Page images
PDF
EPUB

BX

1530 158 1860

V.4

LA PROPOSITION RATEAU.

Allons-nous-en !— M. de Sèze.— M. de Montalembert.

[blocks in formation]
[blocks in formation]

12 janvier 1849.

[ocr errors]

Aucun des spectateurs de la séance d'aujourd'hui n'en aura regretté la longueur. Le spectacle a été vif et piquant, et l'issue heureuse.

On discutait la prise en considération de la proposition Rateau. Elle n'a rien d'agréable pour un très-grand nombre de nos représentants. M. Rateau leur a dit un beau matin

Frères, il faut mourir ! Nous sommes des rois, de trèsgrands rois, et nous avons tout pouvoir, hors le pouvoir de vivre. Résignons-nous donc, faisons belle contenance, et choisissons notre jour. Seulement, qu'il ne soit pas trop éloigné !

A ce discours, l'Assemblée, réunie dans ses bureaux, a répondu par la voix du frère Grévy:—Je ne veux pas mourir encore! On croit entendre le poëte:

L'épi naissant mûrit, de la faux respecté;
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été
Boit les doux rayons de l'aurore;

Et moi, comme lui belle et jeune comme lui,
Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui,

Je ne veux pas mourir encore.

Monsieur Rateau, votre servante! J'ai dix lois organiques à faire ; je les ferai, sans quoi je trahirais la confiance des électeurs et j'abdiquerais mon mandat. Quand j'aurai enfanté ces organiques, nous verrons; je ne me prétends pas immortelle. Mais d'ici là, votre proposition n'est pas seulement lugubre, elle est inconstitutionnelle, irrévérencieuse, factieuse; et je me propose, moi, de ne la point prendre en considération.

Cependant plus d'un membre partage le sentiment de M. Rateau, et répète avec lui : Frères, il faut mourir ! Et, dans le pays, maint et maint écho redit, ou plutôt mugit: Il faut mourir, il faut mourir promptement ! C'est le vœu de beaucoup de conseils électifs, c'est le vœu d'une quantité de journaux, c'est le vœu d'une multitude de pétitionnaires, c'est le vœu de la Constitution, qui a besoin d'un certain baptême et d'une certaine confirmation; c'est le vœu du bon sens, qui craint que l'Assemblée ne vienne à regretter, malgré elle, d'avoir abdiqué toute la puissance dont elle a été revêtue; c'est le vœu de la nécessité; car si l'Assemblée est sortie de la même urne que le chef du pouvoir exécutif, elle n'y a pas été formée par le même esprit. Il faut mourir ! il faut mourir !

Ce glas a rempli la séance.

M. de Sèze a tinté les premiers coups. Il n'a pas longtemps obtenu le silence. De vives clameurs s'élèvent et couvrent sa voix; c'est ainsi que la montagne a coutume de se boucher les oreilles. M. de Sèze est pourtant un orateur conciliant et poli. Il s'offrait à délivrer la majorité d'un scrupule exprimé par M. Grévy. La majorité paraît croire que l'Assemblée n'a pas le droit de mourir. Détrompezvous, lui a dit M. de Sèze, c'est notre droit, et c'est peutêtre notre devoir. Qui nous lie aux organiques? un décret. Notre puissance peut l'anéantir..., et nous pouvons plus facilement l'anéantir que l'exécuter. M. de Sèze a ajouté

vingt raisons nettes et concluantes; mais ces raisons n'ont point plu. Quels cris! Quelles interruptions! Ah! s'il ne s'agissait que d'avoir des d'avoir des poumons pour vivre!

Un membre paraît à la tribune en habit de chasse. Il conjure l'Assemblée de vivre, de vivre longtemps, de faire beaucoup de lois organiques, de les faire toutes, d'en faire d'autres encore, et de repousser, de punir, d'étouffer les réclamations factieuses et rebelles qui mettent en donte son éternité. Voilà comme il faut parler. Les clameurs deviennent des hourrahs! Ce membre siége à la montagne, il en a la voix, la mine, la phrase. C'est quelque chose d'aigu, de furieux, de grotesque.

Il faut mourir! Nul moyen d'en douter après avoir entendu M. de Montalembert. Nous avons un jour prédit à M. de Montalembert beaucoup de chutes dans cette Assemblée. Nous nous sommes trompé ce jour-là. En conjurant l'Assemblée de se dissoudre, M. de Montalembert fait preuve de désintéressement. Il est un des rares orateurs qu'elle écoute; succès d'autant plus flatteur qu'il ne le doit pas, certes! à la bienveillance de la majorité, ni au souci qu'il prend de lui plaire. Cent fois interrompu, souvent injurié, applaudi souvent, il a dit tout ce qu'il voulait dire, et l'on a entendu tout ce qu'il a dit. Cette assemblée, si prompte dans ses susceptibilités et si peu retenue dans ses colères, n'avait pas encore reçu en face un pareil bloc de bonnes et drues vérités. Il est vrai que jamais, jusqu'à présent, M. de Montalembert n'avait consenti à dire la vérité aussi adroitement. Quelques-uns de ceux qui interrompent le plus, parce qu'ils sont aussi ceux qui savent le moins répondre, s'étonnaient d'avoir laissé de telles pensées arriver tout entières à leurs oreilles ; mais, lorsqu'ils songeaient à regimber, il était déjà trop tard, un nouveau trait leur faisait oublier le premier.

M. de Montalembert, reconnaissant à l'Assemblée le droit

de prolonger son existence jusqu'à la confection de ces fameuses lois qui doivent compléter la Constitution, a prétendu lui prouver qu'il était de son intérêt, de sa gloire, de sa dignité, de son patriotisme, de terminer elle-même, dans un bref délai, non pas ces grands travaux, mais son existence. Il lui a présenté à cet égard les considérations les plus vraies, les plus fortes, les plus politiques et les plus patriotiques aussi. Ce discours, tantôt petillant d'ironie, tantôt entraînant d'éloquence, a dù toucher la fraction de l'Assemblée à qui l'orateur s'adressait spécialement. Il y a une partie de nos collègues, a-t-il dit, qui demandent à s'en aller, parce qu'ils sont sûrs de revenir; il y en a d'autres qui ne veulent point s'en aller, parce qu'ils sont à peu près aussi assurés de ne revenir pas. Je m'adresse à ceux qui s'inquiètent peu d'eux-mêmes et beaucoup de l'intérêt du pays. Je les conjure de ne point laisser monter trop haut ce flot de l'opinion qui nous demande de nous soumettre au jugement des électeurs.

M. Billault est venu combattre ce grand discours. C'est toujours le même Billault, ennemi des ministres et trouvant qu'ils ne savent point leur métier. Le fond de sa pensée est que la France a besoin de lui. Il estime peu toute opinion qui ne se range pas à celle-là. Tel il était sous la monarchie, tel il est sous la République. Beaucoup pensent d'eux ce qu'il pense de lui-même. Mais ce sentiment si connu, il le laisse trop voir, et cette négligence le rend plus plaisant qu'il ne croit. A son avis, l'opinion qui se prononce contre la trop longue durée de l'Assemblée est factice. Ce que le pays veut, c'est que les lois organiques soient faites, et surtout que le Ministère soit défait. Voilà ce que le commerce attend, voilà ce que l'agriculture demande, voilà ce que l'industrie réclame, voilà ce que le crédit exige. Mais quoi ! le Ministère n'a point d'initiative, le Ministère ne propose aucune loi, le Ministère se croise les bras, et les affaires lan

« PreviousContinue »