La poésie familière, ingénieuse et sensée, l'un de nos trésors les plus précieux du moyen âge, a donc trouvé dans la personne de Marot son expression définitive. Ce n'est pas à dire pour cela que cette poésie ait dû suffire aux Français du XVIe siècle, aux élèves de la Renaissance, et qu'ils n'aient rien dû souhaiter au delà. Nourris de Virgile, d'Horace, de Pindare, ils ne tardèrent pas à trouver un peu maigres ces braves formes de s'exprimer, qui ne pouvaient s'élever au-dessus des humbles sujets. .... LE LION ET LE RAT 1 (A son ami Lyon Jamet, 1525) Je te veux dire une belle Fable : Cestuy Lyon, plus fort qu'un vieil verrat, Adonc le Rat, sans serpe, ne cousteau, Et du Lyon, pour vrai, ne s'est gaudy.... Lors le Lyon ses deux grans yeux vertit 2, 1. Voyez La Fontaine, livre II, fable 11. 2. Tourna. Sire Lyon, dit le fils de souris, Ne se perd point, quelque part qu'il soit fait. (Épitre XI.) ÉPITRE AU ROY (Pour avoir été desrobé, 1531) On dit bien vrai, la mauvaise fortune De quelque argent que m'aviez departi, Et me va prendre en tapinois icelle : Argent et tout (cela se doit entendre) Bref, le villain ne s'en voulut aller Saye, et bonnet, chausses, pourpoint et cappe: Tous les plus beaux et puis s'en habilla Si justement, qu'à le veoir ainsi estre, Vous l'eussiez prins, en plain jour, pour son maistre. Droit à l'estable, où deux chevaux trouva: : De ne veoir pas les premiers raisins meurs. Ce neantmoins ce que je vous en mande, 1. Akakia, professeur de médecine à l'Université de Paris, médecin de François Ier. être à la dernière extrémité. 2. Être à quia, être à bout de raisons et de ressources, N'est pour vous faire ou requeste, ou demande : Quand vostre los et renom cessera. (Épître XXVIII.) RONSARD Pierre de Ronsard, né près de Vendôme en 1524, fut page du duc d'Orléans fils de François Ier, puis du prince écossais Jacques Stuart, rentra au service du duc d'Orléans et fut employé dans quelques missions diplomatiques. Il se voua ensuite tout entier aux lettres. Charles IX lui témoignait une grande affection. Ronsard mourut en 1585 dans un de ses prieurés, près de Tours. OEuvres de Ronsard, Paris, 1567, 4 vol. in-4o; 16091623, 2 vol. in-folio; 1629-1630, 5 vol. in-12. OEuvres choisies de Ronsard, Paris, 1840; OEuvres inédites, 1855, petit in-8. L'édition la plus complète est celle de M. Prosper Blanchemain, dans la Bibliothèque elzévirienne, 1857 et suiv., 9 vol. in-12 avec un atlas in-4°. M. Noël et M. Becq de Fouquières ont donné, le premier en 1862, 2 vol. in-18, le 2. D'abord. 3. Un billet. -4. Votre gloire. second en 1873, 1 vol. in-18, des OEuvres choisies de Ronsard. A l'âge de dix-huit ans, Ronsard, forcé par une surdité précoce de renoncer à la cour, s'enferma, avec le jeune Baïf, son ami, avec Joachim du Bellay, avec Remi Belleau et Antoine Muret, dans un collège dont le savant Daurat venait d'être nommé principal. Une nouvelle ambition s'était emparée du jeune Ronsard : c'était de faire passer dans la langue vulgaire toute la majesté d'expression et de pensée qu'il admirait chez les anciens. Il communiqua à ses nouveaux condisciples son projet et son enthousiasme. Tous se mirent à l'oeuvre avec un admirable courage, et Joachim du Bellay publia sous le titre de Défense et Illustration de la langue française le manifeste de la nouvelle école 1. Toute la réforme littéraire du xvIe siècle était dans la Défense et Illustration. Elle se résume en deux points essentiels ennoblir la langue par l'infusion des mots et des images empruntés aux langues antiques; ennoblir la poésie par l'introduction des genres usités chez les anciens. Du Bellay avait rédigé le programme, Ronsard fut le premier et le plus hardi à le remplir. D'abord il essaya de créer d'un seul jet une langue poétique. Pour cela il puisa sans ménagement aux sources grecques et latines. Une seule chose aurait pu consolider cette révolution grammaticale: une œuvre immortelle, qui, comme celle de Dante, eût fait vivre sa langue avec ses idées; Ronsard le comprit et s'efforça de l'accomplir. Il introduisit en France toutes les formes de la poésie antique, et au premier rang l'ode et l'épopée. Malheureusement il porta dans ses œuvres le même principe d'imitation que dans ses innovations linguis tiques, et ce système se trouva encore plus faux ici. Ce n'est pas qu'il y ait chez Ronsard absence d'enthousiasme, il y a seulement solution de continuité entre la forme et la pensée, l'une n'est pas l'effet direct et immédiat de l'autre; si l'inspiration donne l'idée, la mémoire seule produit 1. Voir sur la Pléiade l'Histoire de la littérature française, page 324. |