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se développent à l'aise et sans prétention d'éloquence; elles cachent, comme son héros, beaucoup de sens sous une allure vulgaire. Elles sont surtout pratiques et politiques. Rien de général, rien de vraiment humain; ses maximes touchent encore à l'expérience personnelle, d'où elles sont nées. Elles n'ont pour sphère que les cours et le gouvernement; au-dessus, l'auteur ne voit plus que le ciel et une providence fatale qui le dispense de rien chercher au delà.

Malgré le ton simple et en quelque sorte bourgeois qu'affectionne Commines, la vérité d'observation, la vue claire des grands intérêts politiques, arrivent quelquefois chez lui jusqu'au plus beau style de l'histoire. Le tableau qu'il trace des résultats de l'administration de Louis XI a une grandeur calme et simple à laquelle l'histoire moderne n'était pas encore parvenue, et qu'elle ne devait guère

surpasser.

MORT DE LOUIS XI
(1483)

Luy print la maladie (dont il partit de ce monde) par un lundy, et dura jusques au samedy ensuyvant, pénultime d'Aoust, mil quatre cens quatre vingts et trois; et estoye présent à la fin de la maladie, parquoy en veulx dire quelque chose. Tantost après que le mal luy print, il perdit la parolle, comme autrefois avoit fait, et quand elle luy fut revenue, se sentit plus foible que jamais n'avoit esté, combien qu'auparavant il l'estoit tant, qu'à grand'peine pouvoit-il mettre la main jusques à la bouche, et estoit tant maigre et deffaict, qu'il faisoit pitié à tous ceux qui le voioyent. Ledict Seigneur se jugea mort, et sur l'heure il envoya querir Monseigneur de Beaujeu, mari de sa fille, à present Duc de Bourbon, et lui commanda aller au Roy son filz qui estoit à Amboise (ainsi l'appela il) en le luy recommandant, et ceux qui l'avoyent servi, et lui donna toute la charge et gouvernement dudict Roy.... Apres envoya le Chancelier, et toute sa sequelle 1, portant les Seaulx au Roy son filz. Luy envoya aussi partie des archiers de sa garde, et capitaines, et toute sa vennerie et faulconnerie et toutes autres choses. Et tous ceux qui le venoyent veoir, il les envoyoit à Amboise devers le Roy (ainsi l'appeloit-il), leur priant le servir bien, et par tous luy mandoit quelque chose.

La parole jamais ne luy faillit, depuis qu'elle luy fut revenue, ne 1. Sa suite.

le sens, ne jamais ne l'eust si bon. Jamais en toute sa maladie ne se plaignit, comme font toutes sortes de gens, quand ils sentent mal. Au moins suis-je de cette nature, et en ay veu plusieurs autres, et aussi on dit que le plaindre allége la douleur.

Toujours avoit espérance en ce bon Hermite 1, qui estoit au Plessis (dont j'ay parlé), qu'il avoit fait venir de Calabre, et incessamment envoyoit devers luy, disant qu'il lui allongeroit bien sa vie s'il vouloit; car nonobstant toutes ces ordonnances, qu'il avoit faites de ceulx qu'il avoit envoyés devers Monseigneur le Dauphin, son filz, si luy revint le cœur, et avoit bien espérance d'eschaper; et si ainsi fust advenu, il eust bien departy 2 l'assemblée, qu'il avoit envoyée à Amboise à ce nouveau Roy. Et pour cette espérance qu'il avoit audict Hermite, fut advisé par un certain théologien et autres, qu'on lui déclareroit qu'il s'abusoit, et qu'en son faict n'y avoit plus d'espérance qu'à la miséricorde de Dieu, et qu'à ces parolles se trouveroit présent son médecin, maistre Jaques Coctier, en qui il avoit toute espérance, et à qui chascun moys il donnoit dix mille escus, esperant qu'il luy alongeroit la vie. Et fut prise cette conclusion par maistre Olivier, à fin que de tous points il pensast à sa conscience, et qu'il laissast toutes autres pensées, et ce sainct homme, en qui il se fioit, et ledict maistre Jaques le medecin. Et tout ainsi qu'il avoit haulsé ledict maistre Olivier et autres, trop à coup, et sans propos, en estat plus grand, qu'il ne leur appartenoit, aussi tout de mesme, prindrent charge sans crainte, de dire chose à un tel Prince, qui ne leur appartenoit pas, ny ne garderent la reverence et l'humilité qu'il appartenoit au cas 3, comme eussent fait ceux qu'il avoit de long temps nourris, et lesquels peu paravant il avoit eslongnez de luy, pour ses imaginaires.... Signifierent à nostre Roy les dessus dicts sa mort en briefves parolles et rudes, disans: « Sire, il fault que nous nous acquitons; n'ayez plus d'espérance en ce sainct homme, n'en autre chose, car seurement il est faict de vous; et pour ce pensez à votre conscience, car il n'y a nul remede. » Et chascun dist quelque mot assés brief, ausquels il repondit : « J'ay esperance que Dieu m'aidera, et par aventure 4 je ne suis pas si malade comme vous pensez.

