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pas subir plus longtemps une humiliante tutelle. Il en est résulté pour le pays cet état de désorganisation où il n'y a ni gouvernement, ni administration, ni force publique, ni ressources suffisantes. D'un autre côté, ce malheureux gouvernement est assailli par les réclamations de tous ceux dont une commission internationale a reconnu les droits à une indemnité à la suite de l'incendie d'Alexandrie, et il n'a pas même de quoi suffire aux plus urgentes nécessités. C'est l'impuissance dans l'anarchie.

Voilà la situation! De sorte qu'il ne s'agit plus de se retirer du Soudan honorablement, si on le peut, en essayant d'arrêter l'invasion du mahdi à la limite de la Basse-Égypte; il s'agit de remettre un certain ordre au Caire, dans cette partie de la vallée du Nil autrefois si prospère, aujourd'hui livrée à la confusion. C'est là le problème que l'Angleterre a laissé s'aggraver par les tergiversations de sa politique et qu'elle a maintenant à résoudre, non-seulement parce que c'est son intérêt, mais encore parce qu'elle doit, jusqu'à un certain point, compte à l'Europe d'une situation qu'elle a créée. L'Angleterre, après être allée seule en pacificatrice sur le Nil, a prétendu rester seule pour créer un ordre nouveau qu'elle voulait nécessairement conforme à sa politique, à ses convenances. Il n'est point douteux que, si M. Gladstone, qui paraît avoir retrouvé assez de santé pour aller défendre son bill de réforme électorale devant la chambre des communes, ne réussit pas, le cabinet libéral est exposé d'ici à peu aux représailles de l'opinion offensée de l'humiliation infligée à l'orgueil britannique.

La crise, d'ailleurs assez bénigne, qui s'est déclarée il y a quelques jours dans les affaires italiennes a eu le dénoûment prévu. L'Italie a retrouvé un ministère qui n'a rien de bien nouveau dans une situation politique et parlementaire qui n'est pas sensiblement modifiée. C'est le président du conseil d'hier, M. Depretis, qui demeure le président du conseil d'aujourd'hui. Le cabinet reconstitué garde de plus quelques-uns de ses principaux membres, le ministre des affaires étran gères, M. Mancini, qui a les secrets de la diplomatie italienne depuis quelques années, le ministre de la guerre, le général Ferrero. Au nombre des nouveaux appelés au pouvoir il y a M. Coppino, qui est un professeur piémontais, ami de M. Depretis, qui a été déjà ministre de l'instruction publique et qui était récemment élu président de la chambre des députés à la place de M. Farini; il y a aussi un Napolitain, M. Grimaldi, et un Sarde. En définitive, ce n'est plus, si l'on vent, le cabinet qui existait il y a quelques jours; mais c'est encore un cabinet Depretis, avec son chef, avec ses opinions et ses alliés, avec son programme de Stradella. Le cabinet métamorphosé ne s'est signalé pour le moment que par un acte assez caractéristique. L'entrée de M. Coppino au ministère nécessitant l'élection d'un nouveau président

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de la chambre, M. Depretis a choisi comme candidat M. Biancheri, homme d'expérience, d'une autorité bienveillante et impartiale, qui a déjà présidé les débats parlementaires sous le règne de la droite. C'est la preuve que, si le président du conseil n'a pas voulu aller jusqu'à faire à la droite une certaine part dans ses combinaisons ministérielles, il tient cependant à lui donner des gages, à s'assurer le plus possible et plus que jamais une majorité composée des modérés de la gauche et de la droite. Avec quelques hommes de moins, avec quelques hommes de plus, il n'y a guère rien de changé à Rome. C'est le même chef, c'est la même politique intérieure et extérieure, avec ses garanties de modération relative, comme aussi avec ses embarras qui naissent parfois des circonstances, du mouvement des choses.

