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geaient. Puis nous avons eu le 15 mai, puis le 24 juin, puis le 10 décembre, puis le 13 mai, où M. Ledru-Rollin s'est trouvé l'élu de cinq départements. Puis la Législative est venue siéger pour quelques jours dans cette salle que M. Ledru-Rollin avait quittée pour parcourir une carrière si curieuse et si peu en rapport avec sa valeur personnelle, Il a dressé encore un acte d'accusation, mieux justifié peutêtre que celui de 1848; on en a ri encore; il est descendu encore de son banc... Pour aller où ? Dieu le sait! pour aller quelque part d'où il n'est pas encore revenu. Et le voilà mis en accusation à son tour.

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Le président, M. Dupin, lit un réquisitoire du procureur général de Paris, demandant l'autorisation d'exercer des poursuites contre MM. Ledru-Rollin, Considérant, Boichot et Rattier. Il résulte d'une information judiciaire sur les événements d'hier, que ces quatre représentants se sont rendus coupables d'excitation à la guerre civile. En même temps le procureur général fait toutes réserves contre d'autres représentants inculpés d'avoir signé des proclamations séditieuses, l'une publiée dans les journaux, l'autre datée du Conservatoire des arts et métiers et affichée sur les murs de Paris. M. Grandin réclame lecture de cette dernière pièce. Elle est lue. C'est un appel direct à l'insurrection immédiate. On demande les noms; le président les lit. Pendant cette lecture, des dénégations violentes éclatent sur les bancs de la montagne, beaucoup plus garnis qu'hier. Un montagnard ingénieux s'écrie que la pièce est l'œuvre de la police. On lui répond: Connu ! Aussitôt vingt, trente, quarante montagnards se précipitent vers la tribune, protestant qu'ils n'ont point signé cela, et fort in dignés qu'on les en accuse. Quels beaux mouvements, quelles nobles fiertés, quelles mains sur la conscience ! Plusieurs déclarent que le pauvre M. Grandin est certainement le dernier des hommes, d'avoir pu les croire capables

d'une telle noirceur. - Nous, provoquer à la guerre civile ! Nous, signer un appel aux armes !!! On ne le croira pas!!! L'un allègue qu'on veut lui nuire dans son département, l'autre, qu'il était malade; un troisième atteste sa vie passée, ses amis, la bénignité de ses mœurs. Ceux qui n'abordent pas la tribune, nient de leur place, à tour de bras, ils montrent le poing à quiconque fait mine de ne pas croire qu'ils sont pacifiques et doux.

Ainsi personne n'a signé ni cette dernière proclamation, ni l'autre, celle qui a paru dans les journaux, qu'il était si facile de démentir et contre laquelle cependant personne n'a protesté.

Eh bien! nous le croyons presque. Nous croyons que ces fiers montagnards n'ont pas matériellement apposé leurs signatures sur les proclamations qui en ont été revêtues. D'autres l'ont fait pour eux, sans leur autorisation ; et eux, ils n'ont pas voulu ou ils n'ont pas osé démentir les fanssaires. Voilà la mesure des hommes et du parti ! Il y a des inconnus, des invisibles qui mènent tout; et les prétendus chefs n'ont pas assez de force et de courage pour empêcher qu'on ne les lance, malgré eux, dans des entreprises au bout desquelles se trouvent la mort et la ruine pour des milliers de citoyens.

Nous craindrions d'affaiblir, en essayant de l'exprimer, le sentiment qu'a fait naître en nous ce spectacle. Parmi tous ces hommes pleins de jactance et d'arrogance, aucun ne s'est levé pour déclarer qu'il n'avait pas signé, et qu'on pouvait l'en croire, parce que si on lui avait proposé de signer, il l'aurait fait.

Cet incident s'est prolongé jusqu'à devenir inextricable. M. Dufaure a pressé l'Assemblée de se prononcer sur le réquisitoire du procureur général, attendu qu'en ce moment même un des représentants qui en font l'objet est sur la route de Lyon. Cette déclaration a mis fin

au débat. La Chambre s'est retirée dans ses bureaux pour examiner s'il y avait lieu d'accorder l'autorisation demandée.

A cinq heures, la séance est reprise. Monsieur le président donne lecture des protestations de divers représentants dont le nom a été indûment mis au bas du placard affiché au Conservatoire des arts et métiers.

