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La poésie familière, ingénieuse et sensée, l'un de nos trésors les plus précieux du moyen âge, a donc trouvé dans la personne de Marot son expression définitive. Ce n'est pas à dire pour cela que cette poésie ait dû suffire aux Français du XVIe siècle, aux élèves de la Renaissance, et qu'ils n'aient rien dû souhaiter au delà. Nourris de Virgile, d'Horace, de Pindare, ils ne tardèrent pas à trouver un peu maigres ces braves formes de s'exprimer, qui ne pouvaient s'élever au-dessus des humbles sujets.

....

LE LION ET LE RAT 1

(A son ami Lyon Jamet, 1525)

Je te veux dire une belle Fable :
C'est assavoir du Lyon et du Rat.

Cestuy Lyon, plus fort qu'un vieil verrat,
Veit une fois, que le Rat ne sçavoit
Sortir d'un lieu, pour autant qu'il avoit
Mengé le lard, et la chair tout crüe:
Mais ce Lyon (qui jamais ne fut grüe)
Trouva moyen, et manière, et matière
D'ongles et dens, de rompre la ratière :
Dont maistre Rat eschappe istement:
Puis met à terre un genouil gentement,
Et en ostant son bonnet de la teste,
A mercié mille fois la grand'beste,
Jurant le dieu des Souris et des Rats,
Qu'il lui rendroit. Maintenant tu verras
Le bon du compte. Il advint d'avanture,
Que le Lyon, pour chercher sa pasture,
Saillit dehors sa caverne, et son siége:
Dont, par malheur, se trouva pris au piége,
Et fut lié contre un ferme posteau.

Adonc le Rat, sans serpe, ne cousteau,
Y arriva joyeux, et esbaudy,

Et du Lyon, pour vrai, ne s'est gaudy....
Auquel a dit : Tais-toi, Lyon lié;
Par moy seras maintenant deslié :
Tu le vaux bien, car le cœur joly as :
Bien y parut, quand tu me deslias.
Secouru n'as fort Lyonneusement.
Or secouru seras Rateusement. >>

Lors le Lyon ses deux grans yeux vertit 2,

1. Voyez La Fontaine, livre II, fable 11.

2. Tourna.

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Sire Lyon, dit le fils de souris,
De ton propos, certes, je me souris :
J'ai des cousteaux assez, ne te soucie,
De bel os blanc plus tranchans qu'une sye
Leur gaine c'est ma gencive et ma bouche:
Bien coupperont la corde qui te touche
De si très près: car j'y mettrai bon ordre. »
Lors sire Rat va commencer à mordre
Ce gros lien vrai est qu'il y songea
Assez longtemps, mais il le vous rongea
Souvent, et tant, qu'à la parfin tout rompt,
Et le Lyon de s'en aller fut prompt,
Disant en soy: Nul plaisir, en effet,

Ne se perd point, quelque part qu'il soit fait.

(Épitre XI.)

ÉPITRE AU ROY

(Pour avoir été desrobé, 1531)

On dit bien vrai, la mauvaise fortune
Ne vient jamais, qu'elle n'en apporte une,
Ou deux ou trois avecques elle, Sire.
Vostre cœur noble en sçauroit que bien dire :
Et moi chetif, qui ne suis Roy, ne rien,
L'ai esprouvé. Et vous compterai bien,
Si vous voulez, comment vint la besongne.
J'avois un jour un vallet de Gascongue,
Gourmand, yvrongne, et asseuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart 2 de cent pas à la ronde,
Au demeurant le meilleur fils du monde.....
Ce venerable hillot 3 fut adverti

De quelque argent que m'aviez departi,
Et que ma bourse avoit grosse apostume 4:
Si se leva plustot que de coustume,

Et me va prendre en tapinois icelle :
Puis la vous mit très bien sous son esselle,

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Argent et tout (cela se doit entendre)
Et ne croi point que ce fust pour la rendre,
Car onques puis n'en ay ouy parler.

Bref, le villain ne s'en voulut aller
Pour si petit, mais encore il me happe

Saye, et bonnet, chausses, pourpoint et cappe:
De mes habits, en effect, il pilla

Tous les plus beaux et puis s'en habilla

Si justement, qu'à le veoir ainsi estre,

Vous l'eussiez prins, en plain jour, pour son maistre.
Finablement, de ma chambre il s'en va

Droit à l'estable, où deux chevaux trouva:
Laisse le pire, et sur le meilleur monte,
Pique et s'en va. Pour abréger le compte,
Soyez certain qu'au partir dudit lieu
N'oublia rien, fors à me dire adieu.....
Bien tost après ceste fortune-là,
Une autre pire encores se mesla
De m'assaillir, et chascun jour m'assaut,
Me menaçant de me donner le saut,
Et de ce saut m'envoyer à l'envers,
Rithmer sous terre, et y faire des vers.
C'est une lourde et longue maladie
De trois bons mois, qui m'a toute estourdie
La povre teste, et ne veut terminer....
Que dirai plus? au misérable corps
Dont je vous parle il n'est demouré fors
Le povre esprit, qui lamente et souspire,
Et en pleurant tasche à vous faire rire.
Et pour autant, Sire, que suis à vous,
De trois jours l'un viennent taster mon poux
Messieurs Braillon, Le Coq, Akaquia 1,
Pour me garder d'aller jusque à quia 2.
Tout consulté ont remis au printemps
Ma guérison mais à ce que j'entens,
Si je ne puis au printemps arriver,
Je suis taillé de mourir en yver,
Et en danger si en yver je meurs,

