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PREMIÈRE SÉANCE

DE L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

28 mai 1849.

Retour sur la Constituante.

Difficulté de respecter les Assemblées.

Pauvreté de celle qui vient de finir. · L'idée.

Les sergents.

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Avant de nous occuper de la Législative, inaugurée aujourd'hui par l'émeute, disons encore un mot de la Constituante, morte officiellement samedi et enterrée avant-hier incognito. Cette pieuse séance de samedi nous a fait perdre le sérieux. Nous en avons regret. La plaque était prête pour un grave tableau; ce n'est pas notre faute, mais celle du personnage, si nous n'avons retiré du daguerréotype qu'une caricature. Hélas! hélas! par beaucoup de raisons, les assemblées délibérantes courent grand risque de n'obtenir jamais dans notre pays le respect auquel elles ont droit, sans doute, et dont il faudrait patriotiquement les entourer. Respecter l'autorité nous est déjà naturellement fort difficile ; comment faire quand l'autorité ne se respecte pas? Comment vénérer dans l'ensemble ce qui souvent, pris en détail, n'est point vénérable et ne se soucie nullement d'être vénéré? Rien de plus auguste, si l'on veut, que le caractère de repré

sentant : quoi de moins auguste que le commun des hommes qui en sont investis? Voici d'abord une quantité de sots et d'ignorants qui se devraient condamner à un éternel silence et qui ont la manie de parler toujours. Ils enfourchent les questions les plus ardues, comme s'il s'agissait de monter un cheval de bois à la foire; ils attaquent par les arguties les plus absurdes, par les imputations les plus calomnieuses, des opinions qu'ils n'entendent point; aucun mérite ne les intimide : ils opposent à l'éloquence et à la raison de sordides âneries, grabelées dans tout ce qu'il y a de mauvais journaux et de mauvais livres. Comment se retenir de leur dire leur fait? Ce n'est rien encore. Au-dessous des ignorants et des sots, il y a les intrigants, les gens mal famés, les apostats, les hypocrites, horrible espèce, intolérablement effrontée. De la coulisse où leurs mystères sont connus, ils s'avancent à la tribune, ils s'y étalent en parangons de patriotisme, colorant d'un mensonge pompeux et avéré le mobile ignoble de toutes leurs actions. Leur audace fatigue la patience et révolte la probité. Impossible de se taire ; c'est un devoir de parler. Comment parler sans amertume, sans percer le masque, sans déchirer le voile ? Et comment déchirer le voile sans attirer sur l'homme un mépris dont le poids s'étend vite au parti qui l'emploie, à l'assemblée qui l'écoute et qui le suit souvent ? Est-ce tout? Non pas ! Il y a enfin les partis qui ont à la fois toutes les plus mauvaises passions des hommes; hypocrites, menteurs, ambitieux, cyniques, ne refusant aucun appui déshonorant, aucune arme empoisonnée, marchant à leur but par toute voie :

Audax omnia perpeti,

Gens humana ruit per vetitum nefas.

Tel est honnête, scrupuleux même. Il rougirait, pour son compte, d'une use que l'honneur n'approuve point, et ne se résoudrait jamais à calomnier un adversaire, à taire la

vérité, à dire le contraire de la vérité. Mais son parti fait tout cela, et il le fait avec son parti. Ce que la probité lui défend, il se le laisse imposer par la discipline. Existe-t-il un parti timoré comme un homme de bien, plein d'aversion pour les manœuvres honteuses, qui ne fasse rien qu'au grand jour, qui n'ait de tactique que la vérité? On le nommera le parti des honnêtes gens, ou des imbéciles; mais tenez pour certain que ce parti des honnêtes gens lui-même n'aurait pas le courage d'exclure un collègue mal famé, qui, pour une raison ou pour une autre, viendrait voter avec lui. On est un parti pour avoir une force; toute force est bonne et bien accueillie, et l'on adopte ce malheureux. Le malheureux souvent devient une influence et ne tarde guère à engager nos honnêtes gens en toutes sortes de chemins par où leur vertu croyait ne jamais passer.

Ces partis se haïssent et se décrient mutuellement et sans relâche. Qui manque plus de respect à une fraction de l'assemblée que toutes les autres fractions de cette même assemblée? Qui insulte plus à la dignité, aux actes, aux intentions de l'assemblée entière que ne le fait chaque fraction prise isolément? Et l'on voudrait que le public, spectateur de tant de débats tumultueux et envenimés, spectateur tout rempli des passions qui les animent, fùt docile et respectueux à ces rois d'un jour, qu'il a faits lui-même, qu'il a faits sans le vouloir, qu'il s'apprête à défaire ?

