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VINDEX.

Et qu'à Rome, étant citoyen et n'ayant point de créanciers, tu te serais mis du parti de Cicéron contre Catilina ? Parle franchement.

Mais toi-même...

SPARTACUS.

VINDEX.

Moi, j'étais citoyen et je n'avais point de dettes, et j'étais l'un des principaux complices de Catilina. Personne ne lui donna des conseils plus extrêmes que les miens.

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Le parti de Catilina était le ramas des plus affreux scélérats qui fussent au monde.

VINDEX.

Je n'y ai vu, comme dans le tien, que des hommes qui revendiquaient leur liberté.

SPARTACUS.

Peux-tu comparer de malheureux esclaves qui brisent leurs chaînes à d'indignes citoyens tombés dans la misère par suite de leurs débauches?

VINDEX.

Tu insultes beaucoup les gens de Catilina, et tu vantes

beaucoup les tiens. Derrière Catilina marchaient une quantité de pauvres qui réclamaient légitimement leur part des jouissances de la vie; il y avait avec toi considérablement d'individus qui voulaient autre chose que le droit de suffrage et l'honnête plaisir de vivre en travaillant.

SPARTACUS.

Ils avaient tort, j'ai brisé avec eux.

VINDEX.

Ils avaient raison, et je suis resté des leurs.

SPARTACUS.

Tu l'avoues !... Insulte-moi maintenant, appelle-moi garde national, bourgeois et réactionnaire: tes injures m'honorent.

VINDEX.

Tu recevras de moi autre chose, qui te flattera moins. Regarde ces membres nerveux, ce corps amaigri par la faim, mais fortifié par le travail, et qui reste souple et fort à l'âge où tu seras obèse; vois ces muscles d'acier qui me permettent de ramper comme le serpent et de bondir comme le tigre; vois ce fer que j'aiguise en prêtant l'oreille à des bruits que tu n'entends pas!... Mon heure approche, l'heure attendue longtemps de mon règne et de ma vengeance! Elle sonnera, je me lèverai... Ciel et terre, vous connaîtrez alors le roi du monde! (Il se dresse et brandit sa serpe.)

VOIX AU LOIN.

Sentinelles, prenez garde à vous!

SPARTACUS.

A la garde! à la garde!

VINDEX.

Oui, trouve une patrouille assez forte pour m'arrêter, et une bastille assez grande pour me contenir !... J'ai porté des fers plus solides que ceux dont tu peux me lier aujourd'hui, des fers que j'aimais. Tu les as toi-même limés.

SPARTACUS.

Mortel effroyable, qui donc es-tu ?

VINDEX.

Je ne suis pas mortel, malheureusement pour toi. Quant à mon nom, j'en ai porté plusieurs. On m'a d'abord appelé Caïn, et j'ai tué mon frère. On m'a ensuite appelé le Mal, le Vice, l'Orgueil, que sais-je ? J'ai toujours vécu dans l'esclavage, et je crois que je suis la Liberté.

SPARTACUS.

Toi, monstre fratricide, tu serais la sainte Liberté !

VINDEX.

Sainte si tu veux. Je ne tiens pas à l'adjectif.

SPARTACUS.

Tu es bien plutôt le hideux communisme.

VINDEX.

Va pour le hideux communisme. Je suis la pensée libre dans un corps éternellement esclave, mais éternellement révolté, comme tu es, toi, Spartacus, la pensée esclave dans un corps affranchi. Tu t'es tiré de la servitude matérielle par astuce, en y employant ma main; mais, à peine hors d'affaire, tu m'as traité de factieux, et tu t'es soumis à de prétendues lois morales, à des préjugés dont le poids a principalement pesé sur moi. Heureusement, tes pareils

et toi vous n'avez pas pris garde à vos doctrines et à vos mœurs. Votre part de la servitude morale, si légère qu'elle fùt, vous a semblé trop pesante. Vous avez limé le joug, j'achèverai de le rompre, et je vous contraindrai d'y travailler avec moi. Nous verrons ce que vous ferez, lorsqu'il ne vous restera plus que vos baïonnettes. Spartacus, mon ami, tu as donné le dernier coup de lime...; je reconnaîtrai cela.

C'est trop de bonté.

SPARTACUS.

VINDEX.

Oui, tu es le premier sur qui je veux tomber. Sincèrement, je te trouve horriblement niais et présomptueux. J'ajoute que tu me sembles par trop hypocrite, avec ton fagot d'idées morales dont tu ne te souviens jamais qu'au lendemain de tes victoires.

SPARTACUS.

Il te manquait de vouloir me faire ton complice. M'astu jamais entendu déclamer contre la famille et la propriété ?

VINDEX.

Je t'ai du moins entendu traiter de fables absurdes les dogmes des chrétiens. Qui plus que toi a vilipendé leur doctrine et persécuté leurs prêtres ?

SPARTACUS.

Eh bien! crois-tu donc à ces fables? et, dans le cours de ta longue existence, as-tu aussi porté la robe des jésuites? On pourrait le penser, à la fureur qui t'anime contre les patriotes.

VINDEX.

Va, tes longues leçons n'ont pas été perdues. Ne doute point de mes lumières; elles embraseront le monde. Je ne

suis pas plus le disciple des jésuites que le tien. Mais, entre les jésuites et toi, je fais la même différence qu'entre leurs dogmes et tes mensonges : je les hais et je les redoute encore: toi, je te méprise. Ceux que tu appelles jésuites ont failli m'arracher l'empire du monde, ou plutôt me le faire abdiquer; toi, nigaud, tu me l'as rendu.

SPARTACUS.

Il paraît que la reconnaissance n'est pas une vertu dont tu te piques.

VINDEX.

Je ne me pique d'aucune vertu, et c'en est une au moins que j'ai de plus que toi. D'ailleurs je ne te dois rien. Si tu m'as appris à secouer les superstitions qui tantôt me glaçaient d'épouvante et tantôt venaient amollir mon cœur en y glissant je ne sais quelles consolations absurdes, mais profondes, tu ne l'as pas fait pour moi.

SPARTACUS.

C'est en quoi tu te trompes. L'esclavage monarchique reposait manifestement sur la superstition catholique. Pour détruire cet esclavage, j'ai cru et je crois encore qu'il fallait premièrement extirper cette superstition.

VINDEX.

Félicite-toi donc. Maintenant que la superstition est extirpée, tu vas me voir abolir l'esclavage, toute espèce d'esclavage; non-seulement le constitutionnel, mais aussi le républicain et les autres; non-seulement l'esclavage politique, mais aussi l'esclavage moral.

SPARTACUS.

Tu déraisonnes constamment. L'esclavage républicain, l'esclavage moral? Ces mots hurlent d'être accouplés.

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