L'Italie, heureusement pour elle, est dans une situation où elle pourrait bien aisément éviter les embarras et où elle n'a que les difficultés qu'elle se crée, tantôt en poursuivant des alliances qui ne lui sont pas nécessaires, tantôt en ramenant, en laissant se réveiller ces affaires de la papauté qui sont toujours délicates. Où en est-elle pour le moment de sa politique extérieure, de ces profonds calculs de diplomatie auxquels elle a paru se livrer pendant quelque temps? Le ministre des affaires étrangères d'hier et d'aujourd'hui, M. Mancini, interpellé ces jours passés, au lendemain de la dernière crise, n'a sûrement pas répandu de bien vives lumières sur l'état réel des rapports de l'Italie avec l'Europe, sur les résultats des vastes combinaisons qu'on avait si complaisamment caressées. A vrai dire, M. Mancini est un ministre très optimiste; à ses yeux, tout est pour le mieux dans le monde. L'Italie a conquis et garde sa place dans la triple alliance, elle y figure au même titre que l'Allemagne et que l'Autriche. La rentrée de la Russie dans la grande alliance, dans l'intimité des deux empires du centre de l'Europe, n'a rien changé : c'est une garantie de plus pour la paix qu'on veut maintenir. D'un autre côté, les rapports intimes que l'Italie a noués depuis quelques années avec l'Allemagne et l'Autriche n'excluent pas, au dire de M. le ministre des affaires étrangères de Rome, les bonnes relations avec d'autres puissances, et M. Mancini s'est fait un devoir d'ajouter comme s'il avait à annoncer une bonne nouvelle : « Les nuages qui existaient entre la France et l'Italie se sont dissipés grâce aux intentions conciliantes qui ont été apportées des deux côtés dans les négociations qui ont eu lieu... » Voilà certes des déclarations rassurantes; au fond cependant, à travers les réticences de ces débats, il ne serait point impossible de démêler que le zèle pour l'alliance allemande s'est un peu refroidi au-delà des Alpes, que les résultats n'ont pas répondu à tout ce qu'on s'était promis. On espérait mieux, on a été un peu déçu, et tandis qu'il y a eu de ce côté quelque mécompte qu'on n'avoue pas, les rapports avec la France se sont améliorés. C'est un fait à recueillir.

L'Italie est intéressée à bien vivre avec tout le monde, à ne pas mettre des complications inutiles dans sa politique. Elle serait intéressée particulièrement à éviter des affaires comme celle qu'elle vient de se créer avec le souverain pontife au sujet de la congrégation de la Propagande, qui n'a d'autre résultat que de rappeler l'attention du monde sur la situation du pape à Rome, au Vatican.

Faire vivre le papé et le roi ensemble à Rome, c'est toujours assurément une grosse difficulté, et la plus dangereuse des politiques serait d'aggraver le problème par des procédés qui ne pourraient que rendre plus sensible, pour le chef de la catholicité, une situation déjà pénible et épineuse. Qu'est-il arrivé? Le gouvernement italien, depuis qu'il est à Rome, a voulu étendre à l'ancien domaine pontifical l'application des lois sur l'aliénation des biens ecclésiastiques. Le moment est venu où il a cru devoir atteindre la congrégation de la Propagande ellemême, et ici il a rencontré une sérieuse résistance. La question a été soumise à plusieurs tribunaux, à plusieurs juridictions. Elle a été résolue une première fois en faveur de la Propagande par la chambre civile de la cour de cassation de Rome; elle vient d'être tranchée définitivement contre la Propagande par la cour de cassation tout entière, jugeant en chambres réunies. Or il y a un fait qui ne peut guère être contesté, qu'admettent les publicistes les plus éminens de l'Italie, comme M. Bonghi : c'est que la congrégation de la Propagande, qui est un des principaux ressorts du gouvernement spirituel de l'église, est à ce titre une institution privilégiée, internationale, couverte par la loi des garanties que l'Italie elle-même a décrétée pour sauvegarder l'indépendance du saint-siège. On a passé par-dessus cette considération, qui est pourtant des plus sérieuses, et le gouvernement italien reste maintenant avec son arrêt souverain de justice. Le pape, de son côté, naturellement, n'accepte point cet arrêt. Il n'a pas cessé de protester au nom de ses droits, au nom de son indépendance; et il paraît avoir adressé ses protestations à tous les cabinets. Il a fait plus: il a organisé à l'extérieur, dans les principales villes du monde, des procures destinées à mettre les ressources de la Propagande hors dé l'atteinte du gouvernement italien, et, récemment encore, dans une allocution en consistoire, il a signalé, non sans amertume, avec mesure encore cependant, la violence qui lui était faite, l'extrémité où on le réduisait. Il aurait eu même un instant, dit-on, la pensée de quitter Rome, de sorte que voilà la guerre allumée, ou plus que jamais rallumée, à propos de cette affaire de la Propagande.

Quelles seront maintenant les conséquences de cet incident nouveau dans les relations de l'Italie et de la papauté? Les cabinets qui ont reçu les protestations venues du Vatican n'ont pas dû intervenir, quoi qu'on en ait dit, ou dans tous les cas ils ne seraient intervenus

que sous la forme la plus discrète, la plus confidentielle, puisque personne n'a l'intention de rompre avec l'Italie. La question reste donc, pour le moment, tout entière dans ce que décideront le gouvernement du roi Humbert et le souverain pontife. M. le ministre Mancini, en contestant l'autre jour ce qui avait été dit au sujet de l'intervention de quelques puissances, a renouvelé l'assurance d'une grande modération. Le gouvernement italien est en effet le premier intéressé à ne rien pousser à l'extrême, à rendre le séjour de Rome possible pour le pape, à maintenir l'intégrité des garanties qu'il a proclamées lui-même pour assurer l'indépendance du gouvernement spirituel de l'église. Ce n'est pas seulement pour lui une affaire de dignité et d'équité, c'est aussi un intérêt très sérieux de politique extérieure.