Nous ne savons si ces considérations nous excusent d'avoir rendu compte de la dernière séance de l'Assemblée constituante dans un style qui n'est pas celui des oraisons funèbres. Il est vrai que cette pauvre Constituante, après de si redoutables menaces, a fini par être bien ridicule. Mais enfin c'était l'autorité, et nous avions le désir de la respecter, à ce titre au moins. Nous conservons ce désir. Puisse l'Assemblée législative nous en rendre l'accomplissement plus facile !

La voici! Les nouveaux visages abondent. Il ne reste que trois cent cinquante membres environ de la Constituante. Parmi les nouveaux, quelques-uns ont paru dans les Chambres monarchiques. Peu sont illustres. Parmi ce peu d'illustres, beaucoup ont fini leur rôle. Restes flottants du passé, branches arrachées par l'orage et que la vague, avant des les emporter pour jamais, roule encore une fois sous nos yeux. Ne cherchons pas là les hommes qui, soit pour attaquer, soit pour résister, auront vraiment la force de l'idée. Cette idée, dont on parle tant, à peine a-t-elle eu jusqu'à présent des précurseurs. La Constituante n'a rien produit, n'a rien montré. On n'y a vu que des contrefaçons pâles et incorrectes des grands lutteurs d'autrefois. Il a paru des hommes nouveaux, mais pas une parole, pas une pensée nouvelle. Aucun homme du peuple n'a fait entendre une voix vraiment populaire; aucun tribun n'a dit un de ces mots qui font frémir les multitudes; aucun conservateur n'a posé vigoureusement la doctrine de l'autorité. Le talent a manqué; la science a manqué, le courage, oui, le courage a manqué; oui, même à ceux qui montraient le poing et qui sont parvenus souvent à faire trembler les autres! Ceux-là non plus n'ont pas eu foi en eux-mêmes. Hardis jusqu'à l'injure, mais point dévoués jusqu'au péril.

Une cohue qui se poussait dans toutes les ornières, en parlant de frayer des chemins nouveaux, telle a eté la Constituante. Révolutionnaires mesquins, ne voyant rien au-delà du désordre; conservateurs effrayés, s'enfonçant dans l'ordre matériel jusqu'à la vase; également en doute, les uns et les autres, et de leurs cœurs et de leurs droits. O vaniteux qui parlez d'idées, la discussion n'a pas été un seul moment entre vos idées, mais entre le couperet des terroristes et le fusil de la garde nationale!

Il n'y a dans toute la vie de l'Assemblée nationale constituante que deux discours, l'un qu'elle n'a pas voulu en

tendre, l'autre qu'elle n'a pas su comprendre : l'un est le discours de M. de Montalembert sur l'enseignement, l'autre le discours de M. Proudhon sur les loyers et fermages. M. de Montalembert a dit: Il nous faut des vertus chrétiennes; M. Proudhon a dit : Nous voulons des jouissances matérielles. On leur a répondu à tous deux Nous resterons ce que nous sommes. Vous êtes des utopistes également effrayants, chacun en votre genre. Vous chrétien, et vous socialiste, tous deux vous demandez trop à l'homme. Vous lui demandez une affirmation, le monde n'a pas besoin d'affirmation. Il peut vivre sans cela; le monde est sceptique

comme nous.

Et, sous prétexte d'éviter l'utopie, on a bâti une Constitution stable sur une double négation, celle de toutes les vieilles vérités, et celle de tous les mensonges nouveaux.

Nous avons lu à tête reposée le discours de clôture de M. Marrast. C'est une suite de grandes pauvretés, exprimées en français très-médiocre. Cet illustre écrivain dit de la France que « la paix n'a pas amorti son être. » O Vaugelas! quel ÊTRE ! Il ajoute que « la France ne faillira pas au dedans aux espérances du peuple, » et « ne faillira pas au dehors à ses alliances. » En attendant, le discours de M. Marrast faut à la langue française. Mais c'est là son moindre défaut. Ii assure que la Constituante a abordé sous toutes leurs faces les problèmes du temps: elle n'y a pas seulement touché.

L'Assemblée législative les résoudra-t-elle ? Nous le saurons quand les nouveaux membres auront parlé. C'est la troisième épreuve que nous faisons du suffrage universel, La première n'a eu aucune signification: la seconde a été une manifestation éclatante en faveur de l'ordre matériel; la troisième est encore pleine de mystère. Elle pourrait bien prouver, contre l'attente des théoriciens, que le suffrage universel n'est pas du tout pour un pays le meilleur moyen

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