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delle dont on nous menace, qui nous puisse empescher de désirer et demander la paix. Nous n'aurons plus peur que nos femmes et nos filles soient violées, ni débauchées par les gens de guerre, et celles que la nécessité a détournées de l'honneur se remettront au droit chemin. Nous n'aurons plus ces sangsües d'exacteurs et maltotiers; on ostera ces lourds impots qu'on a inventés à l'hostel de ville sur les meubles et marchandises libres et sur les vivres qui entrent aux bonnes villes, où il se commet mille abus et concussions, dont le profit ne revient pas au public, mais à ceux qui manient les deniers, et s'en donnent par les joues. Nous n'aurons plus ces chenilles, qui succent et rongent les belles fleurs des jardins de la France, et s'en peignent de diverses couleurs, et en un moment de petits vers rampants contre terre deviennent grands papillons volants, peinturez d'or et d'azur. Nous n'aurons plus tant de gouverneurs qui font les Roytelets, et ne serons plus subjets aux gardes et sentinelles, où nous perdons la moitié de nostre temps, consommons nostre meilleur âge, et acquerons des catarres, et maladies qui ruinent nostre santé. Nous aurons un Roy qui donnera ordre à tout, et retiendra tous ces tyranneaux en crainte et en devoir; qui chastiera les violents, punira les réfractaires, exterminera les voleurs et pillards, retranchera les aisles aux ambitieux, fera rendre gorge à ces esponges et larrons des deniers publics, fera contenir un chacun aux limites de sa charge, et conservera tout le monde en repos et tranquillité. Enfin nous voulons un Roy pour avoir la paix. Mais nous ne voulons pas faire comme les grenouilles, qui s'ennuyants de leur Roy paisible, esleurent la Cicogne, qui les dévora toutes. Nous demandons un Roy et chef naturel, non artificiel, un Roy déjà fait, et non à faire, et n'en voulons point prendre le conseil des Espagnols, nos ennemis invétérez, qui veulent estre nos tuteurs par force. Nous ne voulons pour conseillers et médecins ceux de Lorraine, qui de longtemps béent 1 après nostre mort. Le Roy que nous demandons est déjà fait par la nature, né au vray parterre des fleurs de Lis de France, rejetton droit et verdoyant de la tige de Saint Louys. Ceux qui parlent d'en faire un autre se trompent et ne sçauroient en venir à bout. On peut faire des sceptres et des couronnes, mais non pas des roys pour les porter; on peut faire une maison, mais non pas un arbre ou un rameau verd; il faut que la nature le produise par espace de temps, du suc et de la moëlle de la terre, qui entretient la tige en sa seve et vigueur. On peut faire une jambe de bois, un bras de fer, un nez d'argent; mais non pas une teste. Aussi pouvons-nous faire des Mareschaux à la douzaine, des Pairs, des Admiraux, et des Secrétaires el Conseillers d'Estat, mais de Roy point; il faut que celuy seul naisse de luy-mesme, pour avoir vie et valeur.

Allons, allons donc, mes amis, tout d'une voix luy demander la paix: il n'y a paix si inique qui ne vaille mieux qu'une très juste guerre. O quam speciosi pedes nuntiantium pacem, nuntiantium bona

1. Aspirent (bayer, béer, inhiare)

et salutem! dit Isaye. O que ceux ont les pieds beaux, qui portent la paix et annoncent le salut et la sauveté du peuple! Que tardonsnous à chasser ces fâcheux hostes, maupiteux bourgeois, insolens animaux, qui dévorent nostre substance, et nos biens comme sauterelles? Ne sommes-nous point las de fournir à la luxure et aux voluptez de ces harpies? Allons, Monsieur le Légat, retournez à Rome. Allons, Messieurs les Agents et Ambassadeurs d'Espagne, nous sommes las de vous servir de gladiateurs à outrance, et nous entretuer pour vous donner du plaisir. Allons, Messieurs de Lorraine, nous vous tenons pour fantosmes de protection, sangsües du sang des Princes de France; et que Monsieur le Lieutenant ne pense pas nous empescher ou retarder par ses menaces : nous luy disons haut et clair, et à vous tous, Messieurs ses cousins et alliez, que nous sommes François, et allons avec les François exposer nostre vie, et ce qui nous reste de bien pour assister nostre Roy, nostre bon Roy, nostre vray Roy, qui vous rangera aussi bientost à la mesme reconnoissance, par force ou par un bon conseil, que Dieu vous inspirera, si en estes dignes.