M. Paillet présente son rapport. Après de courtes explications, il propose de déclarer l'urgence et d'autoriser les poursuites. L'urgence, mise aux voix, est prononcée à la presque unanimité. La Chambre immédiatement passe à la discussion du fond. M. Tamisier fait l'éloge de M. Victor Considérant; M. Théodore Bac défend les représentants accusés et les recommande à l'indulgence. L'autorisation de poursuivre est accordée à une immense majorité.

M. Dufaure présente un projet de loi sur les clubs et les réunions politiques. Le gouvernement aura pendant un an le droit d'interdire les réunions qui paraîtraient dangereuses et de nature à troubler la sécurité publique. A la fin de l'année, le gouvernement rendra compte à la Chambre de la façon dont il aura exécuté la loi. L'Assemblée, malgré l'opposition de M. Crémieux, décide qu'elle examinera demain, dans ses bureaux, l'urgence du projet. M. Crémieux réclamait l'impression et la distribution préalable de l'exposé des motifs. L'exposé des motifs est très-court et n'avait pas besoin d'être long; il ne contient que quelques phrases sur la triste situation où l'explosion du socialisme jette la France, et sur la nécessité où est le gouvernement de s'armer de lois énergiques pour répondre à une attaque insensée. La Chambre a senti l'inopportunité du moyen dilatoire imaginé par M. Crémieux, et l'a repoussé à une très-grande majorité.

LES ARTS EN 1849.

Août 1849.

Décadence et petitesse. Adresse de main, misère d'esprit. - La Mort de l'Archevêque de Paris, par M. Émile Lafon.

L'exposition de peinture va être close. Consacrons-lui quelques mots; la curiosité de nos lecteurs et le caractère général de l'exposition n'exigent pas davantage. Les objets exposés sont nombreux, les œuvres sont rares. Aucune pensée n'éclate, aucun talent ne domine; il en est de l'art comme de la littérature, comme de la politique : c'est l'abondance et la stérilité de la fantaisie. Les hommes habiles ne manquent nulle part; les maîtres manquent partout.

Nous avons visité avec tristesse ce grand pêle-mêle. On l'a étalé dans les salles du palais des Tuileries, comme la fidèle expression du règne qui vient de finir, et la preuve complète que l'ère philippienne est bien décidément terminée. A quoi tendent ces œuvres, quel est leur but, pour qui sont-elles faites? La maison craque sur ses fondements minés de toutes parts, et voici des gens ingénieux qui s'amusent à décorer les murs! Nous doutons qu'il se trouve longtemps des bourses pour payer ces babioles, ces mièvreries, ces amourettes souvent obscènes. Si c'est là tout ce que les artistes peuvent donner à la civilisation, si c'est tout ce que la civilisation leur demande, nous avons grand'peur

pour ces pauvres ouvriers, nous tremblons pour leurs imbéciles protecteurs. L'artiste mourra de faim à la porte de son Mécène dépossédé.

L'un et l'autre, ils n'auront que bien juste le droit de se plaindre leur sort ne sera pas tout à fait immérité. N'avaient-ils la richesse et le talent que pour en faire cet usage? N'ont-ils rien compris au temps où ils vivent? L'homme de plaisir peut gémir des langueurs qui l'accablent, de la ruine qui l'atteint; mais qui l'empêchait d'être chaste, sobre et laborieux? On cherche ce qu'un viveur de 1849, un honnête homme qui ne fait de mal à personne, un ami des arts qui fait travailler les Clésinger et les Diaz, saura répondre au communiste qui forcera un jour sa maison pleine de voluptés et qui lui dira: Ton temps de jouir est passé, le mien

est venu.

Quant à ces nombreux artistes qui dépensent tant de talent et tant d'imagination à divertir, souvent aussi à corrompre la richesse bourgeoise, quelle consolation leur donner si, les choses qu'ils savent faire n'ayant plus aucun cours, ils étaient obligés de déposer le pinceau et la plume pour prendre la pioche dans les ateliers nationaux? Mon ami, je te plains de ne gagner que la journée d'un terrassier ; mais quoi? On a vu tes tableaux, on a lu tes livres, on veut jouir, et il n'est pas bien dommage que tu remues aujourd'hui le Champ de Mars.

Aucun abus, je le sais, aucune erreur, aucun crime, ne donnent raison à la frénésie des socialistes. Ce qu'ils rêvent est le comble des abus, des erreurs et des crimes; mais on leur fournit des prétextes qui deviennent la raison des vengeances de Dieu.

Comment oser dire que la société n'a rien fait pour mériter ce qui lui arrive, comment le nier surtout en voyant les produits de l'art contemporain, qui est, comme la littérature et au même degré qu'elle, l'expression de la société?

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