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DEUX PAMPHLETS POUR LES ÉLECTIONS.

La réunion du parti conservateur, qui siégeait dans la rue de Poitiers, avait organisé une vaste propagande de petits écrits pour lutter contre la multitude des pamphlets révolutionnaires et socialistes. Elle réussit au moins à donner un peu d'ouvrage à l'imprimerie parisienne. Les pamphlets conservateurs ne valaient pas grand'chose; et eussentils valu mieux, ils n'auraient pu combattre avec avantage des adversaires dont le talent était pour le moins aussi mince, mais dont les doctrines plaisaient infiniment plus. J'expérimentai, pour mon compte, la difficulté sinon l'impossibilité de répondre victorieusement devant le peuple aux écrits et aux harangues des révolutionnaires. On m'avait demandé de réfuter un discours en trois pages de M. Félix Pyat, complétement inepte, mais qui n'en valait que mieux et qui s'enlevait par millions. J'essayai, surtout pour obéir à M. de Montalembert; et je fis ce petit écrit intitulé: Noir et rouge, qui fut abondamment distribué. Si j'apprenais qu'il a décidé un paysan à voter pour les conservateurs ou même qu'un paysan l'a lu tout entier, j'en serais bien étonné. Le discours de M. Pyat était lu, relu, appris par cœur. En écrivant, je sentais mon impuissance. Je raisonnais, je supposais des vertus, je demandais des sacrifices, j'étais long... et le moyen d'être court? Dans une pareille situation, devant un pareil auditoire, la parole peut avoir des triomphes, la plume n'en a pas, et aucune nation ne se sauvera par l'imprimerie.

NOIR ET ROUGE.

LES GENS DE BEAUMONT EN GATINAIS

A M. Félix Pyat.

SALUT ET BON SENS,

Citoyen Félix Pyat, nous avons lu votre discours aux paysans de la France. Nous sommes paysans et Français ; pourtant ce discours ne nous va guère. Causons, expliquons-nous démocratiquement, socialement, et, s'il se peut, raisonnablement.

Une remarque préliminaire. Votre discours est orné de votre portrait. Vous êtes gentil, barbu, moustachu, l'air crâne; mais vous n'avez pas la mine d'un paysan. Qui êtesvous? Vors nous recommandez de nous défier de nos amis vêtus de noiret qui n'en sont pas moins blancs. Tous les noirs ne sont pas blancs. Il y en a de rouges. Nous avons méfiance de vous, vêtu de noir et qui dites du mal de votre habit.

A quel titre parlez-vous aux paysans? Vous n'êtes ni cultivateur, ni négociant, ni magistrat, ni ouvrier, ni prêtre, et votre moustache n'a point poussé en Afrique. Que faites-vous? On dit que vous écrivez. Mais quoi ? Rien

pour nous, gens de peine et de labeur; rien qui nous console, rien qui nous instruise, rien qui nous serve à rien. Vous composez des fariboles que des farceurs récitent sur un théâtre devant les gens de la ville. Sauf respect, vous êtes un amuseur du peuple.

Amuseurs du peuple, amuseurs des rois, même espèce ! Votre roi à vous, c'est le parterre; quelques milliers d'individus dont chacun a dans le cœur autant d'orgueil, dans la tête autant de folie que peuvent en contenir la tête et le cœur d'un roi. Vous leur plaisez comme on plaît aux rois, quand ils sont méchants, en flattant leurs vices. Vous leur dites qu'ils sont seuls sages, seuls bons, seuls justes, qu'ils n'ont qu'à parler pour être obéis ; qu'ils sont le peuple souverain.

Ils le croient, vous le croyez, et, par Dieu! nous pouvons aussi le croire. Le peuple de Paris, votre maître, n'est-il pas, en effet, notre roi ? N'a-t-il pas toute l'insolence et tous les caprices d'un despote? N'est-ce pas lui qui, sans consulter la France, lui donne et lui ôte des gouvernements, lui envoie des pachas, bouleverse tout, met partout la terreur et la ruine?

