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IPHITAS. Si bien donc, ma fille, que tu veux bien accepter ce prince pour époux.

LA PRINCESSE. Seigneur, je ne sais pas encore ce que je veux. Donnez-moi le temps d'y songer, je vous prie, et m'épargnez un peu la confusion où je suis.

IPHITAS. Vous jugez, prince, ce que cela veut dire, et vous vous pouvez fonder là-dessus.

EURYALE. Je l'attendrai tant qu'il vous plaira, madame, cet arrêt de ma destinée; et, s'il me condamne à la mort, je le suivrai

sans murmure.

IPHITAS.

Viens, Moron. C'est ici un jour de paix, et je te remets en grâce avec la princesse.

MORON.

Seigneur, je serai meilleur courtisan une autre fois, et

je me garderai bien de dire ce que je pense.

SCÈNE III.—ARISTOMÈNE, THEOCLE, IPHITAS, LA PRINCESSE, EURYALE, AGLANTE, CYNTHIE, MORON.

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IPHITAS, aux princes de Messène et de Pyle. Je crains bien, princes, que le choix de ma fille ne soit pas en votre faveur; mais voilà deux princesses qui peuvent bien vous consoler de ce petit malheur.

ARISTOMÈNE. Seigneur, nous savons prendre notre parti; et, si ces aimables princesses n'ont point trop de mépris pour des cœurs qu'on a rebutés, nous pouvons revenir par elles à l'honneur de votre alliance.

SCÈNE IV.

IPHITAS, LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS, EURYALE, ARISTOMÈNE, THEOCLE, MORON.

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PHILIS, à Iphitas. Seigneur, la déesse Vénus vient d'annoncer partout le changement du cœur de la princesse. Tous les pasteurs et toutes les bergères en témoignent leur joie par des danses et des chansons; et, si ce n'est point un spectacle que vous méprisiez · yous allez voir l'allégresse publique se répandre jusques ici.

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QUATRE BERGERS ET DEUX BERGÈRES HÉROÏQUES chantent la chanson suivante, sur l'air de laquelle dansent d'autres bergers et bergères.

Usez mieux, ô beautés fières,
Du pouvoir de tout charmer:
Aimez, aimables bergères;
Nos cœurs sont faits pour aimer.
Quelque fort qu'on s'en défende,
Il y faut venir un jour;

Il n'est rien qui ne se rende
Aux doux charmes de l'amour.

Songez de bonne heure à suivre
Le plaisir de s'enflammer;
Un cœur ne commence à vivre
Que du jour qu'il sait aimer.
Quelque fort qu'on s'en défende,
Il y faut venir un jour;
Il n'est rien qui ne se rende
Aux doux charmes de l'amour.

FIN DE LA PRINCESSE D'ÉLIDE.

LES PLAISIRS

DE

L'ILE ENCHANTÉE'.

Course de bague; collation ornée de machines; comédie de Molière, intitulée la Princesse d'Élide, mêlée de danse et de musique; ballet du Palais d'Alcine; feu d'artifice, et autres fêtes galantes et magnifiques, faites par le roi à Versailles, le 7 mai 1664, et continuées plusieurs autres jours.

Le roi, voulant donner aux reines et à toute sa cour le plaisir de quelques fêtes peu communes, dans un lieu orné de tous les agrémens qui peuvent faire admirer une maison de campagne, choisit Versailles, à quatre lieues de Paris. C'est un château qu'on peut nommer un palais enchanté, tant les ajustemens de l'art ont bien secondé les soins que la nature a pris pour le rendre parfait. Il charme de toutes manières; tout y rit dehors et dedans, l'or et le marbre y disputent de beauté et d'éclat; et quoiqu'il n'y ait pas cette grande étendue qui se remarque en quelques autres palais de Sa Majesté, toutes choses y sont si polies, si bien entendues et si bien achevées, que rien ne les peut égaler. Sa symétrie, la richesse de ses meubles, la beauté de ses promenades et le nombre infini de ses fleurs, comme de ses orangers, rendent les environs de ce lieu dignes de sa rareté singulière. La diversité des bêtes contenues dans les deux parcs et dans la ménagerie, où plusieurs cours en étoile sont accompagnées de viviers pour les animaux aquatiques, avec de grands bâtimens, joignent le plaisir avec la magnificence, et en font une maison accomplie.

PREMIÈRE JOURNÉE.

Ce fut en ce beau lieu, où toute la cour se rendit le cinquième de mai, que le roi traita plus de six cents personnes, jusques au

1. Cette relation n'est point de Molière.

quatorzième, outre une infinité de gens nécessaires à la danse et à la comédie, et d'artisans de toutes sortes venus de Paris; si bien que cela paroissoit une petite armée:

Le ciel même sembla favoriser les desseins de Sa Majesté, puisqu'en une saison presque toujours pluvieuse, on en fut quitte pour un peu de vent; qui sembla n'avoir augmenté qu'afin de faire voir que la prévoyance et la puissance du roi étoient à l'épreuve des plus grandes incommodités. De hautes toiles, des bâtimens de bois, faits presque en un instant, et un nombre prodigieux de flambeaux de cire blanche, pour suppléer à plus de quatre mille bougies chaque journée, résistèrent à ce vent qui, partout ailleurs, eût rendu ces divertissemens comme impossibles à achever.

