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directoire, on croirait que mon père avait dans son cœur un principe de républicanisme; on se tromperait : il était royaliste par opinion politique, mais il connaissait et craignait le séjour de la grandeur. On peut être royaliste et philosophe, comme il arrive d'être républicain intrigant et ambitieux (1). »

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Mademoiselle Genet, à quinze ans, était un peu moins philosophe que son père à quarante. Ses yeux furent éblouis de l'éclat dont brillait Versailles. « La reine Marie >> Léckzinska, femme de Louis XV, venait de mourir, dit» elle, lorsque j'y fus présentée. Ces grands appartemens tapissés de noir, ces fauteuils de parade élevés sur plù» sieurs marches, et surmontés d'un dais orné de panaches; » ces chevaux caparaçonnés; ce cortège immense en grand » deuil ; ces énormes nœuds d'épaules brodés en paillettes » d'or et d'argent qui décoraient les habits des pages, et » même ceux des valets-de-pieds; tout cet appareil enfin produisit un tel effet sur mes sens, que je pouvais à peine >> me soutenir, lorsqu'on m'introduisit chez les princesses. Le premier jour où je fis la lecture dans le cabinet inté>> rieur de madame Victoire, il me fut impossible de pro» noncer plus de deux phrases; mon cœur palpitait, ma >> voix était tremblante et ma vue troublée. Magie puissante » de la grandeur et de la dignité qui doivent entourer les » souverains, que vous étiez bien calculée! Marie - Antoi>>nette, vêtue en blanc avec un simple chapeau de paille, » une légère badine à la main, marchant à pied suivie » d'un seul valet, dans les allées qui conduisaient au Petit» Trianon, ne m'aurait pas fait éprouver un pareil trouble;

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(1) Fragment manuscrit.

» et cette extrême simplicité fut, je crois, le premier et » peut-être le seul des torts qu'on lui reproche (1). »

Ce prestige une fois dissipé, mademoiselle Genet vit mieux sa position : elle n'avait rien d'attrayant. La cour de Mesdames, éloignée des plaisirs bruyans et licencieux que recherchait Louis XV, était grave, méthodique et sombre. Madame Adélaïde, l'aînée des princesses, vivait beaucoup dans son intérieur : madame Sophie était fière; madame Louise était dévote. Les tristes plaisirs de l'orgueil, ou les pratiques d'une dévotion minutieuse, ont peu d'attrait pour la jeunesse. Mademoiselle Genet cependant ne quittait pas l'appartement de Mesdames, mais elle s'était plus particulièrement attachée à madame Victoire. Cette princesse avait été belle: sa figure exprimait la bonté, sa conversation était douce, facile et simple. Mademoiselle Genet lui inspirait ce sentiment qu'une femme âgée, mais affectueuse, accorde volontiers aux jeunes personnes qu'elle voit croître sous ses yeux, et qui possèdent déjà des talens utiles. Des journées entières se passaient à lire auprès de la princesse qui travaillait dans son appartement. Mademoiselle Genet y vit souvent Louis XV. Dans le cercle de ses amis intimes, elle aimait à raconter l'anecdote suivante.

Un jour au château de Compiègne, disait-elle, le roi interrompit la lecture que je faisais à Madame. Je me lève, et je passe dans une autre chambre. Là, seule dans une pièce qui n'avait point d'issue, sans autre livre qu'un Massillon, que je venais de lire à la princesse, légère et

(1) Nous placerions ici même une réponse à ce reproche, s'il ne devait se trouver repoussé plus bas dans la notice, et surtout dans les notes qui accompagnent les mémoires.

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gaie comme on l'est à quinze ans, je m'amusais à tourner. sur moi-même, avec mon panier de grand habit, et je m'agenouillais tout à coup, pour voir ma jupe de soie rose, que l'air gonflait autour de moi. Pendant ce grave exercice, le roi entre; la princesse le suivait : je veux me lever, mes pieds s'embarrassent, je tombe au milieu de ma robe enflée par le vent. Ma fille, dit Louis XV en éclatant de 'rire, je vous conseille de renvoyer au couvent une lectrice qui fait des fromages.

