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je ne donnerai ici les règles que de la première. Cet art, que j'appelle l'art de persuader, et qui n'est proprement que la conduite des preuves méthodiques parfaites, consiste en trois parties essentielles à définir les termes dont on doit se servir par des définitions claires; à proposer des principes ou axiomes évidents pour prouver la chose dont il s'agit; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à la place des définis.

La raison de cette méthode est évidente, puisqu'il serait inutile de proposer ce qu'on veut prouver et d'en entreprendre la démonstration, si on n'avait auparavant défini clairement tous les termes qui ne sont pas intelligibles, et qu'il faut de même que la démonstration soit précédée de la demande des principes évidents qui y sont nécessaires, car si l'on n'assure le fondement, on ne peut assurer l'édifice; et qu'il faut enfin en démontrant substituer mentalement les définitions à la place des définis, puisque autrement on pourrait abuser des divers sens qui se rencontrent dans les termes. Il est facile de voir qu'en observant cette méthode on est sûr de convaincre, puisque, les termes étant tous entendus et parfaitement exempts d'équivoques par les définitions, et les principes étant accordés, si dans la démonstration on substitue toujours mentalement les définitions à la place des définis, la force invincible des conséquences ne peut manquer d'avoir tout son effet. Aussi jamais une démonstration dans laquelle ces circonstances sont gardées n'a pu recevoir le moindre doute; et jamais celles où elles manquent ne peuvent avoir de force.

Voici en quoi consiste cet art de persuader, qui se renferme dans ces deux principes: Définir tous les noms qu'on impose. Prouver tout, en substituant mentalement les définitions à la place des définis.

La méthode de ne point errer 1 est recherchée de tout le monde. Les logiciens font profession d'y conduire, les géomètres seuls y arrivent, et hors de leur science et de ce qui l'imite, il n'y a point de véritables démonstrations. Tout l'art en est renfermé dans les seuls préceptes que nous avons dits: ils suffisent seuls, ils prouvent seuls; toutes les autres règles sont inutiles ou nuisibles. Voilà ce que je sais par une longue expérience de toutes sortes de livres et de personnes.

Et sur cela je fais le même jugement de ceux qui disent que les géomètres ne leur donnent rien de nouveau par ces règles, parce qu'ils les avaient en effet, mais confondues parmi une multitude d'autres inutiles ou fausses dont ils ne pouvaient pas les discerner, que de ceux qui cherchant un diamant de grand prix parmi un grand nombre de faux, mais qu'ils n'en sauraient pas distinguer, se vanteraient, en les tenant tous ensemble, de posséder le véritable aussi bien que celui qui, sans s'arrêter à ce vil amas, porte la main sur la pierre choisie que l'on recherche, et pour 2 laquelle on ne jetait pas tout le reste.

1. L'art de raisonner avec certitude, et sans se tromper. — 2. A cause de laquelle.

Le défaut d'un raisonnement faux est une maladie qui se puri par ces deux remèdes 1. On en a composé un autre 2 d'une infinit d'herbes inutiles, où les bonnes se trouvent enveloppées, et où elles demeurent sans effet, par les mauvaises qualités de ce mélange. Pour découvrir tous les sophismes et toutes les équivoques des raisonnements captieux, ils ont inventé des noms barbares, qui étonnent ceux qui les entendent; et au lieu qu'on ne peut débrouiller tous les replis de ce nœud si embarrassé qu'en tirant l'un des bouts que les géomètres assignent, ils en ont marqué un nombre étrange d'autres où ceux-là se trouvent compris, sans qu'ils sachent lequel est bon.

BOSSUET

Jacques-Bénigne Bossuet naquit le 27 septembre 1627 à Dijon. Il commença ses études au collège des Jésuites de cette ville, et les acheva à Paris au collège de Navarre. Docteur en philosophie à seize ans, en 1643, en théologie cinq ans plus tard (1648), il fut ordonné prêtre en 1652, et investi d'un canonicat à Metz, où son père était président du Parlement. Il reparut à Paris en 1659, et prêcha le carême dans l'église des Minimes de la Place Royale avec un succès éclatant. Pendant dix ans il fit entendre, dans les églises de Paris et à la cour, une éloquence naturelle et forte, nourrie de la science des Pères. De ses sermons presque entièrement improvisés, il n'est resté que des notes jetées à la hâte sur le papier, et recueillies après sa mort. Nommé évêque de Condom en 1669, il prononça, la même année, l'oraison funèbre d'Henriette de France, reine d'Angleterre, et en 1670, celle d'Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans. Il fut en 1670 chargé de diriger l'éducation du dauphin, pour lequel il écrivit le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, la Logique, le Discours sur l'Histoire universelle et la Politique tirée de l'Écriture sainte. L'éducation du dauphin terminée, Bossuet prit possession du siège épiscopal de Meaux (1681).

1. Les deux règles énoncées plus haut. 2. La scolastique.

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En 1682, il fut l'âme de la célèbre assemblée du clergé qui détermina les rapports du saint-siège et de la royauté. En 1683 il prononça l'oraison funèbre de la reine MarieThérèse; en 1685, celle de la princesse Palatine; celle du chancelier Michel Le Tellier en 1686; en 1687, celle du prince de Condé. Il ne négligeait pas pour cela son diocèse, et composa pour l'édification des fidèles confiés à ses soins les Méditations sur l'Évangile, les Élévations sur les mystères, les Commentaires sur les Psaumes, etc. En 1683, il treprit de confondre les églises protestantes par le tableau de leurs dissentiments, et écrivit l'Histoire des Variations. Dans les dernières années de sa vie, il combattit énergiquement le quiétisme et les rêveries mystiques de Mme Guyon; Fénelon, un moment gagné à la doctrine séduisante du pur amour de Dieu, finit par s'incliner devant l'autorité romaine invoquée contre lui par son ardent contradicteur. Ce fut la dernière victoire de Bossuet. Il mourut de la pierre à Paris le 12 avril 1704.

