Et du lutrin rompu réunissant la masse, Tu pourras les répandre et par vingt et par cent; Ce discours aussitôt frappe tous les esprits; Guillaume, enfant de chœur, prête sa main novice : Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure. Est l'unique souci d'Anne sa perruquière; 1. Éloge très délicat de M. Pavillon, alors évêque d'Aleth, dans le BasLanguedoc. (Brossette.) 2. Frontin, sous-marguillier de la Sainte-Chapelle. 3. La boutique du perruquier Didier l'Amour était sous l'escalier de la Sainte-Chapelle. Brossette nous apprend que, quand il arrivait quelque tumulte dans la cour du Palais, le redouté perruquier y mettait ordre sur-lechamp. Une dernière fois les brouille et les ressasse. Et que ton corps goutteux, plein d'une ardeur guerrière, LA FONTAINE Jean de La Fontaine naquit à Château-Thierry, le 8 juillet 1621. Ce n'est qu'à l'âge de vingt-deux ans qu'il sentit naître en lui le goût de la poésie, en lisant une ode de Malherbe. A vingt-six ans, il succéda à son père dans la charge de maître des eaux et forêts. Sa vie abandonnée, peu régulière, peu digne, inspire moins d'estime pour son caractère que ses charmants ouvrages ne commandent d'admiration pour son génie. Commensal et presque parasite de la duchesse de Bouillon, qui l'appelait son Fablier, de Fouquet, auquel il resta fidèle dans sa disgrâce, de Mme de La Sablière, de Mme d'Hervart, des princes de Conti et de Vendôme, il sut du moins honorer sa dépendance par un tendre attachement pour ses bienfaiteurs. La Fontaine fut peu goûté de Louis XIV; Fénelon seul, à la cour du roi, rendait justice au plus aimable de nos poètes 3. 2. 1. Le sacristain de la Sainte-Chapelle s'appelait Sirude. On quitte alors le temple, et l'innombrable foule (Chapelain, la Pucelle, livre VII.) 3. Le génie de La Fontaine a été fort bien senti et apprécié par La Harpe, Cours de Littérature, 2° partie, chap. XI, La Fontaine mourut à Paris, pauvre, à l'âge de soixantequatorze ans (14 août 1695). La religion, qu'il avait plutôt oubliée que méconnue, revint consoler ses derniers mo ments. Les Fables de La Fontaine parurent en trois recueils : les six premiers livres en 1668, les cinq suivants en 1678 et 1679, le douzième et dernier en 1694. Prem. édit. complète des Fables de La Fontaine, Paris, Thierry, 1678-1679-1694, 5 vol. in-12. Éditions principales, Anvers, 1688-1694, 2 vol. pet. in-8; Paris 1755-1759, 4 vol. in-fol.; Paris, Didot, 1788, gr. in-4; Paris, Didot, 1802, 2 vol. gr. in-fol.; Parme, Bodoni, 1814, 2 vol. gr. in-fol.; Paris, Lefèvre, 1823, 2 vol. in-8; Paris, Crapelet, 1830, 2 vol. in-32; Paris, Plon, 1850, in-64. On peut consulter WALCKENAER, Histoire de la vie et des ouvrages de J. de La Fontaine, Paris, 1820 et 1824, in-8; CHAMFORT, Eloge de La Fontaine dans l'édition de Lefèvre, Paris, 1822-1823, 6 vol. in-8; TAINE, La Fontaine et ses fables, 3e édit. 1861, in-18; SAINT-MARC GIRARDIN, La Fontaine et les fabulistes, 1867, 2 vol. in-8. Le tome Ier d'une nouvelle édition des OEuvres de La Fontaine vient de paraître dans la collection des Grands Écrivains publiée par M. Régnier. Il contient les premiers livres des Fables. Notons en passant que les Fables de La Fontaine sont fréquemment rééditées à l'étranger; nous citerons les éditions allemandes de Laun, Heilbronn, 1877, et de Lubarsch, Berlin, 1881. La Fontaine est, dans ses Fables, le poète de tous les temps, de tous les États, de tous les âges. L'enfant s'y amuse, l'homme s'y instruit, le lettré les admire. Elles égalent les plus belles œuvres du grand siècle, tant par la pureté irréprochable de leur morale que par l'inimitable perfection de leur style. Le poète reprend à sa source le vieil apologue de l'Orient grossi dans son cours par les inventions successives des Grecs, des Romains, des modernes; il se fait l'héritier universel du bon sens populaire; il recueille avec soin toutes ces