MONTAIGNE

Michel, seigneur de Montaigne en Périgord, y naquit le 28 février 1533 et mourut le 13 septembre 1592. Il avait été conseiller au Parlement de Bordeaux, et maire de cette ville. Ses ouvrages sont les Essais et un Voyage en Italie, recueil de lettres qui n'offre que fort peu d'intérêt.

Première édition des Essais : Bourdeaus, S. Millanges, 1580, 2 parties petit in-8 (premier et second livres); autre édition Paris, Abel L'Angelier, 1588, in-4°; Amsterdam, Michiels, 1659, 3 vol. in-12; Paris, Didot, 1802, 4 vol. in-12; Paris, Didier, 1818, gr. in-8; Paris, Lefèvre, 18261828, 5 vol. in-8, et Paris, Charpentier, 1854, 4 vol. gr. in-18.

Les meilleures éditions sont celles de 1826, par Victor Leclerc; de Buchon, 1865, 4 vol. in-8; de Charles Louandre, 1870, 4 vol. in-18, avec un Index utile; de Dezeimeris et Barckhausen, Bordeaux, 1870, 2 vol. in-8, qui donne le texte de 1580, le premier texte des Essais; enfin les éditions de Motheau et Jouaust, Paris, 1873-1874, 3 vol.

in-8, et de Courbet et Royer, avec un Glossaire de la langue de Montaigne, tomes I et II, 1874.

Les Essais sont le premier et peut-être le meilleur fruit qu'ait produit en France la philosophie morale. C'est le premier appel adressé à la société laïque et mondaine sur les graves matières que les savants de profession avaient jusqu'alors prétendu juger à huis clos. Le principal charme de cet ouvrage, c'est qu'on y sent à chaque ligne l'homme sous l'auteur. Ce n'est point un traité, encore moins un discours; c'est la libre fantaisie d'un causeur aimable et instruit, qui se déroule capricieusement sous vos yeux. L'idée y prend un corps, l'abstraction devient vivante. Le livre et l'écrivain ne sont qu'une même chose. Montaigne a pour ainsi dire vécu son ouvrage au lieu de le composer. Cet homme d'une raison si droite semble, dans la succession de ses idées, n'obéir qu'à cette faculté que luimême appelle la « folle du logis ». Il choisit un sujet, le quitte, le reprend, promet une matière dans le titre, en traite une autre dans le chapitre. « Je n'ai point, dit-il, d'autre sergent de bande à arranger mes pièces que la fortune. A mesure que mes rêveries se présentent, je les entasse tantôt elles se présentent en foule, tantôt elles se traînent à la file. Je veux qu'on voie mon pas naturel et ordinaire, ainsi détraqué qu'il est; je me laisse aller comme je me trouve, je prends de la fortune le premier argument, pensant ici un mot, ici un autre, échantillons dépris de leurs pièces, écartés sans dessein ni promesses. >> Toutefois sous cette allure fortuite se cache un intérêt sérieux et puissant. Malgré toutes ses excursions, Montaigne a constamment en vue un seul objet, qu'il nous peint, qu'il nous montre, qu'il nous explique sans cesse, c'est luimême, ou plutôt c'est nous, c'est l'homme tel qu'il fut, tel qu'il sera toujours et c'est là le secret de l'immortalité de son ouvrage. Il a toute la grâce d'une fantaisie et toute la profondeur d'une étude, tout le charme d'une conversation et toute la valeur d'un traité scientifique.

Voltaire a dit avec raison : « Ce n'est pas le langage de Montaigne, c'est son imagination qu'il faut regretter. » Chez lui, plus que chez personne, le style c'est l'homme. Il

maîtrise, il assouplit l'idiome rebelle encore qui lui est donné, et, comme un habile versificateur, il tire de la difficulté même cent combinaisons inattendues et charmantes. « C'est aux paroles, dit-il, à servir et à suivre, et que le gascon y arrive si le français n'y peut aller. Je veux que les choses surmontent, et qu'elles remplissent l'imagination de celui qui écoute, de façon qu'il n'ait aucune souvenance des mots. » Aussi le langage de Montaigne est-il <«< un parler simple et naïf, tel sur le papier qu'à la bouche, un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné que véhément et brusque, plus difficile qu'ennuyeux, éloigné de l'affectation, déréglé, décousu et hardi. On ne pourrait compter toutes les images, les expressions neuves, les alliances de mots qu'il a créées. Si l'on se plaît au français d'Amyot, on étudie la langue de Montaigne, et ses écrits sont encore aujourd'hui un trésor, où notre prose, appauvrie par les dédains philosophiques du XVIIIe siècle, est heureuse d'aller rechercher ses anciennes richesses.