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Quelle douleur luy fut d'ouïr ceste nouvelle et ceste sentence? Car onques homme ne craignit plus la mort, et ne feit tant de choses, pour y cuider mettre remede, comme luy; et avoit tout le temps de sa vie, à ses serviteurs, et à moy comme à d'autres dit, que si on le voyoit en nécessité de mort, que on ne luy dist fors tant seulement « Parlez peu », et qu'on l'emeust seulement à soy confesser, sans luy prononcer ce cruel mot de la mort; car il luy sembloit n'avoir pas cœur pour ouïr une si cruelle sentence. Toutefois il l'endura vertueusement et toutes autres choses jusques à la mort, et plus que nul homme, que jamais j'aye veu mourir.

2. Séparé, dispersé. 3. Qui convenait 4. Peut-être.

1. Saint François de Paule. en cette circonstance.

A son filz qu'il appeloit Roy, manda plusieurs choses et se confessa très bien, et dict plusieurs oraisons, servans à propos, selon les sacremens qu'il prenoit, lesquels luy-mesmes demanda. Et comme j'ay dit, il parloit aussi sec 1, comme si jamais n'eust été malade, et parloit de toutes choses, qui pouvoyent servir au Roy son filz... Apres tant de paour et de suspicions et douleurs, nostre Seigneur feit miracle sur luy, et le guerist tant de l'âme que du corps, comme tousjours a accoustumé, en faisant ses miracles. Car il l'osta de ce misérable monde en grand santé de sens et d'entendement et bonne memoire, ayant reçeu tous ses sacremens, sans souffrir douleur que l'on congneust, mais toujours parlant jusques à une Patenostre 2 avant sa mort, en ordonnant de sa sepulture; et nommoit ceulx qu'il vouloit qu'ils l'accompagnassent par chemin, et disoit qu'il n'esperoit à mourir qu'au samedy, et que nostre Dame luy procureroit ceste grâce, en qui tous jours avoit eu fiance et grand dévotion et priere. Et tout ainsi luy en advint car il deceda le samedy penultime jour d'aoust, l'an mil quatre cens quatre vingts et trois, à huit heures au soir, audict lieu du Plessis, où il avoit prins la maladie le lundy devant. Nostre Seigneur ait son âme, et la veuille avoir reçue en son Royaume de Paradis. (Mémoires de Philippe de Commines, liv. VI, ch. x et xì.)

COMMENT LE ROI SE MAINTENOIT TANT ENVERS SES VOISINS QU'ENVERS SES SUJETS [PEU DE TEMPS AVANT SA MORT]

Or donques ce mariage de Flandres 3 fut accomply, que le Roy avoit fort désiré, et tenoit les Flamans à sa poste 4. Bretagne, à qui il portoit grande haine, estoit en paix avec luy; mais il les tenoit en grande peur et en grande crainte, pour le grand nombre de gens d'armes qu'il tenoit logez en leurs frontières. Espagne estoit en repos avec luy, et ne désiroit le roy et la reyne d'Espagne sinon qu'amitié; et il les tenoit en doute et despense, à cause du pays de Roussillon 5 qu'il tenoit de la maison d'Aragon, qui luy avoit esté baillé par le roy Jehan d'Arragon, pere du roi de Castille qui regne de present, en gage, et par aucunes conditions qui encore ne sont vuidées. Touchant la puissance d'Italie, ils le vouloient bien avoir pour amy, et avoient quelque confederation avec luy, et souvent y envoyoient leurs ambassadeurs. En Allemagne avoit les Suisses qui luy obeyssoient comme ses sujets; les roys d'Ecosse et de Portugal estoient ses alliez; partie de la Navarre faisoit ce qu'il vouloit; ses sujets trembloient devant luy; ce qu'il commandoit estoit incontinent accomply, sans nulle difficulté ni excusation.

