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ladie dont sa belle-sœur venait d'être la victime, regarda cet ordre comme son arrêt de mort. Elle aimait tendrement la jeune archiduchesse MarieAntoinette, elle la prit sur ses genoux, l'embrassa en pleurant, et lui dit qu'elle ne la quitterait pas pour se rendre à Naples, mais bien pour ne la plus revoir; qu'elle allait descendre au caveau de ses pères, mais qu'elle y retournerait bientôt pour y rester. Son pressentiment fut réalisé; une petite vérole confluente l'emporta en peu de jours. Sa sœur cadette monta à sa place sur le trône de Naples.

L'impératrice était trop occupée de grands intérêts politiques, pour pouvoir se livrer aux soins de la maternité. Le célèbre Wanswitten, son médecin, venait visiter tous les matins la jeune famille impériale, se rendait ensuite près de Marie-Thérèse et lui donnait les détails les plus circonstanciés sur la santé des archiducs et des archiduchesses qu'elle ne voyait quelquefois qu'après un intervalle de huit ou dix jours. Aussitôt qu'on avait connaissance de l'arrivée d'un étranger de marque à Vienne, l'impératrice s'environnait de sa famille, l'admettait à sa table, et donnait à croire, par ce rapprochement calculé, qu'elle-même présidait à l'éducation de ses enfans.

Les grandes maîtresses, n'ayant aucune inspection à craindre de la part de Marie-Thérèse, cherchèrent à se faire aimer de leurs élèves en suivant la route si blâmable et si commune d'une indul

gence funeste aux progrès et au bonheur futur de l'enfance. Marie-Antoinette fit congédier sa grande maîtresse en avouant à l'impératrice que toutes ses pages d'écriture et toutes ses lettres étaient habituellement tracées au crayon; la comtesse de Brandès fut nommée pour remplacer cette gouvernante, et s'acquitta de ses devoirs avec beaucoup d'exactitude et de talent. La reine regardait comme un malheur pour elle d'avoir été trop tard confiée à ses soins et resta toujours en relation d'amitié avec cette dame. L'éducation de MarieAntoinette fut donc très-négligée (1). Les papiers publics retentissaient cependant de la supériorité des talens de la jeune famille de Marie-Thérèse. On y rendait souvent compte des réponses que les jeunes princesses faisaient en latin aux harangues qui leur étaient adressées ; elles les prononçaient il est vrai, mais sans les comprendre elles ne savaient pas un mot de cette langue.

On parlait un jour à la reine d'un dessin fait par elle et donné par l'impératrice à M. Gérard, premier commis des affaires étrangères, lorsqu'il avait été à Vienne pour rédiger les articles de son contrat

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(1) A l'exception de la langue italienne, tout ce qui tient aux belles lettres, et surtout à l'histoire de son pays même, lui était peu près inconnu. On s'en aperçut bientôt à la cour de France, et de-là vient l'opinion assez généralement répandue qu'elle manquait d'esprit. On verra dans la suite de ces Mémoires si cette opinion était bien ou mal fondée.

(Note de madame Campan.)

de mariage. Je rougirais, répondit-elle, si l'on me présentait cette preuve de la charlatanerie de mon éducation; je ne crois pas avoir une seule fois posé le crayon sur ce dessin. Cependant elle savait parfaitement ce qui lui avait été enseigné. Sa facilité à apprendre était inconcevable, et si tous ses maîtres eussent été aussi instruits et aussi fidèles à leurs devoirs que l'abbé Métastase, qui lui avait enseigné l'italien, elle aurait atteint le même degré de supériorité dans les autres parties de son éducation. La reine parlait cette langue avec grâce et facilité, et traduisait les poëtes les plus difficiles. Elle · n'écrivait pas le français correctement, mais elle le parlait avec la plus grande aisance, et mettait même de l'affectation à dire qu'elle ne savait plus l'allemand. En effet, elle voulut essayer, en 1787, d'apprendre sa langue maternelle, et en prit des leçons avec assiduité pendant six semaines; elle fut obligée d'y renoncer, éprouvant toutes les difficultés qu'aurait à vaincre une Française qui se livrerait trop tard à cette étude. Elle abandonna de même l'anglais que je lui avais enseigné pendant quelque temps, et dans lequel elle avait fait des progrès rapides. La musique était le talent qui plaisait le plus à la reine. Elle ne jouait bien d'aucun instrument, mais elle était parvenue à déchiffrer à livre ouvert, comme le meilleur professeur. Elle avait acquis ce degré de perfection en France, cette partie de son éducation ayant été aussi négligée à Vienne que les autres. Peu de jours après son arrivée à Ver

sailles, on lui présenta son maître de chant ; c'était La Garde, auteur de l'opéra d'Églé. Elle lui donna un rendez-vous pour un temps assez éloigné, ayant besoin, disait-elle, de se reposer des fatigues de la route et des fêtes nombreuses qui avaient eu lieu à Versailles; mais son motif réel était de cacher à quel point elle ignorait les premiers élémens de la musique. Elle demanda à M. Campan si son fils, qui était bon musicien, pourrait en secret lui donner, pendant trois mois, des leçons : « II

faut, ajouta-t-elle en souriant, que la dauphine >> prenne soin de la réputation de l'archiduchesse.» Les leçons s'établirent secrètement, et, au bout de trois mois de travail constant, elle fit appeler M. La Garde et l'étonna par sa facilité.

Le désir de perfectionner Marie-Antoinette dans l'étude de la langue française fut probablement le motif qui avait déterminé Marie-Thérèse à lui donner pour maîtres et lecteurs deux comédiens français, Aufresne pour la prononciation et la déclamation, et un nommé Sainville pour le goût du chant français; ce dernier avait été officier en France, et passait pour un mauvais sujet. Ce choix. déplut justement à notre cour. Le marquis de Durfort, alors ambassadeur à Vienne, reçut l'ordre de faire des représentations à l'impératrice sur un pareil choix. Les deux acteurs furent congédiés, et cette princesse demanda qu'on lui adressât un ecclésiastique. Ce fut à cette époque que le duc de Choiseul s'occupa de lui envoyer un institu

teur. Plusieurs ecclésiastiques distingués refusèrent de se charger de fonctions aussi délicates; d'autres désignés par Marie-Thérèse (entre autres l'abbé Grisel) tenaient à des partis qui devaient les faire exclure.

M. l'archevêque de Toulouse, depuis archevêque de Sens, entra un jour chez M. le duc de Choiseul, au moment où il était véritablement embarrassé pour cette nomination ; il lui proposa l'abbé de Vermond, bibliothécaire du collége des Quatre-Nations. Le bien qu'il dit de son protégé le fit agréer le jour même; et la reconnaissance de l'abbé de Vermond pour le prélat fut bien funeste à la France, puisque, après dix-sept ans d'efforts persévérans pour l'amener au ministère, il parvint à le faire nommer contrôleur-général et chef du conseil.

Cet abbé de Vermond, dont les historiens parleront peu parce que son pouvoir était resté dans l'ombre, déterminait presque toutes les actions de la reine. Il avait établi son influence sur elle dans l'âge où les impressions sont le plus durables, et il était aisé de voir qu'il n'avait cherché qu'à se faire aimer de son élève, et s'était très-peu occupé du soin de l'instruire. On pourrait l'accuser même d'avoir , par un calcul adroit mais coupable, laissé son élève dans l'ignorance. Marie-Antoinette parlait la langue française avec beaucoup d'agrément, mais l'écrivait moins bien. L'abbé de Vermond revoyait toutes les lettres qu'elle envoyait à Vienne.

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