AMITIÉ DE MONTAIGNE ET DE LA BOÉTIE 1

Considérant la conduicte de la besongne d'un peintre que i'ay, il m'a prins envie de l'ensuyvre. Il choisit le plus bel endroict et milieu de chasque paroy pour y loger un tableau eslaboré de toute sa suffisance, et le vuide tout autour, il le remplit de crotesques, qui sont peinctures fantasques, n'ayants grâce qu'en la varieté et estrangeté. Que sont ce icy aussi, à la verité, que crotesques et corps monstrueux, rappiecez de divers membres, sans certaine figure, n'ayants ordre, suitte, ny proportion que fortuite?

Desinit in piscem mulier formosa superne 2.

le vay bien iusques à ce second poinct avecques mon peintre : mais ie demeure court en l'aultre et meilleure partie; car ma suffisance ne va pas si avant que d'oser entreprendre un tableiu riche, poly, et formé selon l'art. le me suis advisé d'en emprunter

1. Étienne de La Boëtie, né à Sarlat en 1530, mort en 1563, conseiller au Parlement de Bordeaux à l'âge de vingt ans, avait écrit à dix-huit ans son Discours sur la servitude volontaire (1548), éloquente invective contre la tyrannie, dans le goût des déclamations antiques. - 2. Horace, Art poétique, vers 4.

un d'Estienne de la Boëtie, qui honorera tout le reste de cette besongne : c'est un discours auquel il donna nom LA SERVITUDE volonTAIRE mais ceulx qui l'ont ignoré l'ont bien proprement depuis rebaptisé, LE CONTRE UN. Il l'escrivit par maniere d'essay en sa première jeunesse, à l'honneur de la liberté contre les tyrans. Il court pieça ez mains des gents d'entendement, non sans bien grande et méritee recommendation; car il est gentil et plein ce qu'il est possible. Si y a il bien à dire, que ce ne soit le mieux qu'il peust faire et si en l'aage que je l'ai cogneu plus avancé, il eust prins un tel desseing que le mien de mettre par escript ses fantaisies, nous verrions plusieurs choses rares, et qui approcheroient bien prez de l'honneur de l'antiquité; car notamment en cette partie des dons de nature, ie n'en cognoy point qui luy soit comparable. Mais il n'est demeuré de luy que ce discours, encores par rencontre, et croy qu'il ne le veit oncques depuis qu'il luy eschappa, et quelques memoires sur cet edict de ianvier 1, fameux par nos guerres civiles, qui trouveront encores ailleurs peut estre leur place. C'est tout ce que l'ay peu recouvrer de ses reliques, moy qu'il laissa, d'une si amoureuse recommendation, la mort entre les dents, par son testament, héritier de sa bibliothèque et de ses papiers, oultre le livret de ses œuvres que i'ay faict mettre en lumière. Et si suis obligé particulierement à cette piece, d'autant qu'elle a servy de moyen à nostre premiere accointance; car elle me feut montree longue espace avant que ie l'eusse veu, et me donna la première cognoissance de son nom, acheminant ainsi cette amitié que nous avons nourrie, tant que Dieu a voulu, entre nous, si entiere et si parfaicte, que certainement il ne s'en lit gueres de pareilles, et entre nos hommes il ne s'en veoid aulcune trace en usage. Il fault tant de rencontres à la bastir, que c'est beaucoup si la fortune y arrive une fois en trois siècles....

Des enfants aux peres, c'est plustost respect. L'amitié se nourrit de communication, qui ne peult se trouver entre eulx pour la trop grande disparité, et offenseroit à l'adventure les debvoirs de nature car ny toutes les secrettes pensees des peres ne se peuvent communiquer aux enfants, pour n'y engendrer une messeante privauté; ny les advertissements et corrections, qui est un des premiers offices d'amitié, ne se pourroient exercer des enfants aux peres.... C'est, à la vérité, un beau nom et plein de dilection, que le nom de frere, et à cette cause en feismes nous luy et moy nostre alliance mais ce meslange de biens, ces partages, et que la richesse de l'un soit la pauvreté de l'aultre, cela destrempe merveilleusement et relasche cette soudure fraternelle; les frères ayant à conduire le progrez de leur advancement en mesme sentier et mesme train, il est force qu'ils se heurtent et chocquent souvent. Davantage, la correspondance et relation qui engendre ces vrayes et parfaictes amitiez, pourquoy se trouvera elle en

1. Cet édit accordait aux huguenots l'exercice public de leur religion.

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