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MESSAGE DU PRÉSIDENT

A L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

7 juin 1849.

Le Message du président se distingue tout d'abord par le double mérite d'une grande simplicité et d'une grande franchise. Les couleurs n'en sont pas riantes; elles auraient pu être plus sombres encore, mais le premier magistrat de la république, s'il est tenu de montrer la situation telle qu'il la voit, doit cependant veiller à ne pas trop frapper l'opinion. Les modérés, en ce temps-ci, sont d'une telle espèce que tout ce qui les alarme les décourage, et tout ce qui les décourage accroît l'audace, c'est-à-dire la force de leurs redoutables ennemis.

Néanmoins la triste vérité se fait assez jour dans le Message pour que la société soit avertie et ne passe point d'un excès de peur à un excès de confiance. L'industrie en souffrance, les finances en désordre, le déficit agrandi et les moyens d'y pourvoir diminués, la guerre pouvant surgir à chaque instant des mille complications du dehors; pardessus toutes ces difficultés, la lutte, au moins parlementaire, devenue inévitable à l'intérieur contre les factions, voilà les masses du tablean. Si la société peut espérer de

suffire à tant d'œuvres, elle ne peut ignorer que c'est seulement à force de persévérance, de sacrifices et d'énergie.

En deux courts paragraphes, le Message fait l'histoire de la révolution de Février. Cette émeute ou ce duel dans les rues de Paris, entre quelques milliers de soldats et quelques milliers d'hommes du peuple, coûte à la France : 1° cinquante-six millions cinq cent un mille huit cents francs DE RENTES nouvelles ajoutées à la dette publique; 2° une dépense extraordinaire de deux cent soixante-cinq millions quatre cent quatre-vingt-dix-huit mille quatre cent vingt-huit francs, qui a été soldée par le produit des quarante-cinq centimes, par des emprunts, et enfin par un déficit de soixante-douze millions cent soixante mille francs.

Moyennant toutes ces dépenses, nous avons pu lire le Journal de la Canaille.

On frémit quand on pense à la perturbation que ces pertes énormes ont jetée dans une foule d'existences. Mais les situations détruites, mais les maisons ruinées, tout cela n'est rien encore, si l'on songe aux conséquences politiques et morales que produit dans notre société et dans notre siècle tout matériel ce que l'on peut appeler la plaie d'argent. Ceux que la révolution a enrichis sont en petit nombre, et nous avons, comme tout le monde, les meilleures raisons de douter que ce changement de fortune leur ait donné des vertus qu'ils n'avaient pas. Quant à ceux qu'elle a appauvris, le nombre en est considérable, et qui dira combien de ces malheureux auront perdu leur probité en même temps que leur aisance? Sans être prophète, nous pouvons, dès aujourd'hui, annoncer le résultat des statistiques du temps présent. Elles diront que la morale est en baisse comme la rente, et que la formidable et régulière inondation du crime a monté de plus d'un degré. Pour le résultat politique, on le connaît. Le succès des candidats socialistes aux dernières

élections n'est plus qu'un mystère. Il est dù aux quarantecinq centimes et à un progrès simultané de la misère et des impôts. Le peuple ignorant des campagnes, n'ayant pas obtenu de l'élection du 10 décembre les allégements qu'il en attendait, a demandé à la république rouge ce que la république modérée n'a pu lui donner. Les comptes de la révolution de 1848 le dégoûteront-ils de travailler à une révolution nouvelle? Nous ne l'espérons pas. Le peuple aimera mieux s'en rapporter aux législateurs qui lui promettent l'abondance en lui faisant restituer le milliard des émigrés.