La première édition complète des œuvres de Bossuet est de Paris, Le Mercier, 1743-1753, 20 vol. in-4. Les autres éditions les plus recherchées sont celles de Paris, Lefèvre, 1835-1837, 12 vol. gr. in-8; Versailles, 1815 et suiv. 47 vol. in-8; et celle de F. Lachat, Paris, Vivès, 1862 et suiv. 31 vol. in-8.

Les ouvrages de Bossuet ont eu séparément un grand nombre d'éditions.

On peut consulter Vie de Bossuet par le cardinal de Bausset, Paris, 1814, 4 vol. in-8; Eloge de Bossuet par Saint-Marc Girardin et Patin; Villemain, Discours et mélanges, discours prononcé à l'ouverture du cours d'éloquence française, décembre 1842, et surtout A. Floquet, Études sur la vie de Bossuet, Paris, 1855, 3 vol. in-8; et Bossuet précepteur du Dauphin, 1864, in-8; Gandar, Bossuet orateur, 1866, in-8; Nourrisson, la Philosophie de Bossuet, 1862, in-8; la Politique de Bossuet, 1867, in-8.

Les Sermons écrits qui nous restent de Bossuet, œuvre de ses premières années, oubliés longtemps, inconnus à ses intimes amis, mutilés même par les éditeurs, ne peuvent nous donner qu'une idée bien imparfaite de l'élo

quence vivante qui coulait de ses lèvres. Et pourtant, quel caractère encore dans cette lave refroidie! Ces discours sont tout pleins du dogme; l'Écriture sainte en forme comme le tissu. On croit entendre la voix des vieux prophètes et des Pères de l'Église. Ce sont là, comme il le dit lui-même, les prédicateurs invisibles qui parlent par sa bouche.

Les circonstances ouvrirent bientôt à l'éloquence de Bossuet une carrière où elle se sentit plus à l'aise. L'oraison funèbre, en appelant l'orateur sacré près du tombeau des grands de la terre, offrit à ce superbe contempteur de la gloire humaine l'occasion d'élever jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant. En même temps elle faisait jaillir de son âme, comme pour tempérer le sublime, ces sources de tendresse compatissante qui laissent voir l'homme dans l'apôtre, et joignent, comme le drame antique, la pitié à la terreur.

Les Oraisons funèbres de Bossuet se déroulent aux yeux de la postérité comme les pages d'une imposante histoire. Chaque discours semble n'être qu'une partie d'un vaste ensemble, où les grands événements et les personnages illustres de l'époque apparaissent tour à tour à la lueur lugubre des solennités de la mort. Il semble que la Providence les amène successivement, hommes et choses, aux pieds de l'orateur qui va les juger. Mais quelque saintes que soient les leçons données par Bossuet dans les oraisons funèbres, la vérité, sainte aussi, de l'histoire a pourtant à réclamer contre la plupart de ses appréciations. C'est l'écueil presque inévitable de ce genre d'éloquence; l'orateur est facilement entraîné à ériger en types accomplis de vertu des personnages fort éloignés de cet idéal. La conclusion est excellente, mais les prémisses sont rarement irréprochables. Aussi l'oraison funèbre est-elle, comme la tragédie classique, un genre éteint avec la société qui l'a produit. Bossuet l'a emportée dans sa tombe.

ORAISON FUNÈBRE DE LA REINE D'ANGLETERRE

Henriette Marie de France, le dernier enfant de Henri IV et de Marie de Médicis, née au Louvre le 25 novembre 1609, épousa Charles Ier, roi d'Angleterre, en mai 1265. Catholique, elle fut accusée d'aigrir son mari contre les protestants, et contrainte en 1644, pendant que l'Angleterre était déchirée par la guerre civile, de se réfugier en France. Après l'exécution de Charles Ier (1649), elle se retira dans le couvent de la Visitation, qu'elle fonda à Chaillot. Elle mourut à Colombes en 1669, après avoir vu son fils Charles II rétabli d'une façon inespérée sur le trône d'Angleterre (1660), et après avoir marié sa fille Henriette Anne au duc d'Orléans, frère de Louis XIV.

Du spectacle de cette vie, où l'on voit « toutes les extrémités des choses humaines, la félicité sans bornes aussi bien que les misères », Bossuet tire un enseignement pour tous les rois de la terre. La reine « s'est instruite elle-même pendant que Dieu instruisait les peuples par son exemple; elle a usé chrétiennement de la bonne et de la mauvaise fortune ».

1er partie Naissance et vertus de la reine; 2e partie : Ses malheurs: la révolution d'Angleterre, née «< du libertinage d'esprit, et de la fureur de disputer des choses divines »; 3o partie : Héroïsme d'Henriette de France au milieu de tant d'afflictions. Péroraison : Soumise à la main de Dieu, elle « préféra la croix au trône », elle mit «< ses malheurs au nombre des plus grandes grâces». Ses disgrâces font maintenant sa félicité.

EXORDE

Monseigneur 1,

Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et terribles leçons. Soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse, soit qu'il communique sa

1. Philippe de France, duc d'Orléans, gendre de la reine d'Angleterre.

DEMOGEOT.

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