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homme, plein d'une si belle fureur, n'a point de voix ! Cependant, un membre trouve que l'on ne conclut pas et s'en impatiente. C'est M. Clément Thomas. Il paraît; les esprits s'apaisent. L'ex-général de la garde nationale de Paris a le don d'écarter les pensées trop sévères. Sa situation, d'ailleurs, inspire de l'intérêt. Après avoir poussé si vite et s'être lancé en deux enjambées des bureaux du National jusqu'aux fonctions législatives et jusqu'au grade de commandant supérieur d'une armée de deux cent mille hommes, il va mourir. Mon Dieu, oui! le 14 mai, c'est aujourd'hui le 9, il sera mort! Comme ces géants que la pression d'un ressort fait surgir tout droits et tout terribles d'une petite boîte, mais qu'une pression également légère y fait rentrer, M. Clément Thomas va être inhumainement renfoncé dans sa tabatière et nous ne le verrons plus. Il nous rappelle le jeune malade de Millevoye, triste et mourant à son aurore. Il est grand, un peu pâle, il s'appuie mélancoliquement sur le bois de la tribune :

Bois que j'aime, adieu! je succombe.

Mais M. Thomas ne serait pas fàché d'entraîner avec lui quelqu'un dans la nuit éternelle. Il s'en prend d'abord au journal la Patrie, qui s'est permis de commenter un peu sévèrement le vote nocturne de lundi dernier. Les rédacteurs du National sont étonnants par la faiblesse de leur mémoire. N'ont-ils donc jamais lu leur journal du temps qu'ils le rédigeaient? Rien ne peut rendre l'accent avec lequel M. Thomas a lu l'article de la Patrie, le geste par lequel il s'est lui-même interrompu, la majesté avec laquelle il a froissé la feuille irrévérencieuse et l'a foulée aux pieds, littéralement, en pleine tribune. Rien ne peut rendre non plus le puissant éclat de rire qui s'est élevé de toutes parts. Passant de la Patrie au président, M. Thomas a dit qu'il fallait peut-être excuser les actes d'un homme étranger à

nos mœurs; mais que, néanmoins, il conviendrait de nommer une commission qui serait chargée de rédiger une adresse où l'Assemblée exprimerait au président toute sa réprobation. Ce dernier trait n'a pas eu moins de succès que l'extermination de la Patrie.

Mais ce n'était pas là le succès que désirait la montagne. M. Flocon a remplacé M. Thomas, tenant à la main une petite motion ainsi conçue :

« Vu l'art. 67 de la Constitution, qui déclare que tous « les actes du president de la république autres que la << nomination des ministres sont sans effet s'ils ne sont con«tre-signés par un ministre,

« L'Assemblée nationale déclare que la lettre du prési«<dent de la république est nulle et de nul effet. >>

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A part la forme, par trop montagnarde, cette proposition n'est pas maladroite. Le président semble, dans sa lettre, faire assez peu de cas de la résolution de l'Assemblée; l'Assemblée, à son tour, déclare qu'il n'y a pas à tenir compte de la lettre du président. Partie et revanche ! Oui; mais quand on en est là, il faut jouer la belle. Hum! pense à part soi M. Jules Favre, c'est inquiétant! Tandis que M. Sénard et les autres habiles, qui ont étendu le tapis et fourni les cartes, observent le plus profond silence, M. Jules Favre vient, comme son compère M. Grévy, demander l'ajournement.-Ajournons, dit la Chambre fort perplexe; attendons les nouvelles.

Ainsi finit l'incident. Le tiers-parti l'a soulevé sans savoir où l'on irait, la montagne est intervenue, le tiers-parti s'est effrayé, il a demandé du temps pour réfléchir. Ou nous nous trompons fort, ou ses réflexions sont faites. L'incident n'aura pas de suite, et le tiers-parti s'estimera content d'en être quitte pour une leçon dont il ne profitera pas.

