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t-on? elle est d'accord sur les faits, sur les doctrines, sur le but final; du moins elle n'en indique pas d'autres et cependant elle conclut de telle sorte, que tous les catholiques s'étonnent ou s'affligent et que leurs ennemis crient bravo. Elle a une manière de blâmer les révolutions qui ne lui fait point perdre l'amitié des plus chauds révolutionnaires. Elle parle de la circulaire du Comité comme en parle la Démocratie pacifique, avec la même mesure de bienveillance et de bonne foi; et la Vraie République du citoyen Thoré, lequel ne croit pas en Dieu, reconnaît là le vrai langage des âmes pieuses.

C'est un mystère. Nous n'en chercherons pas le mot. Mais l'Ere nouvelle, qui dans le manifeste du Comité ne voit que de la peur, nous permettra d'ajouter ceci. En présence des révolutions et des révolutionnaires, il y a deux espèces de peur, toutes deux très-naturelles : une peur qui résiste et combat, une autre qui s'incline et admire. Nous éprouvons la première. Que l'Ere nouvelle prenne garde aux conseils de l'autre : c'est celle qui sacrifie aux faux dieux !

LE PROGRAMME MONTAGNARD.

7 avril 1849.

Furie de promesses, faiblesse de convictions.

Une cinquantaine de représentants, se qualifiant de Réunion de la montagne, viennent de publier un manifeste électoral. La pièce est médiocre. C'est une suite du manifeste de la presse socialiste, suite boiteuse et pâle, et qui témoigne simplement de l'asservissement craintif du rollinisme au proudhonisme. Le citoyen Pyat est l'auteur de cette déclamation. Mais le citoyen Pyat perd de son mérite lorsqu'il parle en nom collectif. A peine le reconnaît-on à deux ou trois éclairs. Que de belles choses ses timides collègues ont dù le prier d'effacer! Si on lisait le manifeste à l'Ambigu-Comique, le parterre ne reconnaîtrait plus son

auteur.

Les signatures ne relèvent pas l'insignifiance de l'œuvre. Le citoyen Pyat, le citoyen Ledru-Rollin, le citoyen Pierre Leroux, le citoyen Greppo, le citoyen Lamennais, voilà les plus illustres et les plus influents. Les autres se nomment Fargin-Fayolle, Pégot-Ogier, Joly père, Démosthènes Olivier, Germain Sarrut, Mie, Cholat, Ronjat, et cætera. On n'y voit pas même M. Flocon. Il n'y a que broussailles sur cette

montagne. Néanmoins nos montagnards ne manquent pas de confiance en eux-mêmes. Ils sont forts, disent-ils, par le principe. Et ils rappellent que les treize opposants de 1824 ont donné, en six ans, les 221 de 1830.

Assurément toute l'histoire du siècle est faite pour encourager les plus folles et les plus coupables ambitions; et le signe certain de notre misère, c'est qu'il n'y a pas de faction décriée ni de prophètes ridicules qui ne se puissent promettre d'avoir, et prochainement, leur instant de règne. Cependant, au point où nous en sommes, les citoyens montagnards ne s'applaudiront pas longtemps de l'avenir. Si le mouvement révolutionnaire va jusqu'à leur programme, il ira plus loin, et ils seront les réactionnaires de la prochaine étape. Une seule ressource leur restera; la nature de leurs talents ne permettra pas qu'ils la méprisent: ils continueront de progresser, c'est-à-dire de se laisser emporter dans les ténébreuses régions du pur socialisme, où trône Proudhon, leur maître. Tous, à l'exception du méritant Greppo, l'ont renié naguère; les voici maintenant à sa suite.

Ils ne s'en cachent pas. M. Ledru-Rollin, renouvelant l'holocauste de sa superbe, termine le manifeste de la montagne par ce mot sacramentel: Vive la République sociale! Certes, ces messieurs n'avaient pas besoin de le dire, le socialisme est au fond et à la surface de tout le programme: Droit à l'insurrection, non-seulement pour le peuple français, mais pour tous les peuples d'Europe, et aussi pour les autres (car la géographie montagnarde ne connaît point de distances); Droit au travail; Droit obligatoire à la propriété et au capital, etc., tout y est. Seulement la montagne, malgré ses airs farouches, a une façon douce de faire et de dire les choses. Elle proclame la guerre universelle: L'armée de la France, dit-elle, est l'armée de la liberté; par conséquent, tout peuple qui aura besoin de nous, qui nous demandera du secours pour recouvrer sa nationalité

