LA COMTESSE. Je n'en vivrais, monsieur, que trop honnêtement. CHICANNEAU. Des chicaneurs viendront nous manger jusqu'à l'âme, Et nous ne dirons mot! Mais, s'il vous plaît, madame, Depuis quand plaidez-vous? Et quel âge avez-vous ? Vous avez bon visage. Laissez faire, ils ne sont pas au boul. J'y vendrai ma chemise; et je veux rien ou tout. CHICANNEAU. Madame, écoutez-moi. Voici ce qu'il faut faire. LA COMTESSE. Oui, monsieur, je vous crois comme mon propre père. Oui, vous prenez la chose ainsi qu'il la faut prendre. CHICANNEAU. Avez-vous dit, madame? LA COMTESSE. Qui. Si vous parlez toujours, il faut que je me taise. LA COMTESSE. Ah! que vous m'obligez. Je ne me sens pas d'aise. Vous ne savez pas, madame, où je viendrai. LA COMTESSE, Je plaiderai, monsieur, ou bien je ne pourrai. Mais.... CHICANNEAU. 1. La comtesse interprète mal le mot liez-moi semblable malentendu avait causé une grosse querelle entre la comtesse de Crissé, plaideuse de profession, et une personne qui lui donnait des conseils dans le cabinet de Boileau, le greffier, frère aîné de Boileau Despréaux. Racine avait ri de cette scène qu'on lui avait racontée et il s'en souvint quand il écrivit les Plaideurs. (Note de M. R. Lavigne). 2. La grammaire demande ici le; mais elle a grand' peine à se faire obéir. Mme de Sévigné, qui connaissait la règle, disait plaisamment « Je croirais avoir de la barbe si je parlais ainsi. » (Geruzez.) DEMOGEOT. 16 LA COMTESSE. Mais je ne veux point, monsieur, que l'on me lie. CHICANNEAU. Enfin, quand une femme en tête a sa folie.... Voyez le beau sabbat qu'ils font à notre porte. CHICANNEAU. Monsieur, soyez témoin.... LA COMTESSE. Que monsieur est un sot. CHICANNEAU. Monsieur, vous l'entendez retenez bien ce mot. PETIT-JEAN. Ah! vous ne deviez pas lâcher cette parole. LA COMTESSE. Vraiment, c'est bien à lui de me traiter de folle! Qu'est-ce qui t'en revient, faussaire abominable. Brouillon, voleur? CHICANNEAU. Et bon, et bon, de par le diable Un sergent! un sergent! LA COMTESSE. Un huissier! un huissier! PETIT-JEAN. Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier MOLIÈRE Jean-Baptiste Poquelin, qui prit plus tard le nom de Molière, naquit à Paris, le 15 janvier 1622. Son père, tapissier valet de chambre du roi, lui fit faire ses études au collège de Clermont (Louis-Le-Grand), où il eut pour maître le philosophe sensualiste Gassendi, et pour condisciples le célèbre voyageur Bernier, le poète Hénault, l'épicurien Chapelle et l'écrivain humoriste Cyrano de Bergerac. Poquelin, entraîné par son goût pour le théâtre, s'associa avec quelques jeunes gens de famille qui s'étaient réunis pour jouer la comédie. Ayant échoué à Paris, ils se mirent à courir la province. Cette vie de bohémien littéraire se prolongea pendant treize ans. C'est alors qu'au milieu d'un grand nombre de farces, Molière (c'est le nom de guerre que Poquelin avait adopté) composa l'Étourdi (1653) et le Dépit amoureux (1656). Ce fut en 1658 que Molière reparut à Paris. Il y donna les Précieuses Ridicules (1659), satire d'un travers contemporain, protestation du bon sens contre le langage et les manières affectées d'une coterie de femmes prétentieuses; Sganarelle (1660); l'École des maris, les Fâcheux (1661), et l'École des femmes (1662). Don Juan ou le Festin de Pierre (1665) fut une imitation originale d'un drame espagnol. Enfin le 4 juin 1666 parut le Misanthrope, le chefd'œuvre du génie comique. Deux mois après, le Médecin malgré lui rendait au théâtre l'invention très amusante d'un ancien fabliau, dont nous avons donné plus haut l'analyse (p. 9, 10). Le Tartufe, autre chef-d'œuvre, destiné à une immense popularité, fut joué intégralement pour la première fois le 5 août 1667, pendant l'absence du roi. Le lendemain, la représentation en fut interdite : « Monsieur le Premier Président ne voulait pas qu'on le jouât. » Le roi fut moins sévère: il permit au Tartufe de reparaître (1669). Vinrent ensuite Y'Amphitryon, George Dandin, et |