Le président seul a su ce qu'il faisait, seul a fait ce qu'il devait faire. Il a vu, dans une question de politique impor

tante, son ministère vaciller, et l'Assemblée, se contredisant elle-même, se laisser entraîner par l'esprit de parti jusqu'à porter le découragement dans l'âme de nos soldats. Il a compris quelle déplorable attitude ces oscillations nous donneraient en Europe, quelle hardiesse elles inspireraient aux hommes de désordre, quel affaiblissement elles feraient subir aux liens de la discipline militaire, quels sentiments amers et dangereux elles exciteraient dans l'armée, dont les chefs pourraient dès lors s'attendre à être toujours désavoués et devraient bientôt compter avec les plus mauvaises têtes de leurs régiments. Le président a compris tous ces périls, et il y a pourvu. Il a été plus ferme que son ministère, plus habile que les ambitieux du tiers-parti, plus hardi que les tribuns de la montagne; il a méprisé les clameurs et les intrigues des coalisés pour ne voir que le suprême intérêt de la France et pour le servir. En s'offrant nettement aux coups, il a déjoué l'entreprise et montré une fois de plus à la France qu'il y a un bras et un cœur au gouvernail. Nous ne craignons pas de le dire, c'est ce que la France veut avant tout. Cette action généreuse lui fera comprendre que l'élu du 10 décembre accepte et peut remplir la grande mission qui lui a été donnée. La France s'en applaudira et laissera M. Thomas penser que l'homme qui agit ainsi est « étranger à nos mœurs. »>

ÉLECTIONS DU 13 MAI 1849.

I

LE SOCIALISME.

19 mai 1849.

Ce que le socialisme a dit à la société.-La société oscille entre deux despotismes; elle tombera dans l'un on dans l'autre.-C'est une société qui périt.

Nos espérances sur le résultat des élections du 13 mai étaient faibles, nous le pensions du moins. Nous devons nous avouer aujourd'hui que nous espérions trop encore. En nous unissant comme nous l'avons fait, et comme nous nous applaudissons de l'avoir fait, à la fortune du parti modéré, nous ne nous sommes pas dissimulé l'impuissance de ses efforts et, dans le cas où il triompherait, l'inefficacité probable de son triomphe. Quand même les listes modérées auraient passé partout et tout entières, la situation serait restée grave et difficile. Le plus complet succès ne pouvait donner à la société qu'un temps de répit pour adoucir des

catastrophes toujours imminentes. Ce temps de répit que nous espérions, sans trop croire qu'on en pût tirer bon parti, nous l'avons eu; cette trêve suprême qu'il fallait conquérir au prix de tous les sacrifices, elle nous a été donnée, et selon toute apparence, au lieu de commencer, elle expire. Exspectavimus tempus medelæ, et ecce formido.

Nous disons notre pensée. Nous ne pouvons prendre sur nous de chercher à inspirer des illusions qu'il nous est impossible de concevoir, et qui, d'ailleurs, obtiennent peu de crédit. Il n'y a au fond des cœurs que deux sentiments bien fondés. Dans les uns, une inquiétude douloureuse; dans les autres, une allégresse sauvage. Ces deux sentiments éclatent partout; on ne peut traverser la rue qu'ils ne frappent à la fois les yeux et les oreilles. Ils sont dans toutes les conversations, dans tous les journaux, dans toutes les lettres, dans tous les regards, dans tous les silences. Hier, on savait qu'on était sur une mine; aujourd'hui on sait que la mèche est allumée.

Cette mèche on peut encore, dit-on, l'éteindre. Oui, mais qui l'éteindra? La majorité le peut faire; car, après tout, il y a une majorité pour l'ordre, et même elle est forte. Il ne faut pas d'ailleurs compter comme socialistes tous ceux qui ont élu des socialistes. Les paysans ont été abusés par d'habiles mensonges; ils comprendront bientôt qu'on les a trompés; les ouvriers eux-mêmes refuseraient d'aller où les démagogues les voudraient conduire; le petit négoce, aigri par ses souffrances, a pu voter pour l'essai pacifique de quelque panacée nouvelle, cela ne veut point dire qu'il désertera en masse la cause de la société; les soldats, enfin, ont cru quelques embaucheurs qui leur ont promis l'abolition du service militaire; mais vienne le péril, on retrouvera leur discipline et leur courage.

Ainsi parlent ceux qui prétendent n'être pas alarmés. Si de tels motifs, en effet, les rassurent, nous n'y voyons, pour

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