et sa liberté, doit compter, dans la limite de nos ressources, sur notre appui matériel et moral, sur notre diplomatie et sur notre armée. Cependant rassurons-nous. En même temps qu'ils proclament la guerre universelle, MM. Pyat, Cholat, Ronjat, etc., promettent de diminuer notablement l'impôt, et de réduire l'effectif militaire et la durée du service. Ils mettront la main sur les chemins de fer, mines canaux, assurances, etc. (précieux etc.!). Mais ce ne sera pas pour nier et détruire la propriété; tout au contraire, ce sera pour l'affirmer et l'affermir; car, à l'état de privilége pour quelques-uns, la propriété est sans cesse menacée; à l'état de privilége pour tous, elle est sauvée. C'est mathématique. Où trouverait-on des voleurs s'il n'y avait rien à prendre? De peur de rien oublier et de ne pas être autant socialistes qu'il le faut, tout en transformant la propriété de manière à réaliser ce que M. Proudhon appelle « l'égalité devant la fortune, » nos montagnards annoncent qu'ils établiront l'impôt progressif et proportionnel sur le revenu net, immobilier et mobilier. A quoi bon, puisqu'on jouira de l'égalité devant la fortune? C'est égal. Impôt proportionnel et progressif, progressif surtout, cela ne peut manquer dans un programme républicain. Et cet impôt rendra tant, il sera si bien payé, que le gouvernement pourra faire des rentes à tout le monde, ou du moins mettre tout le monde en état d'en acquérir. On affectera cent cinquante millions à l'instruction publique. Avec cette somme, non-seulement « l'Etat pourra donner gratuitement à tous l'éducation pri« maire et professionnelle, mais encore indemniser les en«fants pauvres pour le temps de la leçon.» Nul ne contestera que ce ne soit le vrai moyen de réaliser cette grande théorie socialiste : l'instruction obligatoire.

Nous passons quelques autres conceptions des aigles de la montagne; ce que l'on vient de voir suffit. Le citoyen Pyat est sans doute un peu au-dessous de lui-même pour le

style, mais il s'est rattrapé et surpassé par l'imagination. Il est admirable, particulièrement sur l'art de diminuer les impôts. Les cent cinquante millions de subvention annuelle à l'instruction publique, la guerre universelle, la création de deux ou trois cent mille fonctionnaires, nouveaux agents du monopole universel de l'Etat, ne l'empêchent pas d'abolir les octrois, les patentes, le timbre, l'enregistrement, cent autres choses. Bien plus, il encouragera l'agriculture et l'industrie, il abolira la peine de mort et il augmentera les petits traitements! Voici en quels termes il résume luimême tout le manifeste. Nous y joignons les signatures; nos lecteurs seraient fâchés de ne pas connaître les profonds penseurs qui leur promettent tant de bienfaits:

Suffrage universel et direct. Unité de pouvoir, distinction de fonctions; l'exécutif révocable et subordonné au législatif; point de président. La liberté de la pensée, quel que soit son mode de manifestation, individuel ou collectif, permanent ou périodique, par la parole ou par la presse; liberté entière sans aucune entrave préventive ou fiscale, sans cautionnement, privilége, censure ou autorisation; liberté absolue sans autre limite que la responsabilité. Rehaussement des fonctions d'instituteur, émancipation du bas clergé. Application la plus large possible de l'élection et du concours à toutes les fonctions publiques. Réforme du service militaire. Abolition complète des impôts qui frappent les objets de consommation de première nécessité, comme le sel et les boissons; révision de l'impôt foncier et des patentes, établissement de l'impôt progressif et proportionnel sur le revenu net immobilier et mobilier. Remboursement des 45 centimes, exploitation par l'Etat des chemins de fer, mines, canaux, assurances, etc. Réduction des gros traitements, augmentation des petits. Réforme administrative. judiciaire et pénale. Abolition de la contrainte par corps, abolition de la peine de mort. Amnistie. Encouragement à l'agriculture et à l'industrie. Enfin, droit à l'enseignement et droit au travail par le crédit et l'association.

Voilà ce que nous voulons, ce que le peuple peut avoir, s'il le veut, avec le suffrage universel qu'il a déjà, et sans fusils, sans émeutes, sans secousses, en se barricadant dans la loi, en s'armant de son vote, par la seule force du nombre et de l'union. Il peut, s'il le veut, tirer de

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