fables, les transcrit, les met en vers, comme il le dit modestement dans son titre ; et ce ne sont plus les fables de Vichnou-Sarmâ, d'Ésope, de Phèdre, de Babrius, encore moins de Planude; le public leur a donné leur vrai nom et a contraint les éditeurs de le leur restituer: ce sont les fables de La Fontaine. En effet, l'originalité poétique ne consiste pas à inventer le sujet, mais à découvrir la poésie du sujet. Les poètes les plus créateurs n'ont presque jamais inventé autre chose. L'invention de La Fontaine, c'est sa manière de conter, c'est ce style admirable, c'est cette imagination heureuse, qui jette partout l'intérêt et la vie : « Il ne compose pas, dit La Harpe, il converse. S'il raconte, il est persuadé, il a vu. C'est toujours son âme qui vous parle, qui s'épanche, qui se trahit; il a toujours l'air de vous dire son secret et d'avoir besoin de vous le dire; ses idées, ses réflexions, ses sentiments, tout lui échappe, tout naît du moment. »>< C'est dans cette bonne foi, dans cette apparente crédulité du conteur, dans ce sérieux avec lequel il mêle les plus grandes choses aux plus petites que consiste la qualité propre et distinctive de La Fontaine, son inimitable naïveté. On s'imagine entendre un homme assez simple pour ajouter foi aux contes dont on a bercé son enfance. Non seulement il y croit, mais il espère bien vous y faire croire aussi. Son érudition, son éloquence, sa philosophie, tout ce qu'il a d'imagination, de mémoire, de sensibilité, est mis en œuvre pour vous intéresser au débat de Dame Belette avec Jeannot Lapin. De là ce phénomène qu'on n'avait pas vu depuis l'Odyssée, cette singulière mais incontestable alliance de la plus haute poésie avec les récits les plus naïfs; de là vient encore que, selon l'expression de Molière, nos beaux esprits n'effaceront pas le bonhomme. Il a ce qui manque à ceux de son temps, l'amour et l'intelligence de la campagne. La Fontaine n'eut jamais de cabinet de travail ni de bibliothèque; il se plaisait à composer dans la solitude des champs : là, il étudiait du cœur cette nature qu'il devait peindre. Je puis dire que tout me riait sous les cieux.... J'étais touché des fleurs, des doux sons, des beaux jours: Cette nature qu'il aime n'est pas un objet banal et indécis, telle que les poètes de cabinet la retracent d'après de vagues duï-dire ses tableaux ont des couleurs fidèles, qui sentent, pour ainsi dire, le pays et le terroir. Ces plaines immenses de blé où se promène de grand matin le maître et où l'alouette cache son nid, ces bruyères et ces buissons où fourmille tout un petit monde, ces jolies garennes, dont les hôtes étourdis font la cour à l'aurore parmi le thym et la rosée, c'est la Beauce, la Sologne, la Champagne, la Picardie 1; La Fontaine est le poète de la vieille France, comme le gardien fidèle de son vieux et charmant langage. LIVRE I V. LE LOUP ET LE CHIEN Un loup n'avait que les os et la peau, Tant les chiens faisaient bonne garde : Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau, L'attaquer, le mettre en quartiers, Sire loup l'eût fait volontiers : Et le mâtin était de taille A se défendre hardiment. Le loup donc l'aborde humblement. « Il ne tiendra qu'à vous, beau sire, Vos pareils y sont misérables, Dont la condition est de mourir de faim. Car, quoi! rien d'assuré ! point de franche lippée 4! Tout à la pointe de l'épée ! Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. »>> 1. Sainte-Beuve, Portraits et Caractères, article LA FONTAINE. - 2. Poli, luisant de santé et de graisse. 3. Hère, du latin herus, ou de l'allemand herr, signifie maître, seigneur. On dit pauvre hère, comme pauvre sire, dans le sens de gueux; par suite, on a employé hère seul, sans épithète, dans cette acception. 4. Lippée, ce qu'on happe d'un coup de langue, de lippe. Une franche lippée (franche veut dire libre), c'est un festin à-bouche-que veux-tu. |