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bolliens. Les rédacteurs de l'Ordre arrivent tous les matins au bureau de leur journal avec cette grande pensée, qu'il faut lutter contre les envahissements de l'Eglise, et qu'à ce prix seulement on pourra donner à la république l'attitude correcte et les allures douces qui lui mériteront enfin les beaux surnoms d'honnête et de modérée.

Mais prévenons d'avance une réclamation de l'honorable rédacteur en chef de l'Ordre, et rendons-lui toute justice. Anticatholique, moi! va-t-il nous dire; je suis plus catholique que vous. Je hais, il est vrai, le parti clérical, l'ambition cléricale, la stupidité cléricale, la tyrannie cléricale, et, par-dessus tout, les journaux cléricaux; mais, quant à la religion catholique, je l'aime, je l'honore, je la défends, je la protége... Lorsque l'Ordre parle ainsi, rien ne nous prouve qu'il ne croit pas dire la vérité. Il prend au sérieux son titre. L'ordre ne va pas sans morale, la morale ne va pas sans religion : donc un journal qui s'appelle l'Ordre doit vouloir et veut une religion. Seulement, dans l'esprit de l'Ordre, autre chose est la religion, autre chose est l'Eglise. Il ne voit pas que l'Eglise soit absolument nécessaire; il ia conserve parce qu'il est conservateur; mais il lui semble qu'il ne faut pourtant la conserver qu'à une condition: c'est qu'elle ne sera rien et ne pourra rien faire.

Avant la révolution, le rédacteur en chef du Siècle faisait déjà grand cas des sentiments religieux et moraux. Mais, lui demanda-t-on, vous ne voulez pas que l'Eglise enseigne; qui donc inculquera ces bons sentiments à la jeunesse ? -Nous aurons, dit-il, des professeurs de morale, réponse que ferait assurément le Siècle aujourd'hui, si on lui posait la question.

Brucker Raymond veut lancer le prospectus d'une feuille nouvelle, dont le besoin, selon lui, se fait vivement sentir. Il l'intitulerait : Le Républicain malgré lui, journal de presque tout le monde. Si M. Chambolle voulait orner son Ordre

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d'un second titre, il pourrait l'appeler, le Proudhonien sans le savoir, et ce serait encore le fidèle organe d'une fraction du parti conservateur.

Pour prouver tout ce que nous venons de dire, nous n'avons qu'à laisser parler l'Ordre. Voici un article qu'il publie ce matin, à propos du concile de Paris. Après avoir reconnu que les évêques ont le droit de se réunir, il fait ses conditions:

Nous ne demanderons qu'une seule chose, mais nous la demanderons avec de vives instances et dans l'intérêt de la religion ellemême : c'est que le clergé se garde bien, dans ses conférences, de sortir de son domaine et de vouloir arriver, par l'éducation de la jeunesse, au gouvernement de la société.

Par une telle prétention, aujourd'hui, ce n'est point un roi, un gouvernement, une classe qu'il blesserait, c'est la nation elle-même; la lutte ne serait pas entre lui et l'Université, comme il paraît le croire, mais entre lui et l'Etat; s'il poursuit donc la croisade qu'it a commencée sous la monarchie, il la poursuivra à d'autres conditions et il s'exposera à des périls dont rien jusqu'à présent ne lui a donné l'idée.

De toutes les considérations qui peuvent lui conseiller la prudence, nous n'en connaissons pas de plus grave et qui mérite plus que celle-là d'être posée mûrement par ses représentants. C'est surtout dans des temps de lumière et d'égalité, c'est surtout à une époque où toute doctrine est discutée et tout privilége contesté, qu'il doit se tenir plus discrètement dans le domaine qui lui est attribué.

S'il veut étendre son enseignement plus loin que les matières religieuses, et que, dans ses excursions sur un sol étranger, il lui arrive de s'égarer, ses erreurs philosophiques, littéraires ou scientifiques compromettront les vérités de la foi; il fera douter de tout ce qu'il dit quand, sur un seul point, il aura été réfuté.

S'il trahit, d'autre part, des instincts dominateurs, il se fera repousser au-delà des limites mêmes de son empire par une autorité d'autant plus jalouse, qu'elle est nouvelle et suprême.

Mahomet, dit M. de Tocqueville, a fait descendre du ciel et a placé dans le Coran, non-seulement des doctrines religieuses, mais des maximes politiques, des lois civiles et criminelles, des théories scientifiques. L'Evangile ne parle, au contraire, que des rapports généraux des

hommes avec Dieu et entre eux; hors de là, il n'enseigne rien et n'oblige à rien croire. Cela seul, entre mille autres raisons, suffit pour montrer que la première de ces deux religions ne se se soutiendrait pas dans des temps de lumières et de démocratie, tandis que la seconde a un règne aussi assuré dans ces temps que dans tous les autres. Confier l'instruction publique au clergé, c'est donc nuire à la religion, qu'on prétend servir.