(Liv. VI, ch. x.)

1. Avec autant de netteté et de fermeté. 2. Le temps de dire un Pater. -3. Le mariage du Dauphin avec Marguerite de Flandres, fille de Maximilien d'Autriche. 4. En sa dépendance. 5. Jean II d'Aragon avait engagé le Roussillon et la Cerdagne à Louis XI, en 1462, pour la somme de trois cent mille écus.

DEUXIÈME PÉRIODE

SEIZIÈME SIÈCLE

L'étude de l'antiquité classique n'avait jamais entièrement péri, malgré l'invasion des barbares et la chute de l'Empire d'Occident. Les monastères en avaient conservé quelques restes; Charlemagne fit éclore une première Renaissance; au moyen âge, la société cléricale entretint l'étincelle sacrée. Mais ce fut au xve et au xvre siècle, que, grâce à la découverte de l'imprimerie, aux guerres d'Italie et à la destruction de l'Empire d'Orient, les lettres grecques et latines reparurent avec tout leur éclat, et, s'alliant aux inspirations des temps modernes, produisirent une des plus brillantes périodes de l'art et de la littérature, qu'on appelle proprement la Renaissance 1

CLÉMENT MAROT

Clément Marot, né à Cahors en 1495, était fils du poète Jean Marot, valet de chambre de François Ier. Il fut luimême valet de chambre de Marguerite de Valois, sœur du roi, suivit François Ier dans son expédition d'Italie, et fut

1. Voyez l'Histoire de la littérature française, sur les monastères carlovingiens, pages 30 et suivantes; sur la Renaissance carlovingienne, page 38 et suivantes; sur la société cléricale au moyen âge, pages 160 et suivantes, et enfin, sur la Renaissance au xve et au xvie siècle, pages 259 et suivantes.

fait prisonnier avec lui à Pavie. De retour en France, il fut accusé d'hérésie; forcé de fuir, il se retira à Genève, puis à Turin, où il mourut dans l'indigence en 1544.

Marot a laissé vingt-sept Élégies, cinquante-neuf Épîtres, dix-neuf Ballades, trois cent cinq Épigrammes, quatorze opuscules, et beaucoup de pièces fugitives.

Les œuvres de Marot ont paru de 1532 à 1558. Citons seulement l'édition donnée par lui à Lyon, chez le célèbre imprimeur Etienne Dolet, 1538, in-8. Les deux principales éditions postérieures sont celles de Lenglet du Fresnoy, la Haye, 1731 (6 vol. in-12), et de Paul Lacroix, 1842, 3 vol. in-8. Les plus récentes et les plus utiles à consulter sont celles de M. Charles d'Héricault, Paris, Garnier, 1867, in-8, de M. P. Jannet, Paris, Picard, 1868, 3 vol. in-12 (collection Jannet); et enfin de M. Georges Guiffrey, Paris Claye et Quantin, 1875 et suiv. (en cours de publication).

Cet aimable poète absorbe et résume en lui, sous une forme plus pure, toutes les qualités de notre vieille poésie; il en possède tous les charmes, mais il en a aussi toutes les limites. Il n'élargit point le cercle qu'avaient tracé ses prédécesseurs, il est gaulois comme eux, mais il l'est mieux et plus vivement; il l'est seul autant qu'eux tous à la fois. On retrouve en lui la couleur de Villon, la gentillesse de Froissart, la délicatesse de Charles d'Orléans, le bon sens d'Alain Chartier, et la verve mordante de Jean de Meung: tout cela est rapproché, concentré dans une originalité piquante, et réuni par un don précieux qui forme comme le fond de cette broderie brillante, l'esprit.

De spirituelles et gracieuses épîtres, des élégies où la sensibilité ne sert que d'assaisonnement à l'esprit, des épigrammes enfin pleines de verve et de malice, tels sont les genres poétiques qu'affectionne sa légère pensée. L'instrument dont il pouvait disposer suffisait à de pareilles œuvres; la poésie des fabliaux, polie par l'usage d'une cour élégante, n'est jamais en défaut sous sa main, le vers de dix syllabes, ce mètre qui semble né pour les piquants et joyeux récits, lui fournit une richesse étonnante de coupes et d'effets poétiques, dont Voltaire seul a su lui dérober le secret.

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