M. de Vigarani, gentilhomme modénois, fort savant en toutes ces choses, inventa et proposa celles-ci; et le roi commanda au duc de Saint-Aignan, qui se trouva lors en fonction de premier gentilhomme de sa chambre, et qui avoit déjà donné plusieurs sujets de ballets fort agréables, de faire un dessein où elles fussent toutes comprises avec liaison et avec ordre, de sorte qu'elles ne pouvoient manquer de bien réussir.

Il prit pour sujet le Palais d'Alcine, qui donna lieu au titre des Plaisirs de l'Ile enchantée; puisque, selon l'Arioste, le brave Roger et plusieurs autres bons chevaliers y furent retenus par les doubles charmes de la beauté, quoique empruntée, et du savoir de cette magicienne, et en furent délivrés, après beaucoup de temps consommé dans les délices, par la bague qui détruisoit les enchantemens. C'étoit celle d'Angélique, que Mélisse, sous la forme du vieux Atlant, mit enfin au doigt de Roger.

On fit donc en peu de jours orner un rond, où quatre grandes allées aboutissent entre de hautes palissades, de quatre portiques de trente-cinq pieds d'élévation et de vingt-deux en carré d'ouverture, de plusieurs festons enrichis d'or et de diverses peintures, avec les armes de Sa Majesté.

Toute la cour s'y étant placée le septième, il entra dans la place, sur les six heures du soir, un héraut d'armes, représenté par M. des Bardins, vêtu d'un habit à l'antique, couleur de feu en broderie d'argent, et fort bien monté.

Il étoit suivi de trois pages. Celui du roi (M. d'Artagnan) marchoit à la tête des deux autres, fort richement habillé de couleur de feu, livrée de Sa Majesté, portant sa lance et son écu, dans lequel brilloit un soleil de pierreries, avec ces mots : Nec cesso, nec erro', faisant allusion à l'attachement de Sa Majesté aux affaires de son Etat, et à la manière avec laquelle il agit; ce qui étoit encore repré

4. Jamais je ne m'arrête, et jamais je ne m'égare. »

senté par ces quatre vers du président de Périgny, auteur de la même devise:

Ce n'est pas sans raison que la terre et les cieux
Ont tant d'étonnement pour un objet si rare,
Qui, dans son cours pénible autant que glorieux,
Jamais ne se repose, et jamais ne s'égare.

Les deux autres pages étoient aux ducs de Saint-Aignan et de Noailles; le premier, maréchal de camp, et l'autre, juge des courses. Celui du duc de Saint-Aignan portoit l'écu de sa devise, et étoit habillé de sa livrée de toile d'argent enrichie d'or, avec les plumes incarnates et noires et les rubans de même. Sa devise étoit un timbre d'horloge, avec ces mots : De mis golpes mi ruido 1.

Le page du duc de Noailles étoit vêtu de couleur de feu, argent et noir, et le reste de la livrée semblable. La devise qu'il portoit dans son écu étoit un aigle, avec ces mots : Fidelis et audax 2.

Quatre trompettes et deux timbaliers marchoient après ces pages, habillés de satin couleur de feu et argent, leurs plumes de la même livrée, et les caparaçons de leurs chevaux couverts d'une pareille broderie, avec des soleils d'or fort éclatans aux banderoles des trompettes et aux couvertures des timbales.

Le duc de Saint-Aignan, maréchal de camp, marchoit après eux, armé à la grecque, d'une cuirasse de toile d'argent, couverte de petites écailles d'or, aussi bien que son bas de saie, et son casque étoit orné d'un dragon et d'un grand nombre de plumes blanches, mêlées d'incarnat et de noir. Il montoit un cheval blanc, bardé de même, et représentoit Guidon le Sauvage.

Pour le duc de SAINT-AIGNAN, représentant Guidon le Sauvage

Les combats que j'ai faits en l'Ile dangereuse,
Quand de tant de guerriers je demeurai vainqueur,
Suivis d'une épreuve amoureuse,

Ont signalé ma force aussi bien que mon cœur.
La vigueur qui fait mon estime,

Soit qu'elle embrasse un parti légitime

Ou qu'elle vienne à s'échapper,

Fait dire pour ma gloire, aux deux bouts de la terre,

Qu'on n'en voit point, en toute guerre,

Ni plus souvent, ni mieux frapper 3.

1. « De mes coups (vient) mon bruit. »

2. « Fidèle et hardi. »

3. Ces vers et les suivants, jusques et y compris les vers pour M. le Duc, représentant Roland, sont de Benserade.

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