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FABLE XVI. Le Loup, la Mère,

et l'Enfant.

Ce loup me remet en mémoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris:
Il y périt. Voici l'histoire :

Un villageois avoit à l'écart son logis.
Messer loup attendoit chape-chute à la porte;
Il avoit vu sortir gibier de toute sorte,

Veaux de lait, agneaux, et brebis,

Régiment de dindons, enfin bonne provende.
Le larron commençoit pourtant à s'ennuyer.
Il entend un enfant crier :
La mère aussitôt le gourmande,
Le menace, s'il ne se tait,

De le donner au loup. L'animal se tient prêt,
Remerciant les dieux d'une telle aventure,
Quand la mère, apaisant sa chère géniture,
Lui dit : « Ne criez point; s'il vient, nous le tuerons.
Qu'est-ce ci ! s'écria le mangeur de moutons :
Dire d'un, puis d'un autre! Est-ce ainsi que l'on traite
Les
gens faits comme moi? me prend-on pour un sot?
Que quelque jour ce beau marmot

Vienne au bois cueillir la noisette.... D

Comme il disoit ces mots, on sort de la maison :
Un chien de cour l'arrête; épieux et fourches-fières
Tajustent de toutes manières.

« Que veniez-vous chercher en ce lieu? » lui dit-on. Aussitôt il conta l'affaire.

<< Merci de moi! lui dit la mère; Tu mangeras mon fils! L'ai-je fait à dessein Qu'il assouvisse un jour ta faim? »

On assomma la pauvre bête.

Un manant lui coupa le pied droit et la tête :
Le seigneur du village à sa porte les mit;
Et ce dicton picard à l'entour fut écrit :

Biaux chires leups, n'écoutez mie
« Mère tenchent chen fieux qui crie. »

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Socrate un jour faisant bâtir,

Chacun censuroit son ouvrage :

L'un trouvoit les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage;

L'autre blâmoit la face, et tous étoient d'avis

Que les appartemens en étoient trop petits. Quelle maison pour lui! l'on y tournoit à peine. << Plût au ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine! »

Le bon Socrate avoit raison

De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami; mais fou qui s'y repose:
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

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Toute puissance est foible, à moins que d'être unie : Écoutez là-dessus l'esclave de Phrygie.

Si j'ajoute du mien à son invention,

C'est pour peindre nos mœurs et non point par envie;
Je suis trop au-dessous de cette ambition.

Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire;
Pour moi, de tels pensers me seroient mal séans.
Mais venons à la fable, ou plutôt à l'histoire
De celui qui tâcha d'unir tous ses enfans.
Un vieillard près d'aller où la mort l'appeloit,
Mes chers enfans, dit-il (à ses fils il parloit),
Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble;
Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.»

L'aîné les ayant pris,

Les rendit en disant :

et fait tous ses efforts,

« Je le donne aux plus forts. » Un second lui succède, et se met en posture, Mais en vain. Un cadet tente aussi l'aventure. Tous perdirent leur temps; le faisceau résista: De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata. « Foibles gens, dit le père, il faut que je vous montre Ce que ma force peut en semblable rencontre. » On crut qu'il se moquoit; on sourit, mais à tort: Il sépare les dards, et les rompt sans effort. " Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde : Soyez joints, mes enfans; que l'amour vous accorde. » Tant que dura son mal, n'eut autre discours. Enfin se sentant près de terriner ses jours,

Mes chers enfans, dit-il, je vais où sont nos pères; Adieu promettez-moi de vivre comme frères; Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant. » Chacun de ses trois fils l'en assure en pleurant.

Il prend à tous les mains; il meurt. Et les trois frères.
Trouvent un biez fort grand, mais fort mêlé d'affaires.
Un créancier saisit, un voisin fait procès :

D'abord notre trio s'en tire avec succès.
Leur amitié fut courte autant qu'elle étoit rare.
Le sang les avoit joints; l'intérêt les sépare.
L'ambition, l'envie, avec les consultans,
Dans la succession entrent en même temps
On en vient au partage, on conteste, on chicane.
Le juge sur cent points 'cur à tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,

Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.
Les frères désunis sont tous d'avis contraire :

L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis et pris à part.

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Vouloir tromper le ciel, c'est folie à la terre.
Le dédale des cœurs en ses détours n'enserre
Rien qui ne soit d'abord éclairé par les dieux :
Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux,
Même les actions que dans l'ombre il croit faire.

Un païen, qui sentoit quelque peu le fagot,
Et qui croyoit en Dieu, pour user de ce mot,
Par bénéfice d'inventaire,

Alla consulter Apollon.

Dès qu'il fut en son sanctuaire :

« Ce que je tiens, dit-il, est-il en vie ou non? »
Il tenoit un moineau, dit-on,
Prêt d'étouffer la pauvre bête,
Ou de la lâcher aussitôt,

Pour mettre Apollon en défaut.

Apollon reconnut ce qu'il avoit en tête :

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Mort ou vif, lui dit-il, montre-moi ton moineau, Et ne me tends plus de panneau;

Tu te trouverois mal d'un pareil stratagème.

Je vois de loin; j'atteins de même. »

FABLE XX.

L'Avare qui a perdu son trésor.

L'usage seulement fait la possession.

Je demande à ces gens de qui la passion

Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme, Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme. Diogène là-bas est aussi riche qu'eux;

Et l'avare ici-haut comme lui vit en gueux. L'homme au trésor caché, qu'Esope nous propose, Servira d'exemple à la chose.

Ce malheureux attendoit,

Pour jouir de son bien, une seconde vie;
Ne possédoit pas l'or, mais l'or le possédoit.

Il avoit dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec, n'ayant autre déduit1
Que d'y ruminer jour et nuit,

Et rendre sa chevance 2 à lui-même sacrée.

Qu'il allât ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,
On l'eût pris de bien court, à moins qu'il ne songeât
A l'endroit où gisoit cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours qu'un fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.
Notre avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.

Un passant lui demande à quel sujet ses cris.

« C'est mon trésor que l'on m'a pris.

guerre

- Votre trésor! où pris? - Tout joignant cette pierre.
Eh! sommes-nous en temps de
Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en votre cabinet

Que de le changer de demeure?

Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.
A toute heure, bons dieux! ne tient-il qu'à cela?
L'argent vient-il comme il s'en va?

Je n'y touchois jamais. - Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant:
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.

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Un cerf s'étant sauvé dans une étable à bœufs
Fut d'abord averti par eux

Qu'il cherchât un meilleur asile.

Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas: Je vous enseignerai les pâtis les plus gras;

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