Nous travaillons pour acquitter nos charges et nourrir nos enfants. L'ouvrage est dur, le profit mince; mais enfin nous avons la paix, la moisson s'annonce bien, nous ne demandons que la santé et le temps propice. Moi, dit Pierre, je défricherai ma lande;—Moi, dit Jean, je relèverai mon mur;-Moi, dit Jacques, je marierai mon garçon qui va revenir du régiment, et j'entrerai dans le repos de mes vieux jours. Un autre se promet ceci, et un autre cela. Le conseil municipal propose d'achever un chemin; Monsieur le curé a parole du château pour bâtir une école de filles. Nous nous réveillons un matin : plus de projets ! Tout est dans la douleur et dans l'épouvante. Une grêle? une inondation? une peste? la guerre? Non! pire! le peuple de Paris, ce

grand artiste en révolutions, a exercé son talent. Il a mis pour nous gouverner des individus dont nous ne connaissons pas même les noms. Ah! nous apprendrons à les connaître Ledru-Rollin, Louis Blanc, Caussidière et autres, nous ferons connaissance avec vous, à nos dépens! Tous les jours, nouvelles transes, nouvelles humiliations, nouvelles débâcles. Les affaires cessent, le travail tombe, chacun se resserre, les denrées ne se vendent pas, aucun débiteur ne paie. Voici les émeutes dans toutes les villes, les mendiants et les vagabonds dans toutes les campagnes; voici les commissaires et les émissaires; voici les mauvaises gens qui lèvent la tête et montrent le poing; voici, par-dessus le marché, les quarante-cinq centimes. Payons pour nourrir le peuple de Paris qui se repose dans les ateliers nationaux. Pierre, au lieu de défricher sa lande, cherche à vendre son pré. Adieu l'école de filles ! Monsieur le curé est chassé de la paroisse par une bande de chenapans aidés du citoyen banqueroutier et commissaire. Le château est menacé de pillage. Jean ne relèvera pas son mur. Jacques ne reverra pas son garçon son garçon a été tué dans la rue, l'arme au bras, par dix citoyens cachés derrière une barricade. Console-toi, vieux Jacques! épuise le reste de tes forces et vends une paire de draps pour payer les quarante-cinq centimes. Ton fils est mort, mais il n'a pas besoin de linceul, et ceux qui l'ont tué ont bien mérité de la patrie. Nous leur ferons des.

rentes...

Est-ce tout? Le peuple-roi est-il enfin content? Non! Le grand artiste, enivré des applaudissements de ses flatteurs, continue ses aimables jeux. Il nous commande de faire des députés et nous enjoint de ne lui envoyer que des républicains de la veille. Nous lui obéissons de notre mieux; nous cherchons partout ces précieux républicains de la veille; nous les prenons partout; nous vidons les journaux, les estaminets, les prisons: tout y passe. Avez-vous conspiré

dans les sociétés secrètes ? Avez-vous fait le coup de fusil dans les émeutes et tiré sur nos enfants fidèles au drapeau? Avez-vous écrit des articles ou des livres que la justice a condamnés? C'est bien, vous êtes représentants du peuple. Vous ferez la paix, la guerre, les lois; vous ferez tout ce que vous voudrez, et vous toucherez vingt-cinq francs par jour. Où est-il le républicain de la veille, connu ou inconnu, qui n'a pas éprouvé la complaisance des électeurs? Tout s'est effacé devant eux. Il y a eu majorité pour vous, citoyen Pyat, auteur de trois mélodrames; il n'y en a pas eu pour le maréchal Bugeaud, qui a gagné dix batailles et conquis l'Algérie.

Eh bien ! le peuple de Paris n'a pas été content. Il a fait le 15 mai; après le 15 mai, le 25 juin, où tant de vieux généraux, où tant de pauvres soldats, braves enfants de nos campagnes, sont morts, grand Dieu, de quelle mort! Vaincu, intimidé, mais non pas devenu raisonnable, ce peuple révolutionnaire s'agite encore, trouble encore la France, demande encore des révolutions. Il fermente dans ses clubs, que vous ne voulez pas fermer; il y rêve plus de destructions monstrueuses qu'il n'a pu en accomplir. De ces antres s'échappent des paroles horribles qui roulent par tout le pays et par toute l'Europe comme les échos d'un tocsin. sonné dans l'enfer Plus de Dieu! plus d'autorité ! plus de famille! A bas les riches! A bas les prêtres! Vive la guillotine! O peuple roi, ces cris et ces vœux de ton délire résument la politique de tous les tyrans qui ont affligé la terre. Nous avons entendu parler de Néron, de Tibère, de Caligula ces monstres ne voyaient qu'eux dans le monde, ne voulaient aucun frein à leur pouvoir et à leurs jouissances, ne respectaient aucune foi, aucune loi, aucun droit, brisaient toutes les volontés, pillaient toutes les fortunes, abattaient toutes les têtes; et ils avaient, comme toi, peuple, autour d'eux, des flatteurs, des écrivains, des représentants

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