Pourquoi, d'ailleurs, le clergé ambitionnerait-il une mission à laquelle il n'est ni appelé ni préparé, quand, pour s'en charger, il serait obligé d'en refuser une autre plus élevée et que lui seul peut remplir?

Sous l'influence des idées démocratiques qui pénètrent aujourd'hui dans les monarchies elles-mêmes et qui tendent à envahir le monde, les barrières qui séparaient les nations, les castes, les conditions et les fortunes s'abaissent ou disparaissent; l'idée d'un seul Dieu est mieux comprise des hommes d'aujourd'hui, amenés peu à peu à ne plus former qu'une même famille, partout soumise aux mêmes lois, et conduite par la Providence aux mêmes destinées.

Quelle vaste perspective est donc ouverte aux travaux évangéliques! Quels succès sont promis à ceux qui essaieront de rapprocher dans la foi religieuse ceux qui se rapprochent d'eux-mêmes dans la foi politique! Et c'est à ce noble emploi de son zèle que renoncerait le clergé de la France! Pourquoi ? pour donner un enseignement profane ou pour administrer le matériel des pensionnats universitaires ! Comment une Eglise qui embrasse le monde peut-elle vouloir être uue corporation de jesuites ou d'oratoriens?

L'Amérique, qui est la contrée la plus démocratique de la terre, est aussi la contrée où le catholicisme a fait le plus de progrès. Pourquoi? Parce que le clergé n'y a d'autre ambition que celle des apòtres; parce que, arraché aux préoccupations du siècle, il marche dans sa force, dans sa liberté, et les yeux levés vers les hauteurs. Ne peut-on citer au clergé son propre exemple pour lui faire voir ce qu'il gagne à rester dans sa sphère ? Tant qu'il a été le patron de Saint-Acheul et des autres écoles des jésuites, tant qu'il a été l'auxiliaire politique de la monarchie des émigrés, il a été haï on haine de ses protégés, qu'en définitive il n'a pu sauver; au contraire, depuis qu'il a perdu toute influence politique on universitaire, il est aimé et respecté : l'émeute elle-même s'est tue en sa présence. Par là, il doit voir où est le principe de sa force, par là, il doit reconnaître qu'il ne doit ambitionner d'autre enseignement que celui de la religion,

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Nous avons reproduit cet article comme document et pour tenir les catholiques au courant des opinions du parti modéré. Ils ont besoin de savoir ce qu'on y pense, puisqu'ils ont l'honneur d'y tenir leur place. Qu'ils connaissent done la portée du concours qu'on leur demande et la récompense qu'ils peuvent en espérer. C'est à prendre ou à laisser, car il n'y a pas là matière à discussion. Nous nous reconnaissons, pour notre compte, parfaitement incapable de répondre à des écrivains qui assurent que le clergé n'est ni appelé ni préparé à distribuer pour sa part l'instruction publique, et qu'on ne saurait lui donner cette charge sans nuire à la religion. Ces assertions ne nous laissent que le pouvoir de les constater.

LE GRAND PARTI DE L'ORDRE.

29 septembre 1849.

Prépondérance naturelle du tiers parti; impuissance de gouvernement. Les sociétés se sauvent par un seul fondé de pouvoir.

L'Assemblée reprend lundi ses travaux, ou plutôt ses séances. On se demande ce qu'elle fera du ministère, ce qu'elle fera d'elle-même. A ces questions, chaque parti, chaque fraction de parti fait une réponse; de l'ensemble de ces réponses, il résulte la plus grande obscurité possible. S'il y a quelque chose de certain, c'est que personne, à proprement parler, n'a de politique, ni le ministère, ni l'Assemblée, ni les partis. On attend d'être réunis afin de se tâter. et d'essayer des combinaisons; on portera à la tribune ce qu'on trouvera dans les couloirs.

La difficulté de la situation, c'est l'espèce de calme qui règne dans le pays; le péril du moment consiste dans l'absence même du péril. Quand le parti révolutionnaire ne donne rien à faire au parti de l'ordre, le parti de l'ordre ne sait que faire et, pour s'occuper, il se défait. Voilà le spectacle qu'il va nous offrir probablement, à moins d'un malheur imprévu. Dans la situation où nous sommes, il n'y a jamais lieu de désespérer de cet imprévu-là.

Chose triste il faut que le fluide révolutionnaire circule

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