:

De ne veoir pas les premiers raisins meurs.
Voilà comment depuis neuf mois en ca
Je suis traicté. Or ce que me laissa
Mon larronneau, longtemps a, l'ay vendu,
Et en sirops et julez despendu :

Ce neantmoins ce que je vous en mande,

1. Akakia, professeur de médecine à l'Université de Paris, médecin de François Ier. être à la dernière extrémité.

2. Être à quia, être à bout de raisons et de ressources,

N'est pour vous faire ou requeste, ou demande :
Je ne veux point tant de gens ressembler,
Qui n'ont soucy autre, que d'assembler 1.
Tant qu'ils vivront, ils demanderont eux.
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veux plus à vos dons m'arrester.
Je ne di pas, si voulez rien prester,
Que ne le prenne. Il n'est point de presteur,
S'il veut prester, qui ne face un debteur;
Et sçavez vous, Sire, comment je paye?
Nul ne le sçait, si premier 2 ne l'essaye.
Vous me devrez, si je puis, de retour:
Et vous ferai encores un bon tour,
A celle fin, qu'il n'y ait faute nulle,
Je vous ferai une belle sedulle 3
A vous payer (sans usure il s'entend)
Quand on verra tout le monde content :
Ou si voulez, à payer ce sera,

Quand vostre los et renom cessera.

(Épître XXVIII.)

RONSARD

Pierre de Ronsard, né près de Vendôme en 1524, fut page du duc d'Orléans fils de François Ier, puis du prince écossais Jacques Stuart, rentra au service du duc d'Orléans et fut employé dans quelques missions diplomatiques. Il se voua ensuite tout entier aux lettres. Charles IX lui témoignait une grande affection. Ronsard mourut en 1585 dans un de ses prieurés, près de Tours.

OEuvres de Ronsard, Paris, 1567, 4 vol. in-4o; 16091623, 2 vol. in-folio; 1629-1630, 5 vol. in-12.

OEuvres choisies de Ronsard, Paris, 1840; OEuvres inédites, 1855, petit in-8.

L'édition la plus complète est celle de M. Prosper Blanchemain, dans la Bibliothèque elzévirienne, 1857 et suiv., 9 vol. in-12 avec un atlas in-4°. M. Noël et M. Becq de Fouquières ont donné, le premier en 1862, 2 vol. in-18, le

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2. D'abord. 3. Un billet. -4. Votre gloire.

second en 1873, 1 vol. in-18, des OEuvres choisies de Ronsard.

A l'âge de dix-huit ans, Ronsard, forcé par une surdité précoce de renoncer à la cour, s'enferma, avec le jeune Baïf, son ami, avec Joachim du Bellay, avec Remi Belleau et Antoine Muret, dans un collège dont le savant Daurat venait d'être nommé principal. Une nouvelle ambition s'était emparée du jeune Ronsard : c'était de faire passer dans la langue vulgaire toute la majesté d'expression et de pensée qu'il admirait chez les anciens. Il communiqua à ses nouveaux condisciples son projet et son enthousiasme. Tous se mirent à l'oeuvre avec un admirable courage, et Joachim du Bellay publia sous le titre de Défense et Illustration de la langue française le manifeste de la nouvelle école 1.

Toute la réforme littéraire du xvIe siècle était dans la Défense et Illustration. Elle se résume en deux points essentiels ennoblir la langue par l'infusion des mots et des images empruntés aux langues antiques; ennoblir la poésie par l'introduction des genres usités chez les anciens.

Du Bellay avait rédigé le programme, Ronsard fut le premier et le plus hardi à le remplir. D'abord il essaya de créer d'un seul jet une langue poétique. Pour cela il puisa sans ménagement aux sources grecques et latines. Une seule chose aurait pu consolider cette révolution grammaticale: une œuvre immortelle, qui, comme celle de Dante, eût fait vivre sa langue avec ses idées; Ronsard le comprit et s'efforça de l'accomplir. Il introduisit en France toutes les formes de la poésie antique, et au premier rang l'ode et l'épopée. Malheureusement il porta dans ses œuvres le même principe d'imitation que dans ses innovations linguis tiques, et ce système se trouva encore plus faux ici. Ce n'est pas qu'il y ait chez Ronsard absence d'enthousiasme, il y a seulement solution de continuité entre la forme et la pensée, l'une n'est pas l'effet direct et immédiat de l'autre; si l'inspiration donne l'idée, la mémoire seule produit

1. Voir sur la Pléiade l'Histoire de la littérature française, page 324.

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