l'expression. Le sentiment se glace par cette inquiète imitation des grands maitres. Cependant il y avait quelque chose de si légitime dans la renaissance des idées antiques, il était si bien dans la destinée du XVIe siècle de renouer la chaîne de la tradition gréco-latine, que le nom de Ronsard devint l'objet d'une idolâtrie dont rien aujourd'hui ne peut nous donner l'idée. La gloire seule de Voltaire, cette longue et merveilleuse royauté du génie, put renouveler de pareils hommages. La réaction ne se fit pas attendre, comme on sait. L'arrêt de Boileau, qui consacre la déchéance de Ronsard, garda pendant près de deux siècles l'autorité de la chose jugée. Il fut de bon goût de mépriser Ronsard sans le connaître. On lui rend aujourd'hui plus de justice, et l'on convient qu'il a été trop loué et trop dénigré. Dans le genre grave et héroïque, les Odes, la Franciade', les Discours sur les misères du temps, présentent de loin en loin des traits d'une beauté durable. Mais c'est surtout dans la poésie légère que Ronsard possède un incontestable mérite. Ici, content d'être lui-même, il n'emprunte à l'antiquité que l'analogie de ses images. C'est comme un parfum lointain et d'autant plus doux, qui s'exhale au milieu des idées personnelles du poète. Il a toute la grâce de Marot, avec plus d'éclat et de gravité. A CASSANDRE Mignonne, allons voir si la rose, Las! voyez comme en peu d'espace, 1. La Franciade, qui a pour héros le fabuleux Francus, fils de Priam et fondateur supposé de l'empire français, est restée inachevée. Ronsard avait le projet de l'étendre en vingt-quatre chants; il s'est arrêté au quatrième. O vrayment marastre Nature, Donc, si vous me croyez, Mignonne, Fera ternir vostre beauté. (Odes, liv. I, xvii.) A HÉLÈNE Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant, Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle, Je seray sous la terre, et, fantosme sans os, (Sonnets pour Hélène, liv. II, sonnet XLII.) Il estoit minuict, et l'Ourse Je suis enfant, n'aye crainte, »> Lors je prins sa main humide, Cependant il me regarde D'un œil, de l'autre il prend garde Puis, me voyant empesché A luy faire bonne chere, Me tire une fleche amere 1. Le Bouvier, constellation voisine de la Grande Ourse. Et m'y fit telle ouverture, (Odes, liv. II, ode xix.) LES GUERRES DE RELIGION Ce monstre 3 arme le fils contre son propre père, La sœur contre la sœur, et les cousins germains Et quoy? brusler maisons, piller et brigander, Jésus que seulement vous confessez icy De bouche et non de cœur, ne faisoit pas ainsi : Et Sainct Paul en preschant n'avoit pour toutes armes Et les Pères Martyrs, aux plus dures saisons Des Tyrans, ne s'armoient sinon que d'oraisons. Mais montrez-moy quelqu'un qui ait changé de vie J'en voy qui ont changé de couleur et de teint, 1. Paroles magiques. 2. Imitation d'Anacréon. La Fontaine, qui a traduit aussi l'Amour mouillé, n'a pas fait oublier la traduction de Ronsard. - 3 L'hérésie. - 4. Son métier, ses affaires.. Ilideux en barbe longue et en visage feint, Mais je n'en ay point veu qui soient d'audacieux (Discours des misères du temps.) REGNIER Mathurin Régnier, né à Chartres en 1573, fut chanoine de la cathédrale de cette ville; il mourut à Rouen en 1613. Ses œuvres se composent de seize Satires, trois Épîtres, cinq Élégies et quelques autres poèmes. Première édition, Paris, 1608, in-4°. Citons aussi les éditions d'Elzevier, 1655, de Brossette, Amsterdam, 1729, in-12; de Lenglet du Fresnoy, Londres, 1733, in-4°, etc. Les plus récentes sont celles de M. Viollet-le-Duc, Paris, 1823, in-8, qui contient une introduction et un commentaire abondant; de la Bibliothèque elzévirienne, 1853 et 1869, in-16; de P. Poitevin, 1860, in-12; de M. Édouard de Barthélemy, 1862, in-12; de M. L. Lacour, 1867, in-8, et de M. Courbet, 1875, in-8; cette dernière, avec un «< Lexique de la langue de Régnier ». Il était évident que la réforme de Ronsard et de la Pléiade n'était pas définitive. C'était un effort violent qui succédait à une torpeur extrême : la révolution avait passé le but sans l'atteindre. Régnier, par inspiration vraie, par nonchaloir, par insouciance, par abandon à la bonne loi naturelle, revint au simple, au vrai, et rentra sans le savoir dans la vieille école gauloise, qu'il enrichit toutefois d'heureuses imitations. Il suivit par génie l'excellent précepte de du Bellay : «< il transforma en soi les meilleurs auteurs et, après les avoir digérés, les convertit en sang et nourriture. » Il fut le premier en France qui écrivit de véri DEMOGEOT. 4 |