussion. Les articles suivants sont des preuves nécessaires que j'aurais voulu pouvoir me dispenser de produire.

APERÇU DU PROJET.

29 juin 1849.

Le projet n'est qu'un partage insignifiant du monopole. - Le nom fait perdre tout le fruit de nos luttes passées.

Une phase nouvelle et douloureuse commence dans la longue histoire de nos luttes pour la liberté d'enseignement. Nous n'y entrons pas sans regret et sans inquiétude. L'Université se retrouve devant nous, telle qu'elle fut, telle qu'elle restera, sourde à la leçon des événements, vouée aux plus mauvais. entraînements du siècle, irréconciliable à l'Eglise et à la liberté ; mais elle n'est plus seule! A côté d'elle se présentent quelques-uns de nos plus chers amis et de nos chefs les plus illustres, ceux que nous avions suivis, ceux que nous aimons, les cœurs les plus droits, les intentions les plus pures, les dévouements les plus éprouvés; des hommes de talent, des hommes graves et qui peuvent prétendre à parler et à stipuler pour les catholiques. Quelque étonnés qu'ils en soient, leur étonnement n'égale point le nôtre, ni surtout notre affliction.

Si l'on nous avait révélé, il y a deux ans, qu'à la suite d'une révolution prochaine une loi serait portée au pouvoir législatif, conseillée par M. Dupanloup, présentée par M. de Falloux, appuyée par M. de Montalembert, nous

aurions dit: Cette révolution et cette loi sauveront la France. M. Dupanloup, M. de Falloux, M. de Montalembert, tous les catholiques auraient parlé comme nous. Si l'on avait ajouté que nous combattrions cette loi, nous ne l'aurions pas voulu croire. Et si, complétant la révélation, on nous eût appris ce que serait cette loi, alors, nous ne craignons pas de l'affirmer, nos amis, s'unissant à nous, auraient nié

comme nous.

Qu'avons-nous demandé, toujours et unanimement? La liberté! Que nous offre le projet ? Une faible part du monopole!

Le projet organise et fortifie le monopole ; il n'institue pas la liberté.

Il donne au clergé, aux' citoyens, plus de facilité peutêtre qu'ils n'en avaient pour créer des établissements universitaires; il ne permet ni à l'Eglise ni aux particuliers de créer des établissements réellement libres. Dans l'exposé des motifs, comme dans tous les exposés de motifs et rapports que nous avons lus depuis bientôt dix ans, il est question de liberté ; dans les articles, dans la pratique, cette liberté n'est autre chose qu'une complète et radicale absorption. L'Université gouverne les établissements libres, autorise les livres et les méthodes, confère les grades. En outre, le projet ne reconnaît le droit de distribuer l'enseignement qu'aux congrégations autorisées par l'Etat. Ainsi pour l'instruction primaire, point d'autres congrégations que celles qui existent, et qui sont insuffisantes; pour l'instruction secondaire, aucune, sauf les Lazaristes, qui n'y sont pas spécialement voués et qui s'en occupent à peine.

Il ne sera que trop facile de le prouver: ce qu'on nous offre, nous l'avons toujours refusé; ce que nous avons toujours demandé, on nous le refuse.

Dans la vaste enceinte du monopole, on trace un petit enclos dominé de toutes parts. On y place des sentinelles uni

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