Le langage du président sur les questions de politique étrangère est convenable et juste. Au milieu de la conflagration européenne, la France ne peut donner que des avis sans exiger qu'ils soient toujours écoutés. Par suite des événements, sa politique est liée en quelque sorte à celle des révolutionnaires qui agitent le monde entier; mais sa raison, son intérêt, sa volonté, la détachent de cette cause que la révolution de Février lui a fait embrasser par surprise et plus qu'elle ne le souhaitait. Ainsi divisée en elle-même et poussée en sens contraire, elle s'abstient. C'est ce qu'elle peut faire de mieux dans cette situation complexe. Un rôle si modeste n'est pas, sans doute, à la hauteur de ses souvenirs; mais il convient à sa force actuelle et peut-être, hélas! à sa destinée. Cependant l'avenir peut encore récompenser magnifiquement la sagesse que le présent lui, impose. En ne s'engageant pas à l'aventure dans les complications du moment et en travaillant avant tout à rétablir chez ellemême l'ordre et la paix, la France fait la seule chose qui puisse lui permettre de tirer plus tard l'épée avec fruit et avec honneur.

On attendait avec curiosité ce que le président dirait des affaires de Rome. Nous n'avons rien à objecter contre la manière dont il traite cette grave question. Il la pose et il la

résout mieux que ses ministres ne l'ont su faire: ramener Pie IX, et avec lui la conciliation et la liberté, et par là prévenir l'occupation de la Romagne, tel était le but de l'intervention française. Cette intervention tout amicale a été repoussée par des hommes qui ne veulent ni de Pie IX, ni de la conciliation, ni de la liberté. Le guet-apens qui a pu arrêter quelques jours nos soldats sous les murs de Rome ne peut nous faire abandonner le résultat que nous y voulions atteindre. La question est la même qu'avant le 30 avril, il n'y a de plus qu'un outrage à venger.

Divers projets d'amélioration administrative sont énoncés dans le Message. L'importance qui leur est donnée n'est pas exagérée. Elle prouve que le premier magistrat de la république s'occupe sérieusement de la grande tâche que le pays lui a confiée. Néanmoins nous devons, dès à présent, déclarer que, dans toute cette longue partie de son Message, le président s'exprime plutôt en économiste, et même en utopiste, qu'en véritable homme d'Etat. Il y a d'autres questions dans le monde et en France que des questions de poule au pot. Ces autres questions sont à peine effleurées en passant. Depuis cinquante ans nous devrions avoir appris que le progrès matériel, tant qu'il n'aura pas supprimé tous les maux, toutes les maladies, et satisfait toutes les passions, sera compté absolument pour rien. Les gens qui vont pieds nus ne demandent pas qu'on leur donne des souliers, ils demandent des voitures. Il faut leur donner des souliers, sans doute, mais aussi il faut les guérir de cette maladie ou plutôt de cette fureur d'esprit qui les anime contre les voi

tures.

Le Message se prononce avec fermeté contre l'amnistie tant réclamée, ou plutôt si impérieusement exigée par les journaux et les orateurs rouges : il annonce que le gouvernement relâchera successivement les transportés ; il ne promet aux condamnés par les conseils de guerre qu'un

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adoucissement à leur peine. Les injonctions du parti révolutionnaire ne permettent malheureusement rien de plus. Quelque coupable que soient les soldats des barricades, l'indulgence à leur égard est dans le cœur de tout le monde; mais il ne faut pas que le pardon de la société puisse être considéré comme une victoire, et une victoire menaçante de ceux qu'elle a vaincus. Les amis des condamnés le savent parfaitement et s'en soucient fort peu. Ils pourraient, par leur attitude, hâter la délivrance des captifs; ils aiment mieux user d'une arrogance qui oblige le gouvernement à se montrer sévère, mais qui a pour eux l'avantage de perpétuer tous les ressentiments. Cette tactique impie est invariable.

Enfin, le Message annonce que le gouvernement présentera des lois contre les clubs et contre la presse. Il suffit de lire seulement les journaux socialistes qui se publient à Paris pour comprendre que l'on songe à porter de telles lois et combien elles seront impuissantes! En somme, le Message est d'un esprit ferme et sensé. Nous trouvons, pour notre compte, ce document bien supérieur, sous tous les rapports, aux pompeuses balivernes que l'Assemblée constituante a saluées de ses premiers applaudissements et qui ont prêté à rire à tous les hommes sérieux de l'Europe.

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