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C'est le plus sûr: cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien.
Que sert cela? Jupiter n'est pas dupe.

Le

FABLE II. Le Pot de terre et le Pot de fer.

Le pot de fer proposa

Au pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excusa,

Disaat qu'il feroit que sage1

De garder le coin du feu.:
Car il lui falloit si peu,

Si peu que

la moindre chose

De son débris seroit cause:
Il n'en reviendroit morceau.
. Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.

Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le pot de fer:
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai. »
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade

Se met droit à ses côtés.

Mes gens s'en vont à trois pieds.
Clopin clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés

Au moindre hoquet qu'ils treuvent. pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas Que par son compagnon il fut mis en éclats,

Sans qu'il eût lieu de se plaindre.

1. Qu'il feroit sagement, qu'il feroit ce que sage doit faire.

Ne nous associons qu'avecque nos égaux;
Ou bien il nous faudra craindre
Le destin d'un de ces pots.

FABLE III.

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Le petit Poisson et le Pêcheur.

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie :
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c'est folie:

Car de le rattraper il n'est pas trop certain.

Un carpeau, qui n'étoit encore que fretin,
Fut pris par un pêcheur au bord d'une riviere.
Tout fait nombre, dit l'homme, en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin:

Mettons-le en notre gibecière. »

D

Le pauvre carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi? je ne saurois fournir
Au plus qu'une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir:

Je serai par vous repêchée;
Quelque gros partisan m'achètera bien cher :
Au lieu qu'il vous en faut chercher

Peut-être encor cent de ma taille

Pour faire un plat: quel plat! croyez-moi, rien qui vaille.
- Rien qui vaille! eh bien! soit, repartit le pêcheur :
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle; et, vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire. »

Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras: L'un est sûr; l'autre ne l'est pas.

FABLE IV. Les Oreilles du Lièvre.

Un animal cornu blessa de quelques coups

Le lion qui, plein de courroux,

Pour ne plus tomber en la peine,
Bannit des lieux de son domaine

Toute bête portant des cornes à son front.
Chèvres, béliers, taureaux, aussitôt délogèrent;
Daims et cerfs de climat changèrent :
Chacun à s'en aller fut prompt.

Un lièvre, apercevant l'ombre de ses oreilles,
Craignit que quelque inquisiteur

N'allât interpréter à cornes leur longueur,
Ne les soutint en tout à des cornes pareilles.
<< Adieu, voisin grillon, dit-il; je pars d'ici :
Mes oreilles enfin seroient cornes aussi ;

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Et quand je les aurois plus courtes qu'une autruche,
Je craindrois même encor. Le grillon repartit:
« Cornes cela! Vous me prenez pour cruche!
Ce sont oreilles que Dieu fit.

On les fera passer pour cornes,
Dit l'animal craintif, et cornes de licornes.
J'aurai beau protester; mon dire et mes raisons
Iront aux Petites-Maisons. »

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Un vieux renard, mais des plus fins,

Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins, Sentant son renard d'une lieue,

Fut enfin au piége attrapé.

Par grand hasard en étant échappé,

Non pas franc, car pour gage il y laissa sa queue;
S'étant, dis-je, sauvé sans queue, et tout honteux,
Pour avoir des pareils (comme il étoit habile),
Un jour que les renards tenoient conseil entre eux :
« Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux?
Que nous sert cette queue? il faut qu'on se la coupe :
Si l'on me croit, chacun s'y résoudra.

-Votre avis est fort bon, dit quelqu'un de la troupe :
Mais tournez-vous, de grâce; et l'on vous répondra.
A ces mots il se fit une telle huée

Que le pauvre écourté ne put être entendu.
Prétendre ôter la queue eût été temps perdu :
La mode en fut continuée.

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FABLE VI. La Vieille et les deux Servantes.

Il étoit une vieille ayant deux chambrières :
Elles filoient si bien que les sœurs filandières
Ne faisoient que brouiller au prix de celles-ci.
La vieille n'avoit point de plus pressant souci
Que de distribuer aux servantes leur tâche.
Dès que Thétis chassoit Phébus aux crins dorés,
Tourets entroient en jeu, fuseaux étoient tirés;
Deçà, delà, vous en aurez :

Point de cesse, point de relâche.

Dès que l'Aurore, dis-je, en son char remontoit,
Un misérable coq à point nommé chantoit;
Aussitôt notre vieille, encor plus misérable,
S'affubloit d'un jupon crasseux et détestable,
Allumoit une lampe, et couroit droit au lit
Où, de tout leur pouvoir, de tout leur appétit,
Dormoient les deux pauvres servantes.

L'une entr'ouvroit un œil, l'autre étendoit un bras;
Et toutes deux, très-mal contentes,

Disoient entre leurs dents : « Maudit coq! tu mourras ! »
Comme elles l'avoient dit, la bête fut grippée :
Le réveille-matin eut la gorge coupée.

Ce meurtre n'amenda nullement leur marché :
Notre couple, au contraire, à peine étoit couché
Que la vieille, craignant de laisser passer l'heure,
Couroit comme un lutin par toute sa demeure.

C'est ainsi que, le plus souvent,

Quand on pense sortir d'une mauvaise affaire,

On s'enfonce encor plus avant : Témoin ce couple et son salaire. La vieille, au lieu du coq, les fit tomber De Charybde en Scylla.

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Le Satyre et le Passant.

Au fond d'un antre sauvage
Un satyre et ses enfans
Alloient manger leur potage,
Et prendre l'écuelle aux dents.

On les eût vus sur la mousse,
Lui, sa femme, et maint petit :
Ils n'avoient tapis ni housse,
Mais tous fort bon appétit.

Pour se sauver de la pluie
Entre un passant morfondu.
Au brouet on le convie,
Il n'étoit pas attendu.

Son hôte n'eut pas la peine
De le semondre1 deux fois.
D'abord avec son haleine
Il se réchauffe les doigts:

Puis sur le mets qu'on lui donne,
Délicat, il souffle aussi.

Le satyre s'en étonne :

<< Notre hôtel à quoi bon ceci?

L'un refroidit mon potage;
L'autre réchauffe ma main.

Vous pouvez, dit le sauvage,
Reprendre votre chemin.

1. « De l'inviter. »

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