plutôt qu'artiste, son œuvre est un code plus qu'un poème, et, comme tout législateur, il s'attache surtout à proscrire ce qu'on doit éviter. S'il procéda surtout par négation, c'est que son époque, non moins que son génie, lui en faisaient une nécessité. La richesse était faite dans la poésie, il n'y manquait que l'ordre, cette seconde richesse. Malherbe inventa le goût: ce fut là sa création. Il bannit des vers l'hiatus, sans circonstances atténuantes, Interdit à jamais l'enjambement ou suspension, posta la césure au sixième pied de l'alexandrin, comme une sentinelle impassible, repoussa dédaigneusement les rimes trop faciles rien ne sent plus son grand poète que de rimer difficilement. Désormais plus de licence en poésie, plus d'inversions hasardées, les vers bien faits seront beaux comme de la prose. Dans les matériaux confus qu'avaient entassés ses devanciers, il fit une langue noble, par choix et par exclusion. Le principe qui présida à ce triage atteste sa haute intelligence de la vraie nature des langues; il répudia également la cour et le collège, la mode et l'érudition, et prit pour guide l'instinct du peuple de Paris. Il rejeta tous les patois admis avec trop d'indulgence par Ronsard. La langue, comme la monarchie, marchait à grands pas vers l'unité. Au précepte il sut joindre l'exemple, et le caractère de son talent s'assortit merveilleusement avec les exigences de sa raison. Poète peu fécond, mais correct et laborieux, on le vit gâter une demirame de papier pour faire et refaire une stance. Cette sobriété de composition, ce respect du lecteur et des lois du style, cette haute idée des difficultés de l'art, était au xvie siècle chose entièrement nouvelle. Aussi quel charme n'éprouve-t-on pas, en quittant Ronsard, Dubartas, d'Aubigné et Régnier lui-même, de rencontrer tout à coup des vers qu'on croirait cueillis d'hier, tant ils ont conservé leur fraîcheur et leur pureté! CONSOLATION A M. DU PÉRIER, GENTILHOMME D'AIX EN PROVENCE, SUR LA MORT DE SA FILLE (1607) Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle, Que te met en l'esprit l'amitié paternelle STANCES Le malheur de ta fille au tombeau descendue Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue Je sais de quels appas son enfance étoit pleine, Injurieux ami, de soulager ta peine Mais elle étoit du monde où les plus belles choses Et rose elle a vécu ce que vivent les roses 1, Puis quand ainsi seroit, que selon ta prière D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière, Penses-tu que plus vieille en la maison céleste Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste, C'est bien, je le confesse, une juste coutume, Par le canal des yeux vidant son amertume, Même quand il advient que la tombe sépare Celui qui ne s'émeut a l'âme d'un barbare, 1. On raconte que Malherbe avait d'abord écrit ainsi ce vers : Et Rosette a vécu ce que vivent les roses. Mais à l'imprimerie on aurait mal lu le manuscrit, et l'on aurait mis Roselle au lieu de Rosette. En lisant l'épreuve à haute voix, le poète aurait été frappé de cette variante fortuite, et l'aurait adoptée. Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ; La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles, Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre, Et la garde qui veille aux barrières du Louvre De murmurer contre elle, et perdre patience, Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science PARAPHRASE DU PSAUME CXLV (1627) N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde; C'est Dieu qu'il faut aimer. En vain pour satisfaire à nos lâches envies, Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont comme nous sommes, Et meurent comme nous. Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière Dont l'éclat orgueilleux étonne l'univers; Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hautaines Ils sont mangés des vers. Là se perdent ces noms de maîtres de la terre, D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre; Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs. Et tombent avec eux d'une chute commune Tous ceux que leur fortune Faisoit leurs serviteurs. PRIÈRE POUR LE ROI HENRI LE GRAND ALLANT EN LIMOUSIN (1607) STANCES O Dieu, dont les bontés de nos larmes touchées Mais quoi? de quelque soin qu'incessamment il veille, Et quelque excès d'amour qu'il porte à notre bien; Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, Il n'a point son espoir au nombre des armées, Tu nous rendras alors nos douces destinées; Qui pour les plus heureux n'ont produit que des pleurs. La moisson de nos champs lassera les faucilles, Quand un roi fainéant, la vergogne des princes, Quoique l'on dissimule, on n'en fait point d'estime; Mais ce roi, des bons rois l'éternel exemplaire, Qu'il vive donc, Seigneur, et qu'il nous fasse vivre; Qu'avec une valeur à nulle autre seconde, Nous ait acquis la paix sur la terre et sur l'onde Que l'hydre de la France en révoltes féconde, Par vous soit du tout morte, ou n'ait plus de poison Certes c'est un bonheur dont la juste raison Promet à votre front la couronne du monde. Mais qu'en de si beaux faits vous m'ayez pour témoin Tous vous savent louer, mais non également, |