tables satires à l'imitation d'Horace. Mais son imitation n'était plus le calque servile imaginé par la Pléiade, c'était la féconde émulation, la puissante rivalité du talent. Le pinceau de Régnier s'arrête volontiers à la surface des choses. C'est de lui qu'on peut dire qu'il se joue autour du cœur humain. Sa poésie n'a rien de bien profond, de bien philosophique, ce sont les jeux innocents de la satire ses contemporains l'avaient jugé ainsi. Ce prédécesseur de Boileau était pour eux le bon Régnier; et luiinême nous explique, quoique avec trop de modestie, cette qualification: Et ce surnom de bon me va-t-on reprochant Ce n'est certes pas l'esprit qui manque à Régnier, ni l'enjouement, ni la verve. Mais il est artiste bien plus que moraliste; il s'occupe plus de la peinture que de la leçon. Sa plus belle création, c'est son style, on en a fait un bel et juste éloge en le rapprochant de celui de Montaigne 1. ..... CONTRE LES MAUVAIS POÈTES Lorsque l'on voit un homme par la rüe, Dont le rabat est sale, et la chausse rompüe, Ses gregues aux genoux, au coude son pourpoint 2, Sans demander son nom, on le peut reconnoistre; L'œil farouche et troublé, l'esprit à l'abandon, Vous viennent accoster comme personnes yvres, Et disent pour bon-jour, « Monsieur, je fais des livres, 1. Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au XVIe siècle, tome I, page 169. 2. C'est-à-dire dont les vêtements sont percés, les grègues aux genoux, et le pourpoint aux coudes. Grègues ou grèves, le vêtement qui couvrait les jambes. - 3. Au Palais de Justice, où il y avait des boutiques de libraires. A les lire amusez, n'ont autre passe-temps. » Dè là, sans vous laisser, importuns ils vous suivent, Mais que pour leur respect 2 l'ingrat siècle où nous sommes, Contraire en jugement au commun bruit de tous..... Toy qui, sans passion, maintiens l'œuvre immortelle, De race en race au peuple un ouvrage fais voir : (Satire II.) LA LIONNE, LE LOUP ET LE MULET Avecque la science il faut un bon esprit. Furieuse elle approche, et le Loup qui l'advise, La beste l'attaquast, ses ruses il employe. Mais enfin le hazard si bien le secourut, Qu'un Mulet gros et gras à leurs yeux apparut. 1. Vous accablent. 2. En ce qui les regarde. 3. N'aspire à rien moins, ne vise à rien moins qu'à l'immortalité. - 4. La Fontaine, livre V, fable 8; livre XII, fable 17. Et s'approchent tous deux assez pres de la beste. Luy regardant aux pieds, lui parloit en riant : Et comme les Normands, sans luy respondre voire 2: ་་ Et comme sans esprit ma grand mere me vit, Sans m'en dire autre chose, au pied me l'escrivit. » Que les loups de son temps n'alloient point à l'écolle. S'approche, plus savante, en volonté de lire. Le Mulet prend son temps, et du grand coup qu'il tire, Qu'elle ne sçavoit point, lui apprit sa leçon. Alors le Loup s'enfuit, voyant la beste morte; Et de son ignorance ainsi se reconforte : << N'en déplaise aux Docteurs, Cordeliers, Jacobins, Pardieu, les plus grands clercs ne sont pas les plus fins. » (Satire III.) UN FACHEUX Apres tous ces propos qu'on se dict d'arrivée, Il le juge à respect 4 : « O! sans ceremonie, Et sans respect des Saints, hors l'église il me porte, 1. Où as-tu été élevé? 2. Vraiment, franchement. 3. Je baissai 4. Il prend mon silence et mon embarras pour des marques 5. En camarades, en égaux. Je suis tout seul, à pied. » Lui, de m'offrir la croupe. « Je vous baise les mains, je m'en vais ici pres, O Dieu! le galand homme! J'en suis 1. » Et moy pour lors, comme un bœuf qu'on assomme, Insensible, il me traisne en la court du Palais, Il les serre, et se met luy-mesme à se louer : Doncq'pour un cavalier n'est-ce pas quelque chose? Quelque procès verbal qu'entendre il me fallust. ་་ Encore, dites-moy en votre conscience, 1. Voir Molière, les Fâcheux, acte I, scène 1. 2. Aguet, embuscade; d'aguet, d'une façon adroite et subtile. - 3. Locution proverbiale: s'esquiver. Mais il me fust bien force, estant bien attaché, (Satire VIII.) MALHERBE François de Malherbe, né à Caen en 1556, d'une noble et ancienne famille, vécut d'abord en Provence et se`signala dans la profession des armes. Il vint à Paris en 1603, fut présenté à Henri IV, qui, charmé de la pureté de ses vers et de la noblesse de son langage, le garda à son service et l'inscrivit parmi ses pensionnaires. Après la mort de ce prince, Marie de Medicis gratifia Malherbe d'une pension de cinq cents écus. Il mourut à Paris en 1628. Ses œuvres consistent en Odes, Stances, Sonnets, Paraphrases, Épigrammes, Chansons, Lettres en prose, traduction de quelques traités de Sénèque et du xxx livre de TiteLive. Première édition des œuvres réunies, Paris, 1630, in-4o; principales éditions. Paris, Barbin, 1689, in-12; Paris, Coustelier, 1722, in-12, Paris, Barbou, 1757, in-8; Paris, Didot, 1797, gr. in-4o; Paris, Lefèvre, 1825, in-8. Parmi les réimpressions modernes, on consultera avec fruit l'édition des Poésies, par M. de Latour, où fut publié pour la première fois le curieux commentaire d'André Chénier sur Malherbe (Paris, 1842 et 1855, in-12), mais surtout l'édition de M. Ludovic Lalanne, dans la Collection des Grands Écrivains, Paris, Hachette, 1862-1869, 5 vol. in-8. Cette dernière ne donne pas seulement les œuvres poétiques, mais les ouvrages en prose et là correspondance de Malherbe. Il existe une vie de Malherbe écrite par Racan. La gloire de Malherbe, c'est d'avoir connu le premier en France le sentiment et la théorie du style, d'avoir fait sciemment ce que Régnier exécutait par instinct. Critique 1. Amende de jeu. |