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Il a toujours respecté l'autorité, il sent le besoin de la respecter toujours; mais il saura le faire sans bassesse, également éloigné de la démence révolutionnaire, qui insulte tout pour tout détruire, et de cette rage de servitude qui, sous prétexte de conservation, précipite certaines gens même aux pieds des destructeurs. Il n'a pas travaillé vingt ans à extirper l'idolâtrie monarchique pour la semer de nouveau; il ne sèmera pas davantage cette autre idolatrie, non moins dangereuse et dégradante, qu'on a justement appelée l'idolâtrie démocratique. Il n'imitera point ces sauvages qui dressent des autels à la foudre.

Inébranlable, quelle que soit la séduction ou le danger, sur le terrain où il s'est établi dès l'origine, le parti catholique, l'ancien parti catholique, continuera de défendre et de vouloir ce qu'il sait certainement que l'on doit défendre et vouloir lorsque l'on a la gloire d'être chrétien et l'honneur d'être Français. Il ne sera ni orléaniste, ni légitimiste, ni réactionnaire, ni démocrate. Il sera catholique et Français, il aimera l'Eglise et la patrie.Il acceptera la Constitution de 1848 comme il acceptait la Charte; il usera des droits de citoyen dans toute leur limite, comme il en remplira les devoirs dans toute leur étendue.

Et il regardera comme lui appartenant à quelque titre tous les hommes, quel que soit leur drapeau, qui parleront, qui écriront, qui combattront pour conquérir, affermir et développer en France la liberté religieuse. Il croira, il publiera que ceux-là servent mieux la patrie, servent mieux l'humanité, et jouent un plus grand rôle devant Dieu et devant le monde que tous les habiles qui, voyant une idole environnée de soldats ou de populace, courent vite y brùler leur servile encens.

Voilà ce que sera dans l'avenir l'ancien parti catholique : une réunion d'hommes dévoués à la vérité éternelle, exerçant au profit de cette vérité leurs droits politiques, parce

qu'ils sentent qu'il n'y a pas d'autre vérité sociale que cette vérité-là. Quelques-uns de ces hommes appartiendront en même temps plus ou moins, et pour un terme plus ou moins long, aux divers partis qui vivent parmi nous. Ils y seront les missionnaires de cette grande pensée d'où doit naître, après beaucoup d'épreuves, la conciliation universelle.

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Quant à nous, qui pouvons prétendre à parler quelquefois au nom du parti catholique, parce que nous sommes exclusivement de ce ce parti et que nous n'appartenons d'aucune manière à aucun autre parti, s'il faut que nous confessions un principe, nous nous bornerons à dire que nous nous inclinons devant celui qui règne aujourd'hui en France. Qu'il fasse le bien, nous n'y épargnerons pas nos conseils. Le bien qu'il a à faire, c'est de nous donner la paix dans la liberté. Faut-il dire que ce principe est le seul vrai? Nous ne le dirons pas plus de lui que du principe contraire. Le principe vrai, c'est la souveraineté de Dieu. Quant au reflet que cette souveraineté doit avoir sur la terre, pour le savoir, nous attendrons que Dieu nous l'ait appris. Il y emploiera, lorsqu'il le jugera bon, une parole plus claire que celle des événements, qui nous trompent parfois. Cette parole deviendra notre règle. Qu'elle se fasse attendre, et de quelque lieu qu'elle vienne, de Rome ou de Gaëte, du trône ou de l'exil, elle sera obéie. Jusqu'à ce qu'elle ait retenti à nos oreilles, nous n'avons point à choisir entre de prétendus dogmes dont les révolutions se jouent et qui sont le plus souvent préconisés ou combattus au gré de l'orgueil ou de la peur.

L'ESCLAVE VINDEX.

Ce pamphlet, inspiré par les disputes qui s'élevaient sans cesse entre les journaux républicains et les journaux socialistes, parut à la fin de janvier 1849, lorsque l'on se préoccupait déjà des élections, par suite de la proposition Rateau. Je recueillis à cette occasion des approbations assez flatteuses de la part de quelques chefs du parti de l'ordre, entre autres celles du maréchal Bugeaud, dont je fus infiniment honoré. Aujourd'hui la situation paraît changée, et les conservateurs rassurés ne m'applaudiraient plus. Cependant la vérité que j'essaye de faire comprendre est la même, et les bons esprits la trouveront, je crois, encore plus évidente qu'en 1849.-1856.