Cette fois la leçon n'avait rien de sévère. Mais les railleries de Louis XV étaient souvent plus piquantes mademoiselle Genet en avait fait déjà l'épreuve. Trente ans après, elle ne pouvait conter son aventure, sans un mouvement de surprise et d'effroi, qui semblait durer encore. Louis XV, disait-elle donc, avait le maintien le plus imposant. Ses yeux restaient attachés sur vous pendant tout le temps qu'il parlait ; et malgré la beauté de ses traits, il inspirait une sorte de crainte. J'étais bien jeune, il est vrai, lorsqu'il m'adressa la parole pour la première fois : s'il fut gracieux, vous en allez juger. J'avais quinze ans. Le roi sortait pour aller à la chasse; un service nombreux le. suivait. Il s'arrête en face de moi. «Mademoiselle Genet, me dit-il, on m'assure que vous êtes fort instruite; que vous savez quatre ou cinq langues étrangères.-Je n'en sais que deux, sire, répondis-je en tremblant. -- Lesquelles? L'anglais et l'italien. Les parlez-vous familièrement?. Oui, sire, très -familièrement. En voilà bien assez pour faire enrager un mari.» Après ce joli compliment, le roi continue sa route: la suite me salue en riant, et moi je reste quelques instans étourdie, confondue, à la place où je venais de m'arrêter.

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On aurait désiré que Louis XV ne fît jamais de reparties plus amères. Les rois n'ont pas le droit d'être moqueurs : le persiflage est un genre de combat qui veut des armes égales, et l'on plaisante toujours de mauvaise grâce contre un railleur qui commande à vingt millions d'hommes. Il y a justice à convenir cependant, que souvent agresseur, Louis XV supportait sans humeur la vivacité des représailles. Peutêtre même la familiarité imprévue de ces sortes d'attaques, était-elle une nouveauté piquante pour un roi fatigué si long-temps du poids de la grandeur. Ce prince, d'un caractère facile, d'une humeur triste, et d'un esprit satirique; majestueux dans sa cour, irrésolu dans un conseil, aimable, dit-on, dans un souper, n'échappait plus à l'ennui que par l'intempérance ou la débauche. Une femme, dont la prostitution avait profané la jeunesse et les charmes, étonnait alors Versailles du scandale de sa faveur. Madame Dubarry préparait à cette époque le renvoi du ministre qui venait de négocier le mariage du dauphin avec l'archiduchesse Marie-Antoinette d'Autriche. Les intrigues de la favorite, la rivalité du duc de Choiseul et du duc d'Aiguillon, la disgrâce de l'un, l'humiliante élévation de l'autre, ont occupé les derniers momens du règne de Louis XV.

Le duc de Choiseul, léger, fier, emporté, mais aimable, brillant, généreux, avait un esprit actif, de grands talens, et des idées vastes. Des changemens devenus nécessaires dans l'armée, des créations dans la marine, des institutions ou des alliances nouvelles, devaient l'aider à relever la France humiliée de ses longs revers. Cherchant un appui dans l'opinion, ami des parlemens, ennemi des jésuites, il tenait le pouvoir d'une main facile et légère.

Une résistance, pourvu qu'elle fût ouverte et loyale, ne lui portait point trop d'ombrage: il croyait à la docilité d'une nation que son gouvernement veut rendre heureuse dans l'intérieur, puissante et respectable au dehors. Son orgueil qui était un défaut, devint une vertu quand il ne sut point s'abaisser jusqu'à flatter de honteux caprices. Aimé quand il était puissant, recherché, j'ai presque dit flatté dans son exil, il inspira aux courtisans le courage inconnu parmi eux de rester fidèle au malheur.

Avec beaucoup d'adresse, d'audace et de constance, d'Aiguillon, dur, ingrat, absolu, tyrannique, ne montra jamais, soit dans son commandement, soit au ministère, de l'autorité que ses rigueurs. On lui crut des talens, parce qu'il avait l'esprit de l'intrigue et beaucoup d'ambition; mais le partage de la Pologne, exécuté sous ses yeux, a flétri pour jamais sa politique et son nom. Courtisan délié, méchant homme, ministre inhabile, il fut l'objet de la haine publique, qu'il voulut braver, et qui l'accabla.

Le duc d'Aiguillon n'avait pas compris que la force n'est qu'un des moindres ressorts du pouvoir, quand le pouvoir n'est pas soutenu par la confiance que donnent des lumières, de grands services rendus, et surtout des succès éclatans. L'exemple de son grand-oncle le trompait. En opprimant les grands, Richelieu servait la France; son génie faisait excuser son despotisme. L'abaissement de l'Autriche, l'humiliation de l'Espagne, l'ordre violemment rétabli dans l'état, les lettres en honneur, le commerce encouragé, pouvaient absoudre son administration des actes tyranniques dont on a droit de l'accuser. Il donnait aux mesures du gouvernement quelque chose de la hauteur de son caractère. On le craignait sans doute, mais

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