Quant au souverain pontife, est-il à croire qu'il ait eu dès ce moment, comme on l'a dit, la pensée précise, arrêtée de quitter Rome et le Vatican, qu'il ait débattu ou laissé débattre dans ses conseils le projet d'aller à Jérusalem ou à Malte, à Brixen ou dans une ville d'Allemagne, à Majorque ou à Hyères? Il n'est point douteux qu'il serait reçu avec respect partout où il voudrait aller s'abriter. C'est là cependant une extrémité à laquelle le pape he se résoudrait, selon toute apparence, que le jour où il ne pourrait plus faire autrement. Il y a longtemps qu'on a dit que la place du saint-père était auprès de la confession de Saint-Pierre. Quitter la confession de Saint-Pierre et s'en aller sur les chemins du monde, c'est peut-être un spectacle qui peut plaire aux imaginations vives, à ceux qui aiment les coups de théâtre; ce serait en même temps un acte si grave, impliquant de tels déplacemens, de tels troubles ou de telles incertitudes, qu'il y a de quoi réfléchir. Léon XIII s'est montré jusqu'ici un politique trop mesuré, trop habile pour céder à un premier mouvement, sous le coup d'un incident pénible. Il a prouvé qu'un pape, même dans des conditions difficiles, peut garder toute son autorité et traiter sans faiblesse avec les plus puissans. Ce qu'on a dit depuis quelques jours du départ prochain ou éventuel de Léon XIII n'est donc vraisemblablement qu'un de ces bruits qui courent de temps à autre. Au fond, le pape sent bien l'intérêt qui le fixe à Rome. L'Italie, de son côté, est intéressée à ne rien faire qui puisse aggraver la position du saint-père. L'Europe désire certainement qu'il n'y ait point un éclat, et c'est ce qui fait qu'on est sans doute encore loin d'une crise que personne ne voudrait précipiter.

CH. DE MAZADE.

MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE.

La liquidation de fin mars a été le point de départ d'une modification profonde dans les tendances, comme dans les allures de notre marché. Cette modification s'était annoncée dès le mois dernier par une intervention active et persistante des capitaux de placement. Sous cette action continue, les cours des rentes et d'un certain nombre de valeurs s'étaient déjà relevés; mais la spéculation, tant de fois déçue, n'a d'abord suivi qu'avec une circonspection très hésitante les indications que lui fournissait le marché du comptant.

Tandis que se prolongeait cette incertitude, les marchés allemands se mettaient hardiment à la hausse; des achats considérables relevaient partout le niveau des fonds d'état et favorisaient l'essor du crédit en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Italie, en Espagne. Le marché de Londres seul, avec le nôtre, continuait à se montrer réfractaire. Mais le mois d'avril a vu ces deux places se joindre enfin au mouvement général. Les vendeurs ont compris dès la réponse des primes quel danger les menaçait; le 4 1/2 atteignait 107 francs; le jour de la liquidation, les reports n'ont pu dépasser le taux moyen de 3 à 3 1/2 pour 100. Tous les capitaux disponibles n'ont pu être employés. Des banquiers se sont décidés à commencer des achats dans le même moment que les baissiers se résignaient à racheter. Il faut donc, dans la hausse actuelle, faire la part de la progression brutale due aux rachats forcés du découvert. Si favorables que soient les changemens survenus dans la situation générale, ils ne sauraient justifier une hausse de près d'une unité et demie sur nos rentes en moins de quinze jours. Il n'y a pas à craindre jusqu'ici, toutefois, que la rapidité du mouvement en compromette sérieusement la solidité. Si la spéculation a la sagesse de modérer désormais son allure, il ne se produira point de réaction considérable, à moins d'événement tout à fait imprévu. L'amélioration du marché sert, en effet, trop bien les intérêts de la haute banque et des établissemens de crédit pour qu'ils ne fassent pas les efforts nécessaires en vue du maintien du progrès accompli. Presque toutes les émissions faites dans ces derniers temps ont réussi. Il y a partout accumulation d'épargne, et il suffirait, sans doute, d'une prudente direction pour que l'esprit d'entreprise se réveillat de la longue torpeur qui a été la conséquence du krach de 1882.

Les fonds étrangers avaient en général précédé les nôtres dans la voie de la hausse. Ils ont bien maintenu leurs cours pendant cette

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