IV.

2

AU CITOYEN GRIBOUILLE

PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE A CHIGNAC,

Ci-devant Membre de la Société des Droits de l'homme.

CITOYEN.

Du temps de Louis-Philippe, lorsque, après avoir présidé ta section des Droits de l'homme, tu te rendais au bal de la Femme affranchie, tu passais entre deux statues qui se font face dans le jardin des Tuileries, devant le pavillon de l'Horloge. L'une, en bronze, représente l'esclave Vindex, au moment où il surprend la conjuration des fils de Brutus; l'autre, en marbre, représente Spartacus, debout, les bras chargés d'un débris de chaîne, la main droite armée d'une épée.

Le bronze est fort beau. Cet esclave maigre et nerveux écoute avec un expression maligne. Son visage déjà ridé, son front chauve, montrent qu'il a eu le temps de souffrir. Physionomie intelligente, mais sauvage. S'il dénonce à Brutus la conspiration qui menace Rome, ce sera pour obtenir une récompense, peut-être pour se venger, non par aucun souci de Rome, de Brutus ou de la liberté patricienne.

Le marbre est médiocre et ne fait pas du tout entendre ce que le statuaire voulait dire. A quel signe reconnaître l'esclave dans ce joli garçon potelé, coquet, dont le visage heureux s'efforce inutilement d'exprimer la fureur? L'œuvre est datée du 23 juillet 1830, comme un entrefilet de journal contre les ordonnances de Charles X, et elle a bien le caractère des libéraux de ce temps-là, quelque chose de déclamatoire et de faux; un opprimé nanti de bons petits gages, qui fait son

chemin par l'opposition. Ce n'est pas l'esclave qui se redresse, c'est le démagogue qui pose. L'artiste a pris au palais ou à la tribune ce visage composé, et dans quelque bain public, ce corps oisif et bien nourri. Il n'a su ni maigrir, ni défriser son modèle. Copiant servilement la molle nature, il n'a pas même vu que ce modèle avait froid. Spartacus a la chair de poule : il ne demande pas la liberté, il implore une chemise. Regarde Vindex: il ne songe non plus au grand air que s'il portait double vêtement.

D'honnêtes gens s'étonnent qu'on ait planté ce Spartacus devant le palais du roi. A mon avis, Louis-Philippe connaissait assez les hommes, en particulier l'espèce de Juillet, pour ne rien craindre de celui-ci, et pour s'en faire même, de quelque façon, un garde du corps. Il le laissait à la porte, symbole expressif du démocrate qui sollicite un emploi de cour.

D'autres honnêtes gens, en moindre nombre, ont plus de peine à comprendre ce système de décoration des jardins publics, qui expose partout, aux regards d'une nation monarchique et chrétienne, des héros si républicains et des dieux si déshabillés.

A droite et à gauche de Spartacus, tournés comme lui vers les fenêtres du palais où Louis-Philippe, ce modèle des pères bourgeois, élevait des enfants destinés à porter une couronne catholique, se dressent en file de grands vilains bons hommes, totalement inconnus du peuple français, des Phidias, des Philopomen, des Caton d'Utique, des Cincinnatus, vêtus d'un casque ou d'un baudrier. Quatre nymphes leur font face, produits d'un art plus élégant, mais en toilette aussi sommaire. Tout ce qui les habillle tiendrait dans le képi d'un garde mobile.

La meilleure société parisienne, la société censervatrice et mariée, se promène tous les jours en famille entre cette double rangée d'ombilics... Je n'y comprends rien, et seul tu me parais propre à m'expliquer cela, toi, ancien coq de la Femme affranchie, maintenant gardien de la morale publique. Fais-le quand tu seras de loisir. Pour moi, je ne m'y arrête pas davantage. Ce n'est point le sujet que je veux traiter, et les universitaires qui font de la critique me trouveraient indécent. Je reviens à Vindex et à Spartacus.

Contrairement à ton avis, j'avais toujours pensé que ces deux personnages n'étaient pas cousins. J'en croyais leurs physionomies plus que tes raisonnements, et je disais (ce qui te faisait crier) que Vindex finirait par écharper Spartacus, comme la Réforme a fini par bousculer le National.

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